Выбрать главу

Pourquoi le chimiste anglais était-il aussi perplexe ? Ces quelques 40 degrés devaient-ils provoquer un trouble aussi profond ?

Certainement ! Car…

Les quantités constantes sont-elles constantes ?

… Car toute substance, ainsi que tout composé chimique, possède des propriétés physiques et chimiques bien définies.

Que l’on puise de l’eau dans l’Océan Indien, un marais boueux, la banquise ou une flaque d’eau, elle gèlera toujours à 0° et se mettra à bouillir à 100°, quelle que soit son origine.

Le benzène extrait de la houille par distillation ne se distingue en rien du benzène synthétique, obtenu à partir de l’acétylène par exemple.

Je ne sais si l’on peut même employer le terme d’axiome pour qualifier le fait suivant, tellement il est évident : un composé chimique donné possède une température d’ébullition constante, un point de fusion constant, une densité constante, etc. D’ailleurs cette règle sert de base aux procédés utilisés pour éliminer les impuretés des substances. Si l’on veut obtenir de l’acide acétique pur, par exemple, on en élimine les impuretés jusqu’à ce que la température de fusion atteigne 16°,6. Le chercheur peut alors être certain d’avoir de l’acide acétique pur. Si, en distillant une substance quelconque, le chimiste s’aperçoit qu’à pression atmosphérique normale elle bout à 110°,8 par exemple, il peut être sûr qu’il s’agit du toluène.

Or, voici que l’axiome devenait théorème. Le fait qu’à tout corps correspondent des propriétés bien définies restait encore à démontrer.

Il existe toute une série de substances dont les chimistes se servent presque quotidiennement en laboratoire. Leurs températures d’ébullition et de fusion ont été déterminées avec un soin tout particulier. Jetez un coup d’œil dans le manuel le plus succinct, vous y trouverez les données suivantes : le benzène bout à 80°, l’alcool à 78°,4, le brome à 59°, l’éther diéthylique à 35°.

Bref, les constantes physiques de ces corps sont fort bien connues. Aussi est-ce par eux que Baker décida de commencer la série d’expériences suivante.

Expérience sur quoi ? Le chercheur aurait-il réussi à comprendre la raison d’un aussi invraisemblable comportement de l’anhydride azotique ?

Non, pas encore, mais on se doutait de quelque chose et on suspectait l’eau d’être « coupable ».

Le lecteur sait maintenant ce qu’il en coûte au chimiste pour obtenir un corps pur. Il est évident que plus une substance est pure, plus elle est difficile à obtenir. On peut soigneusement éliminer les impuretés inorganiques d’un corps organique. Il est beaucoup plus malaisé mais cependant possible de faire de même pour toutes les impuretés organiques. Mais comment éliminer l’air et surtout la vapeur d’eau que ce corps contient ?

Lorsqu’il tenta de purifier du benzène, du brome, du bisulfure de carbone, de l’alcool et d’autres substances, Baker savait donc déjà qu’il ne parviendrait pas à en éliminer les infimes traces d’eau en provenance de l’air.

La raison majeure était que tous les composés chimiques décrits jusqu’alors, quelle que soit leur pureté, contenaient nécessairement une certaine quantité d’eau si infime fût-elle. Le but de l’expérience était d’obtenir plusieurs corps absolument purs. A cet effet, à des liquides soigneusement purifiés par les procédés habituels on ajouta du pentoxide de phosphore et le tout, versé dans des tubes de verre hermétiquement clos, fut mis de côté dans un placard du laboratoire.

La première inscription du registre de l’expérience date du 27 novembre 1913 et les suivantes de janvier… mars… juin… 1914. Puis elles furent interrompues.

La première guerre mondiale venait de commencer. En ces temps troublés, Baker ne pensait plus à ses tubes de verre. Les gouvernements impérialistes exigeaient des chimistes de nouvelles formules d’explosifs et de gaz de combat mortels. Voilà pourquoi Baker ne retrouva ses tubes que neuf ans après les avoir hermétiquement fermés et rangés.

Questions, questions…

Les tubes ne furent débouchés qu’en 1922. On prit des précautions exceptionnelles pour empêcher la moindre pénétration d’humidité : les récipients furent soigneusement séchés et les extrémités des tubes brisées dans du mercure.

Les résultats dépassèrent les espérances les plus optimistes.

On commença par distiller du benzène. Comme on le sait, le benzène « ordinaire » bout à 80°, mais celui obtenu par Baker ne bouillait qu’à 106°. Après cela on n’eut guère le loisir de s’étonner car Baker et ses collaborateurs ne cessèrent d’inscrire sur le registre du laboratoire de nouveaux faits surprenants : la température d’ébullition de l’éther atteignait 83° au lieu de 35°, celle du brome 118° au lieu de 59°, du mercure 459° au lieu de 357°, du bisulfure de carbone 80° au lieu de 46°, de l’alcool 138° au lieu de 78°,4.

Des résultats similaires furent obtenus avec d’autres liquides soumis à une déshydratation prolongée. Les recherches portèrent sur onze substances en tout.

Lorsque, plusieurs jours plus tard, ces faits nouveaux furent communiqués par Baker à ses collègues du monde scientifique, ils y furent accueillis de façons très diverses : certains s’esclaffèrent tant ces nouvelles leur parurent absurdes, d’autres prirent un air entendu, haussant les épaules dès que Baker s’éloignait d’eux, d’autres encore, les plus « perspicaces », dirent au savant :

— Vous me surprenez, mon cher collègue ! Ne voyez-vous pas que vous êtes en présence d’un phénomène de surchauffe tout à fait ordinaire au cours duquel une substance très pure peut se maintenir quelque temps à l’état liquide au-dessus de sa température d’ébullition ?

— Il ne peut être question de surchauffe, messieurs, rétorquait Baker. Primo, le fond du matras contenant la substance à distiller était garni de morceaux de porcelaine poreuse ce qui, comme on le sait, élimine toute possibilité de surchauffe. Secundo, quelle est la nature de l’ébullition dans un cas de surchauffe : le liquide ne change pas d’aspect tant que la température d’ébullition n’a pas été dépassée de plusieurs degrés puis il se met à bouillir d’un seul coup avec une intensité considérable, le contenu du matras tout entier formant une écume abondante. Dans mes expériences, mes chers collègues, l’ébullition a été tout à fait modérée, et la distillation également. En outre, n’oubliez pas que la surchauffe ne dépasse généralement pas trois ou quatre degrés, dix au maximum, alors qu’ici on a affaire à soixante-dix ou même quatre-vingt degrés ! Non, messieurs, il ne s’agit pas de surchauffe !

Ces « messieurs » voyaient d’eux-mêmes qu’il ne pouvait effectivement être question de surchauffe. Ceci mettait généralement fin aux discussions scientifiques et l’on passait à des thèmes de conversation plus ordinaires.

Ainsi donc, on se trouvait en présence d’une nouvelle et remarquable découverte scientifique et tout aurait été très bien, parfait même si… Baker avait lui-même compris la raison pour laquelle la déshydratation prolongée d’une substance avait des conséquences aussi surprenantes et incompatibles avec les notions scientifiques courantes.

Pour couronner le tout, de nouveaux faits furent découverts quelques jours plus tard. On s’aperçut que les substances soumises à une déshydratation prolongée changeaient également de température de fusion. Le souffre octaédrique fondait à 117°,5 au lieu de 112°,8, l’iode à 116e au lieu de 114°. Les températures de congélation des liquides s’élevaient et pour le brome et le benzène elles étaient respectivement de 2°,8 et 0°,6 supérieures à la « normale ».