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On observa des résultats similaires avec d’autres substances : le poids moléculaire obtenu pour l’alcool méthylique était presque le triple de la valeur théorique, ceux du brome, du benzène et du tétrachlorure de carbone d’une fois et demie supérieurs, celui de l’hexane de deux fois, du bisulfure de carbone de 2,7 fois, etc.

Ainsi donc, à l’état de vapeur toutes les substances déshydratées et extrêmement pures se présentent sous la forme de groupes de molécules ou, comme on dit, en association. Les dimensions de ces groupes à l’état liquide devaient évidemment être encore plus grandes.

On comprit alors pourquoi la température d’ébullition de ces liquides différait de celle des liquides ordinaires. Il était évident que l’énergie nécessaire au détachement d’une molécule à poids moléculaire élevé devait être plus forte que dans le cas de molécules à poids moléculaire réduit ce qui explique l’élévation de la température d’ébullition.

Ainsi tout paraissait être rentré dans l’ordre ; on tenait la clef de toutes les énigmes : les molécules des substances extrêmement pures s’assemblent par groupes et c’est la seule chose qui les distingue des substances simplement pures.

Mais en réalité c’était justement maintenant que les choses devenaient obscures. Le phénomène d’association est assez répandu. On connaît en chimie une énorme quantité de substances se présentant sous forme d’association à l’état liquide ou gazeux. Le poids moléculaire de la vapeur d’acide acétique, par exemple, est de 120, alors que le poids moléculaire théorique de ce corps (CH3COOH) est de 60. Donc, à l’état de vapeur, les molécules de l’acide acétique sont groupées par paires.

Toutes les substances pouvant ainsi s’associer possèdent la propriété suivante : la charge positive de leur molécule est concentrée dans une partie et la charge négative dans une autre. Il suffit de regarder le dessin pour comprendre pourquoi les molécules d’acide acétique tendent à s’unir entre elles. Le pôle positif d’une molécule attire le pôle négatif d’une autre. A l’état liquide, quand les distances entre les molécules sont plus réduites qu’à l’état gazeux, les groupes peuvent être plus grands et comprendre quatre ou six molécules, ou même davantage.

Du moment que l’association se produit lorsque des molécules possèdent une charge électrique double, un moment dipolaire [4] comme l’appellent les savants, il semble bien que l’absence de ce moment dipolaire doive exclure toute possibilité d’association.

Ainsi donc, le phénomène d’association n’a rien par lui-même d’étonnant et sa cause s’explique aisément. Retenons seulement que seules les molécules à charge électrique double, c’est-à-dire dipolaires, sont capables d’association.

Mais ce qui était clair pour les substances « ordinaires » ne l’était plus lorsqu’il s’agissait de liquides extra-purs, obscurcissant davantage les perspectives pourtant déjà assez sombres de la solution de l’énigme. Le fait est que la plupart des liquides utilisés pour l’étude de « l’effet de dessiccation » (il y en avait 11 en tout) avaient des molécules privées de moment dipolaire. Mais à l’état pur « ordinaire » la vapeur des composés même à molécules dipolaires, alcool et éther, possède une densité ordinaire correspondant au poids moléculaire normal.

Ainsi donc la réponse à une question en fait surgir au moins deux autres. Primo, pourquoi est-ce justement l’eau qui, en quantité infinitésimale, exerce une influence énorme sur les propriétés des substances ? Secundo, qu’est-ce qui pousse les molécules des substances même non dipolaires à s’associer en dépit de toutes les lois physiques et chimiques connues ?

Tel est le destin des savants. Ils ne pourront jamais dire : « C’est tout, dans ce domaine il n’y a plus rien à étudier. » Un problème résolu crée des dizaines de nouveaux problèmes qui exigent également une solution.

Pourquoi l’eau ?

Cette question, que posèrent les chercheurs lorsqu’ils abordèrent l’étude des propriétés des liquides extra-purs, les désolait. Ce qui leur faisait peur, c’était l’incertitude totale : de quel côté fallait-il s’intéresser à l’eau pour y répondre ?

