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En quoi cette expérience confirme-t-elle l’influence de l’eau sur l’association des molécules de benzène ? Le benzène « ordinaire » contient une quantité d’eau relativement élevée : une de ses molécules sur 50 à 60 est entourée d’une pellicule d’eau excessivement mince (faite d’une seule molécule). Ces molécules d’eau ressemblent fort à de petits aimants.

Regardons le dessin : à l’une des extrémités de la molécule d’eau se trouvent les atomes d’hydrogène qui, de dimensions très réduites, possèdent un champ d’électricité positive intense ; à l’autre extrémité se situe l’atome d’hydrogène qui a deux charges négatives. Considérons maintenant la molécule de benzène. On comprend immédiatement pourquoi elle ne possède pas de moment dipolaire : ses six atomes de carbone et ses six atomes d’hydrogène sont disposés symétriquement, leurs charges s’équilibrant.

Mais, lors du passage d’un courant à haute tension, les « petits aimants » d’eau se détachent des molécules de benzène, la pellicule d’eau se désagrège et les molécules de benzène peuvent ainsi s’associer. D’où une élévation immédiate de la température d’ébullition.

Nous avons donc répondu à la question : « Pourquoi l’eau? ». Mais nous devons aussitôt ajouter, hélas, qu’en réalité elle était la plus facile.

Ce n’était pas bien difficile d’y répondre. Or, cette question en entraîne aussitôt plusieurs autres.

Ces questions sont les suivantes (le lecteur attentif les connaît probablement déjà). Primo, de quelle pellicule d’eau peut-il s’agir si du benzène « simplement » pur ne contient qu’une molécule d’eau pour 100 à 200 molécules ? D’autant plus que si l’on soumet le benzène à une déshydratation spéciale qui se prolonge durant plusieurs années, ce rapport se modifie considérablement et cette fois il n’y a plus qu’une molécule d’eau pour un million de molécules de benzène.

Nous n’avons donc pas réussi à trouver de réponse à la seconde question : qu’est-ce qui pousse donc les molécules non dipolaires des substances extra-pures à s’associer par groupes ?

Ce sont là des questions d’autant plus intéressantes qu’on ne sait comment y répondre. Même actuellement, la physique et la chimie ne sont pas encore en mesure de le faire. Voici donc un futur champ d’activité tout trouvé pour l’étudiant d’aujourd’hui.

Nous sommes encore loin d’avoir épuisé la série des questions qui m’ont incité à parler des plus remarquables propriétés des substances extra-pures. Quant aux événements qui ont obligé le monde scientifique à se rappeler l’histoire que je viens de raconter, leur tour viendra.

Une aiguille dans une meule de foin

Qui enviera celui qui doit trouver une aiguille dans une meule de foin par une sombre nuit sans lune ? Ne croyez-vous pas que dans un tel cas n’importe qui renoncerait en hochant la tête d’un air accablé ? Eh bien, vous vous trompez ! Je connais bon nombre de chimistes prêts à soutenir que cet individu de mon invention passe son temps à des futilités. En réponse à notre haussement d’épaules ils s’empresseraient de prouver leur affirmation dans le clair langage arithmétique.

Quel peut être le poids d’une meule de foin ? Environ 400 kg. Et celui d’une aiguille ? Un décigramme, soit 10–4 kg. En prenant ces 400 kg pour 100%, à quel pourcentage équivaudra 0,1 g ?

Donc, l’aiguille représente 25 millionièmes pour cent du poids de la meule. Le chimiste dirait que notre individu opère avec des chiffres à cinq décimales. Or, pour la chimie, la détermination de quantités d’impuretés s’exprimant par des chiffres à cinq décimales est une étape depuis longtemps révolue. C’est à partir de la sixième ou de la septième décimale que la tâche se complique. La cinquième est pour ainsi dire à la portée de tout le monde et n’exige que peu d’efforts.

Ah, si les recherches en chimie se limitaient seulement à la sixième ou la septième décimale !

Mais, a-t-on vraiment besoin de calculs plus précis ? Faut-il aller encore plus loin ?

Quand nous parlions de l’escalade par la chimie des gradins escarpés des décimales, nous pensions justement à la détermination analytique des impuretés. Vers 1955, la technique exigea des chimistes qu’ils soient capables non seulement de déterminer les quantités de ces impuretés mais aussi de les isoler. Pouvoir déterminer la quantité exacte de tel ou tel élément mélangé à une substance donnée et en débarrasser cette dernière tout en évitant d’introduire d’autres impuretés sont deux choses bien différentes, la seconde tâche étant bien plus complexe que la première.

Et pourtant si la technique et l’industrie l’exigent, la chimie ne peut faillir à son devoir.

Aussi se mit-on à ce travail…

Mais expliquons d’abord pourquoi la technique demanda des corps d’une pureté aussi extraordinaire.

La plupart des matières semi-conductrices ne manifestent leurs propriétés qu’à un degré de pureté extrêmement élevé. C’est notamment le cas du germanium, l’un des semi-conducteurs les plus utilisés. Très souvent la technique moderne des semi-conducteurs exige que le germanium possède une pureté de 99,999 999 999 9%, un atome d’impureté pour cent milliards d’atomes de germanium. Qu’il y ait deux atomes au lieu d’un et le semi-conducteur est inutilisable.

Ainsi donc les chimistes virent se dresser devant eux le pic de la dixième décimale. Cet Everest de la chimie moderne n’était pas destiné à être conquis par des savants isolés. Le sommet devait être atteint par l’immense collectif des chimistes travaillant dans le domaine de l’industrie des semi-conducteurs. Il ne s’agissait pas de se contenter d’obtenir quelques deux ou trois grammes de substance extra-pure, il fallait édifier des usines pouvant produire ces matières par quintaux, par tonnes même.

Le lecteur se rappelle quelles difficultés il fallut surmonter pour conquérir les sommets des sixième et septième décimales. Or, cette fois, on s’attaquait à la dixième. Et, de même qu’à haute altitude cent mètres de grimpée sont plus difficiles à franchir qu’un kilomètre en plaine, chaque décimale de plus dans la détermination de la pureté d’une préparation coûte aux chimistes des efforts de plus en plus pénibles.

Actuellement, l’obtention d’une substance d’une pureté de 99,99%, de « quatre neufs » comme on dit parfois, ne présente aucune difficulté même dans un laboratoire modestement équipé. Mais y a-t-il longtemps qu’il en est ainsi ?

J’ai sous les yeux trois articles parus dans diverses revues de chimie. Dans le premier on peut lire : « Nous sommes parvenus à obtenir un corps d’une pureté extrême, de 99,99%. » Dans le second : « Le contenu de la substance principale dans le produit obtenu atteint 99,999%. On peut donc considérer celui-ci comme relativement pur. » Dans la troisième communication : « L’échantillon était plutôt souillé : le contenu du métal principal ne se montait qu’à 99,999 9%. »