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Comme on le voit, il y a bien plus d’« Antarctides » sur la carte de la chimie que sur celle de la Terre.

La maison de la classification périodique

Ainsi donc, les éléments que nous connaissons sont loin d’avoir été étudiés dans une égale mesure. Pourquoi des ouvrages de plusieurs tomes sont-ils consacrés à certains éléments tandis que les renseignements concernant d’autres éléments tiendraient dans dix ou quinze lignes ?

Je suis certain que de nombreux lecteurs ont déjà une réponse toute prête. Ecoutons-les :

« Parce que les éléments chimiques ont été découverts à des époques différentes. Il est évident que le fer, élément connu de l’homme depuis des temps immémoriaux doit être mieux connu que l’hafnium, par exemple, découvert il y a seulement quelques dizaines d’années. »

Cette réponse n’est exacte que dans une certaine mesure. Si on regarde le tableau des dates des découvertes des divers éléments chimiques, l’inconsistance de cette explication saute aux yeux.

En effet, l’yttrium, par exemple, était déjà connu au XVIIIe siècle ; or, il est moins bien connu que le magnésium ou le sodium, découverts au XIXe siècle. Le tantale fut découvert en 1800, onze ans avant l’iode qui pourtant est infiniment mieux connu : alors que les propriétés de l’iode et de ses composés ont fait l’objet de plusieurs livres, tout ce que nous connaissons sur le tantale tiendrait tout au plus dans une mince brochure.

Lors d’une conférence de chimie organisée il y a quelques années, mon attention fut attirée au cours d’une pause par une conversation animée. Plusieurs savants d’âge mûr, fort respectables, discutaient en se coupant mutuellement la parole et en inscrivant rapidement quelque chose au verso de leur programme. Ce n’étaient pas des problèmes scientifiques qui les passionnaient, il s’agissait seulement de savoir de combien d’éléments chacun d’entre eux avait rencontré les composés au cours de sa vie. La palme de cette compétition peu ordinaire revint à un professeur qui, au cours de sa carrière, avait eu l’occasion de manipuler les composés de soixante éléments. Le programme du professeur était couvert de symboles d’éléments qu’il y avait inscrits, et à l’expression des visages de ses interlocuteurs il était évident qu’ils en considéraient le nombre plus qu’imposant.

Soixante éléments… à peine un peu plus de la moitié des « briques » du monde matériel ! Peut-il se faire qu’un homme dont toute la vie a été consacrée à la chimie n’ait pas eu l’occasion de voir les composés de tous les éléments ?

Nous arrivons ainsi à la véritable raison pour laquelle les divers éléments chimiques ont fait l’objet d’études aussi inégales.

Apparemment, ce qui importe c’est la quantité de chaque élément contenue dans l’écorce terrestre (la lithosphère : continents, l’hydrosphère : océans, mers et cours d’eau, et l’atmosphère : couche de fluide gazeux de notre planète) .

Imaginons une maison à plusieurs étages habitée par les éléments chimiques, chacun occupant une surface correspondant à son contenu dans l’écorce terrestre.

L’oxygène occuperait près de la moitié de la maison, 47,2% pour être précis, ce qui correspond à sa proportion dans le poids de l’écorce terrestre. Plus du quart de notre demeure imaginaire serait occupé par le silicium dont la proportion est de 27,6%. Ainsi donc les trois quarts de l’espace habitable seraient occupés par deux grands propriétaires : le silicium et l’oxygène. Les 89 autres éléments chimiques naturels devraient se partager le quart restant !

Mais ce quart serait également divisé d’une façon « injuste ». Le fer représente 8,8% du poids de l’écorce terrestre, le calcium 3,6%, et il existe en tout huit éléments dont la proportion dans l’écorce terrestre s’exprime par des nombres supérieurs à un.

81 éléments doivent donc se partager 0,4% de la surface habitable de cette maison qui symbolise ainsi en quelque sorte l’« injustice » de la nature. En fait, la plupart des éléments de la classification périodique s’entassent dans un étroit réduit de la maison dont la plus grande partie est occupée par huit éléments géants.

La raison pour laquelle nos connaissances diffèrent d’un élément chimique à un autre est donc claire : ils se trouvent en proportions inégales dans l’écorce terrestre. Plus les éléments sont abondants, mieux ils sont connus, voilà tout !

La conclusion est certes correcte, mais… ne dit-on pas que la science tout entière consiste essentiellement en « mais » ? Bien qu’il s’agisse d’une boutade, il y a également un « mais » dans notre cas.

Regardons plus attentivement le tableau de la composition de l’écorce terrestre en éléments. Considérons par exemple le scandium, élément fort rare. Peu de chimistes peuvent se vanter d’avoir vu des composés de scandium. L’écorce terrestre en contient effectivement très peu : à peine six dix-millièmes pour cent. Le voisin du scandium est l’argent, métal également assez rare mais pas autant que le scandium. C’est évident pour tout le monde. Nous serons tous d’accord pour admettre que l’argent est un métal qu’on rencontre assez fréquemment dans la vie courante. Il n’y a sans doute pas un foyer qui ne possède une petite cuiller ou quelque objet en argent. En tout cas chacun de nous possède des photographies et la surface de n’importe quel papier photographique est recouverte de composés d’argent.

Or, l’écorce terrestre ne contient qu’un centmillième pour cent d’argent, soixante fois moins que de scandium !

Le gallium figure maintenant encore au nombre des éléments les plus rares. Il y a seulement quelques années que certains laboratoires de chimie (encore très peu nombreux) ont à leur disposition des composés de gallium. Mais le tableau des éléments atteste d’une façon irréfutable que l’écorce terrestre contient deux cents fois plus de gallium que de mercure, métal pourtant courant et bien connu de tous.

Le nom de l’élément semi-conducteur germanium est actuellement sur toutes les lèvres. On parle partout de sa rareté. Or, le germanium est vingt fois plus abondant dans la nature que l’iode, élément tout à fait ordinaire et bon marché.

Ces exemples suffisent. Il est déjà évident que la « rareté » d’un élément et sa proportion dans l’écorce terrestre sont des notions qui sont loin d’être identiques. La possibilité d’obtenir un élément joue également un grand rôle.

Certains éléments de l’écorce terrestre se trouvent à l’état concentré, soit dans des minerais, soit mélangé en proportions constantes à certains minéraux. D’autres éléments se trouvent pour ainsi dire à l’état « dilué ». L’écorce terrestre contient à peu près autant d’étain que d’yttrium. Or, les gisements d’étain se présentent sous la forme du minéral cassitérite, mais l’yttrium, lui, ne fait partie d’aucun minerai particulier et se rencontre mélangé dans des proportions infimes aux minerais les plus divers. C’est la véritable raison pour laquelle l’yttrium est beacoup moins connu que l’étain.