Il était évident que par l’une de ses propriétés l’eau se distinguait nettement des autres liquides. Mais quelle était-elle ? Quand on n’a pas d’autre moyen à sa disposition pour résoudre tel ou tel problème scientifique, la supposition peut parfois servir de méthode de recherche.

Quelle était donc cette propriété ? Peut-être la viscosité, ou bien la densité ? Non, des centaines de substances possèdent ces caractéristiques au même degré, ou presque, que l’eau. La tension superficielle ? L’indice de réfraction ? La température d’ébullition ? La température de fusion ? Non, ces propriétés de l’eau sont semblables à celles des autres liquides. Peut-être la conductibilité ? Non. Le moment dipolaire ? Non. La chaleur latente de fusion ? Non plus ! La constante diélectrique ? Halte !

En effet, la constante diélectrique [5] de l’eau diffère considérablement de celle des autres liquides. Pour le benzène, par exemple, la constante diélectrique est de 2,3, pour l’hexane de 1,9, pour l’éther de 4,4 pour ne citer que quelques liquides. Quant à l’eau, elle est de 79. Peu de substances lui sont analogues sous ce rapport. Celle qui s’en rapproche le plus est l’acide formique mais sa constante diélectrique est aussi une fois et demie plus faible que celle de l’eau, substance « record ».

Mais indiquer que le phénomène observé est dû à la constante diélectrique n’est pas suffisant, il faut encore l’expliquer.

Supposons, raisonnèrent les chercheurs, que les molécules de toutes les substances, même celles dont les molécules ont un moment dipolaire nul, s’attirent mutuellement au moyen de quelques forces dont la nature nous est inconnue. D’ailleurs, quelles que soient ces forces, elles ne peuvent manquer d’être électriques et doivent par conséquent se plier aux lois de l’attraction électrostatique.

Dans le cas d’une substance pure, que contient l’espace qui sépare deux molécules quelconques ? Rien, le vide. En conséquence, dans le vide, les forces d’attraction électrique possèdent leur valeur maximale. Mais que se produira-t-il si une molécule d’une substance étrangère vient s’insérer entre ces deux molécules ? L’interaction entre les deux molécules de la substance principale sera fortement atténuée. Et si, en outre, la molécule étrangère est une molécule d’eau, possédant la constante diélectrique la plus élevée et donc affaiblissant au maximum les forces de l’interaction électrostatique, on comprend sans peine que dans ce cas toute attraction entre les molécules de la substance principale cessera totalement.

Cependant, les raisonnements même les plus complets restent vains s’ils ne sont pas confirmés par l’expérience. Et l’on passa donc, une fois de plus, à l’application pratique de déductions théoriques en laboratoire.

On versa du benzène pur déshydraté par les procédés de laboratoire ordinaires dans un récipient spécial où on le plaça entre deux électrodes de platine. On chauffa lentement jusqu’à ce que le benzène atteigne la température d’ébullition. Le thermomètre indiquait alors 80°. Le benzène se comportait donc comme du benzène « normal ». Une très haute tension fut alors appliquée aux électrodes. A priori, cela paraissait dénué de sens, puisque le benzène n’est pas conducteur de l’électricité. Or, dès qu’on eut branché le courant, l’ébullition du benzène cessa. Il fallut élever la température du liquide de 8° supplémentaires pour le faire bouillir à nouveau. Le benzène placé entre les électrodes se comportait exactement comme du benzène extra-pur soumis à une déshydratation de plusieurs années ! Dès que le courant fut débranché, la température d’ébullition redevint normale. En le faisant passer à nouveau la température d’ébullition remonta à 88°.

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4

Le moment dipolaire est le produit de l’intensité (les charges par la distance qui les sépare ; il est évident que seules les molécules dont une partie a une charge positive et l’autre une charge négative possèdent un moment dipolaire.

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5

La constante diélectrique est le rapport du pouvoir inducteur spécifique d’un corps à celui du vide pris pour unité.