On sait que le problème n° 1 des constructeurs aéronautiques est d’abaisser au maximum le poids des pièces. Ils passent parfois des mois à rechercher les moyens de réduire le poids d’un appareil de quelques kilos, étant obligés de s’y attaquer littéralement gramme par gramme : ici ils suppriment une vis, là ils modifient un assemblage ou ils remplacent le métal de certaines pièces par de la matière plastique.
L’utilisation du béryllium débarrassera très prochainement les constructeurs de ces recherches fastidieuses. Les travaux sur les alliages du béryllium avec le magnésium et l’aluminium sont déjà fort avancés et l’on peut affirmer que ces alliages produiront la même révolution dans l’aéronautique que l’emploi de l’aluminium. Il n’a pas été difficile de calculer qu’en remplaçant l’aluminium par des alliages de béryllium on augmenterait le rayon d’action des appareils.
Cette simple application du béryllium montre déjà clairement l’intérêt qu’il y a à soumettre les éléments rares à une étude plus intense car ils sont appelés à jouer un rôle fantastique. Le fait qu’ils soient peu abondants par rapport aux éléments « géants » ne présente pas d’inconvénient majeur. La chimie n’est-elle pas là pour y remédier ?
Les chimistes ont d’ailleurs justifié les espoirs placés en eux. Ils ont déjà mis au point plusieurs procédés destinés à obtenir du béryllium bon marché à partir des matières premières les plus pauvres en cet élément.
Les recherches tendant à trouver d’autres procédés d’extraction du béryllium et de nouvelles sources de matières premières se poursuivent d’ailleurs à un rythme accéléré. L’usage de ce métal se répand en effet de plus en plus dans la technique et l’industrie.
Un nouveau terme qui n’existait pas encore dans le vocabulaire chimique et technique il y a une dizaine d’années, a fait son apparition : la béryllisation. Ce terme est en passe de devenir aussi courant que ceux de « laminage », « trempe » et autres mots du même genre. La béryllisation consiste à placer une pièce d’acier chauffée à blanc dans de la poudre de béryllium. L’infime quantité de béryllium qui pénètre alors dans la couche superficielle de l’acier le recouvre ainsi d’une sorte de cuirasse d’alliage de béryllium. C’est à dessein que j’ai choisi le mot de cuirasse, car la pièce traitée de la sorte acquiert une résistance et une dureté nettement plus élevées.
Les pièces béryllisées s’usent plusieurs fois moins vite que les pièces en acier. Le plus intéressant est que ce traitement ne requiert qu’une quantité infime de béryllium. Lorsque le procédé est utilisé correctement, un kilo de béryllium permet de traiter des centaines, voire des milliers de pièces diverses.
Il ne se passe pas de mois sans que nous apprenions de nouveaux détails sur les remarquables propriétés des alliages de béryllium. On s’est aperçu qu’il suffisait d’ajouter deux pour cent de béryllium à du cuivre pour obtenir un alliage plus dur que l’acier inoxydable. L’addition de béryllium confère d’ailleurs aux alliages une propriété supplémentaire : la résistance à la « fatigue ». On a en effet constaté que les objets métalliques sont également sujets à la fatigue. Les meilleurs ressorts d’acier, par exemple, sont incapables de résister à plus d’un million de compressions, alors que les ressorts en bronze de béryllium, alliage de béryllium et de cuivre, sont capables d’en supporter 25 fois plus.
On sait que le cuivre est un excellent conducteur de l’électricité. Or, l’addition à du cuivre d’une faible quantité de béryllium en améliore encore considérablement la conductibilité. Il est superflu d’insister sur l’avantage que représente cette propriété du béryllium dans l’industrie, puisque les déperditions de courant sont d’autant plus réduites que la conductibilité est plus élevée.
Le béryllium est devenu irremplaçable dans la fabrication des ampoules de Rœntgen utilisées en radioscopie. Il est aux rayons X ce que le verre le plus transparent est à la lumière. Alors que la presque totalité des métaux s’opposent au passage des rayons X, le béryllium, lui, est « transparent » à ces rayons.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur le béryllium, métal qui est en quelque sorte en train de renaître pour une vie d’actions glorieuses.
Quinze jumeaux
Un récit détaillé de la façon dont furent découverts les quinze éléments contenus dans une seule case du tableau de Mendéléev serait non moins passionnant et dramatique que l’Odyssée, par exemple, et, en tout cas, plus long. Les aventures du vaillant et ingénieux Ulysse ne sont rien en comparaison de celles que vécurent les chimistes avant de réussir à mettre un ordre relatif entre les cases 57 et 71 de la classification périodique.
Il s’agit de l’intervalle occupé par les éléments du groupe dit des terres rares. Leur dénomination témoigne déjà de leur grande rareté. Il y a seulement une dizaine d’années, les composés de métaux des terres rares n’apparaissaient guère qu’à l’occasion d’expériences de chimie inorganique pratiquées en salle de cours. Alors, le professeur qui sortait de sa poche de gilet une éprouvette hermétiquement bouchée contenant une poudre d’aspect ordinaire, quelque sel de néodyme ou d’ytterbium, se gardait bien de la faire circuler dans les rangées de peur qu’elle ne soit brisée, mais ne manquait jamais, en revanche, de se lancer dans de longues digressions sur la façon dont il avait réussi à se procurer cet échantillon.
Un récit même très succinct de l’histoire de la découverte des éléments des terres rares constituerait un traité scientifique d’une centaine de pages. Dès 1800 des dizaines de savants de divers pays se penchèrent sur le problème des éléments contenus dans les terres rares. De nombreuses années furent nécessaires même à un esprit aussi puissant que Mendéléev pour décider la place qu’il convenait d’attribuer à ces métaux dans la classification périodique. Des monceaux de papier furent couverts d’écrits et plus d’une théorie fut rejetée avant qu’on ne décide de placer ces quinze éléments dans une seule case.
En effet, les éléments des terres rares se ressemblent plus entre eux que bien des jumeaux. Ils sont inséparables, tant dans la classification périodique que dans la nature. On ne peut jamais les voir l’un sans l’autre. Mais les « maîtres » de ces éléments jumeaux, les chimistes, ne se laissèrent pas attendrir par cette touchante amitié. Elle leur valut, au contraire, bien des moments pénibles. C’est que l’étonnante similitude entre les propriétés chimiques des éléments des terres rares complique singulièrement les opérations nécessaires à leur séparation. Jusqu’à ce qu’on trouve le moyen de déterminer expérimentalement le numéro d’ordre de tel ou tel élément, les chimistes n’étaient jamais certains qu’un élément donné appartenant au groupe des terres rares ne fût pas en réalité un mélange de plusieurs éléments.
Si on regarde le schéma représentant l’ordre dans lequel furent découverts les éléments du groupe des terres rares, on se trouve en présence d’une situation semblable à celle de la reproduction de bactéries. Au début on ne connaissait que deux de ces éléments : l’yttrium et le cérium. Puis on s’aperçut que le cérium contenait un second élément, appelé lanthane. Le lanthane ne resta pas longtemps seul. Des recherches méticuleuses révélèrent que l’élément considéré auparavant comme du lanthane pur était en réalité un mélange de lanthane et de didyme. Mais c’est en vain qu’on chercherait cet élément dans la classification périodique. On s’aperçut en effet quelques années plus tard que le didyme consistait à son tour en deux éléments : le didyme proprement dit et le samarium. Or, ce didyme se révéla lui aussi être un mélange de deux éléments qu’on appela praséodyme et néodyme. Quant au samarium il ne voulut pas demeurer en reste lui non plus et il « essaima » les éléments gadolinium et europium.