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Mais le plus intéressant, c’est que même en ajoutant les pourcentages de ces 23 autres éléments, nous n’obtiendrons pas exactement 0,08%. Il y aura encore un reste d’environ un millième de pour cent et pour déterminer ce qu’il contient il a fallu avoir recours à toutes les subtiles méthodes d’analyse décrites précédemment qui ont permis d’établir avec une certitude absolue la présence de 30 autres éléments chimiques.

Cela fait 76 éléments en tout, soit le tableau de Mendéléev presque tout entier dans un morceau de blende.

Ce minéral n’est pas une exception. N’allez surtout pas croire que la blende a été choisie comme exemple parce qu’elle serait la seule à posséder cette remarquable particularité. Il n’en est absolument rien. Il a été prouvé expérimentalement que tous les minéraux renferment un nombre d’éléments chimiques tout aussi élevé que la blende.

Des minéraux on est passé à l’étude d’autres corps. On s’est alors aperçu que tout objet soumis à une analyse poussée, que ce soit un morceau de craie ou du lait de vache, un cendrier ou un marteau, un cahier ou une louche, recèle la presque totalité des éléments de la classification périodique. Comme dans le cas de la blende, la proportion des divers éléments varie de dizaines à des dixièmes de pour cent et moins. Pour certains éléments, la teneur qui ne dépasse pas un cent-millième de pour cent ou même moins doit être exprimée à l’aide de chiffres de 5 ou 6 décimales.

Un cent-millièmc de pour cent, ce n’est pas grand-chose. Si une roche donnée s’avérait contenir une proportion aussi infime d’un élément quelconque, il faudrait traiter dix mille kilogrammes pour en extraire 1 gramme de l’élément en question. Voilà pourquoi il serait absurde de vouloir extraire de l’or de la blende, bien que sa présence y soit indiscutable.

Il est clair qu’en l’absence de méthodes d’analyse aussi perfectionnées, nous ne serions pas en mesure de prouver l’omniprésence des éléments chimiques.

Il a certes fallu parvenir à une virtuosité peu commune pour arriver à déceler la présence d’un élément et à en déterminer la quantité alors que sa proportion ne dépasse pas quelques dix-millièmes ou cent-millièmes de pour cent. Cette virtuosité n’a pas été inutile car la faculté de manier les quantités de matière infinitésimales a valu à la science des découvertes telles que même dans des centaines d’années on les qualifiera encore d’étonnantes. Le lecteur le plus pointilleux ne m’accusera pas d’avoir employé ce qualificatif à la légère lorsqu’il aura fait connaissance avec les problèmes traités dans les chapitres qui suivent.

L’ALCHIMIE DU XXE SIÈCLE

Une histoire gasconne

Les véritables alchimistes ne passaient certainement pas leur temps dans de lugubres sous-sols : le plus souvent ils travaillaient en plein air. C’étaient des gens ordinaires et souvent gais. Et même, ils ne portaient pas tous la barbe, et bien peu d’entre eux avaient dans leur laboratoire un objet aussi macabre qu’un crâne humain. Non, les alchimistes ne ressemblaient pas le moins du monde aux portraits qu’en font les peintres contemporains !

Ils n’étaient pas non plus des aigrefins tels que les auteurs de certains livres et récits consacrés à la chimie du Moyen Age se plaisent à les représenter. Jamais l’esprit de lucre n’aurait pu faire progresser la science, d’autant plus au cours des siècles. Que l’alchimie ait été une science est indubitable. Certes, il y eut des alchi-mistes dont le but essentiel était l’obtention de l’or. Il y eut également de vulgaires escrocs abusant de la naïveté de grands personnages. Les vieux livres et revues contiennent des tas d’histoires sur ces filous. Il est intéressant de noter que pas un d’entre eux ne périt de sa mort naturelle. Les uns moururent sur la potence une fois démasqués ; d’autres, dès la première expérience « couronnée de succès », furent exécutés par les rois qui craignaient de voir le possesseur du « secret » s’enfuir chez le duc voisin pour lui proposer ses services ; d’autres encore furent lentement mis à mort, torturés par la Sainte Inquisition.

Quant aux alchimistes qui poursuivaient modestement leurs travaux dans leurs laboratoires privés, on n’en parle que fort peu. S’ils cherchaient la « pierre philosophale » ce n’était pas seulement pour sa capacité de transmuter les métaux vils en or. Cette pierre pour eux était avant tout un remède contre les maladies et un moyen de prolonger la vie. Ces obscurs alchimistes sont justement les auteurs de traités, ridicules à nos yeux mais pleins de sens pour l’époque, dans le genre de « De la vertu et de la composition de l’eau ». Mais oui, la vertu faisait partie, elle aussi, du domaine de l’alchimie !

Tandis que des aigrefins, s’affublant du nom d’alchimistes, recherchaient les meilleurs moyens de tromper les avides et peu intelligents personnages au pouvoir, les vrais alchimistes se penchaient inlassablement sur leurs cornues, dissolvant, distillant, cuisant, agitant des centaines de substances, et faisant ainsi progresser la chimie d’une façon considérable.

Mentionnons tout d’abord que les alchimistes ont presque décuplé par rapport aux anciens Grecs le nombre des composés connus de la science. Les alchimistes ont découvert les moyens les plus importants pour agir sur une substance ou sur un mélange de substances dans le but de provoquer une réaction chimique. Nous nous servons encore de nos jours de moyens presque identiques. Les alchimistes ont inventé des appareils très divers ; un grand nombre d’instruments que l’on voit aujourd’hui sur les tables des laboratoires de chimie nous viennent en droite ligne, presque inchangés, du laboratoire de l’alchimiste ; c’est le cas des matras, entonnoirs, cornues, appareils à distiller. Ce sont justement les alchimistes qui ont découvert les acides les plus importants, de nombreux composés organiques, le procédé de la distillation sèche du bois.

Pour le début de mon récit sur l’alchimie du XXe siècle, j’estime de mon devoir de donner au lecteur une image véridique de l’alchimie authentique, le convaincre que le mot « alchimiste » ne doit pas être pris dans un sens péjoratif. A ce propos, il m’a semblé que l’histoire du moine bénédictin Lorenzo Picca formerait la meilleure illustration de ce que j’avance.

Cette histoire, je l’ai trouvée par hasard en feuilletant un vieux livre publié en allemand en 1809 et contenant divers renseignements sur l’histoire des sciences naturelles. C’est dans ses pages épaisses et toutes craquelées par le temps que j’ai lu l’histoire du moine Lorenzo Picca. Bien sûr, elle y était exposée en termes secs et volontairement dénués de passion, termes considérés à l’époque comme les seuls convenant à un ouvrage scientifique. Mais il ne m’a pas été bien difficile de lire les détails, « entre les lignes », comme on dit. Voici cette histoire.

Le vent soulevait, des dunes du rivage, des jets de sable fin et piquant qui chantaient une chanson déchirante rappelant les gémissements des âmes pécheresses en enfer. Quand cette comparaison fut venue à l’esprit du prieur du monastère bénédictin de Saint-Nazaire, il ne put s’empêcher de sourire, malgré le tragique de la situation. Le monastère se dressait à quelques lieues de l’océan sur la rive droite de la Loire et se détachait nettement sous les rayons du soleil couchant. S’enfonçant dans le sable et respirant avec peine, les frères bénédictins, partis du monastère avec leur prieur, se traînaient péniblement à genoux stimulés par le chant monotone de deux enfants de chœur déjà passablement enroués.