Quelques jours plus tard, les moines déclarèrent au nonce du pape revenu au monastère et attendant avec impatience le résultat des expériences, qu’ils renonçaient à chercher le secret de la fabrication de l’or, puisque, de toute façon, cela ne pouvait mener à rien.
On se représente sans peine la colère du haut dignitaire. On imagine aisément avec quelle précipitation, certainement indigne d’une fonction aussi élevée, il fit seller son cheval et quitta le monastère. Quelque temps après arriva une dépêche du pape enjoignant aux moines d’aller quémander le pardon de cette insubordination sans précédent auprès du pape lui-même à Avignon. Il était précisé que le trajet de Saint-Nazaire à Avignon devait être fait à genoux. Une exception n’avait été consentie qu’en faveur du prieur. Voilà pourquoi les dix-sept moines partis du monastère de Saint-Nazaire se dressant sur la rive droite de la Loire et se détachant nettement sous les rayons pourpres du soleil couchant, se traînaient à genoux parmi les dunes…
Quatre points d’interrogation
Le problème de la transmutation des éléments passionna plusieurs générations de savants. Mais la nature cachait jalousement le secret de ce qui constituait l’un de ses mystères les plus sacrés. La théorie atomique, qui fut adoptée en chimie vers la fin du siècle dernier, balaya comme fétus de paille toutes les idées mystiques sur la possibilité de transformer un élément en un autre à l’aide de quelque « force spirituelle ». Les adeptes de ces théories n’étaient pas tant des alchimistes (lesquels bien souvent ne savaient pas eux-mêmes ce qu’ils disaient) mais tout simplement des idéalistes. La théorie atomique produisit le même effet sur toutes ces élucubrations sans aucun rapport avec la science que le chant du coq sur l’esprit malin.
D’un autre côté, en proclamant l’atome un et indivisible, les savants tombèrent dans l’erreur opposée car cette affirmation ne fit que se renforcer et la transmutation d’éléments en vint donc à être considérée comme irréalisable.
Il fallut attendre jusqu’au début du XXe siècle pour que s’entrouvrît, en grinçant sur ses gonds, la porte derrière laquelle s’abritait le secret de la transmutation des éléments, laissant filtrer un mince rayon de lumière. Les premiers à l’apercevoir furent les célèbres savants Marie Curie-Sklodowska et Pierre Curie qui réussirent à atteindre la porte sacrée en escaladant les gradins taillés par Dmitri Mendéléev.
… Ranger dans un système ordonné la masse confuse de toutes les données sur les propriétés des éléments chimiques et de leurs composés constituait une tâche excessivement ardue. Car plus d’un tiers des éléments chimiques connus de nos jours n’avaient pas encore été découverts. Mendéléev fut le premier à indiquer combien il devait y avoir d’éléments en tout et à prédire les propriétés de nombreux éléments encore inconnus.
Mais retournons dans le passé.
Mendéléev déplace patiemment ses fiches. Pour le moment il n’y a pas encore de loi. Les gardiens de nuit et les concierges ont cessé de s’étonner de voir constamment de la lumière à l’une des fenêtres du bâtiment des professeurs de Г Institut Technologique.
Mais voyons comment se présentait la première classification périodique des éléments telle qu’elle fut publiée par Mendéléev au printemps 1869. Celui-ci mit des points d’interrogation aux endroits où, d’après ses hypothèses, devaient se trouver les éléments inconnus de la science. Mendéléev y décrivait les éléments encore à découvrir « ekabor », « ekaaluminium », « ekasilicium ». Quelques années plus tard, ces éléments furent trouvés et reçurent leurs noms actuels : scandium, gallium, germanium. La découverte d’éléments nouveaux ne fut plus fortuite mais résulta de recherches scientifiques systématiques. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’il n’ait fallu que quelque 50 ans après la création de la classification périodique des éléments pour ajouter encore 30 éléments aux 63 découverts lors des deux premiers siècles de l’existence de la chimie.
La façon dont les emplacements vides du tableau de Mendéléev furent remplis est une histoire très intéressante dont on ne saurait passer la fin sous silence.
Nous sommes en 1925… Un nouvel élément inconnu de la science mais prévu par Mendéléev, l’élément 75, ou rhénium, vient d’être découvert. Le tableau ne contient plus que quatre emplacements vides, les cases 43, 61, 85 et 87, dans lesquelles au lieu des symboles des éléments chimiques figurent encore des points d’interrogation. Les recherches les plus poussées afin de découvrir ces éléments dans divers minéraux et composés chimiques n’ont encore donné aucun résultat.
Tous les procédés de recherche possibles furent tour à tour essayés. Tous les gisements probables furent examinés, on eut recours aux moyens les plus fantastiques pour renrichissement éventuel des minerais en éléments inconnus. Mais les mystérieux éléments des cases 43, 61, 85 et 87 se dérobaient toujours.
Et le temps passait…
Années 1930. Les tableaux de la classification périodique de Mendéléev suspendus dans les salles de classe et dans les laboratoires des chimistes, publiés dans les revues scientifiques et les manuels, comportent toujours les quatre points d’interrogation. Et combien de points d’interrogation n’y a-t-il pas dans les carnets de travail des savants, les registres de laboratoire des expérimentateurs ?
Un rayon de lumiere
La capacité de certains éléments à se désintégrer avec émission de rayons spéciaux découverte par Henri Becquerel étonna ses contemporains. La radio-activité fut alors à la mode non seulement dans les milieux scientifiques mais encore dans de larges couches de la société. Les élégantes de Paris préféraient le modeste laboratoire des époux Curie aux expositions de tableaux de Monet ou aux spectacles auxquels participait une prima donna italienne. Toutes les conversations concernaient les merveilleux matras remplis de solution de sels de radium capables d’émettre des rayons lumineux dans l’obscurité. A Londres, on se pressait en foule aux conférences du célèbre chimiste Soddy consacrées aux étonnantes propriétés du radium. Bien des années plus tard, Marie Sklodowska écrivit dans ses mémoires à quel point elle fut lasse du tapage qui suivit la découverte du radium.
La presse boulevardière décrivait sur tous les tons les propriétés du radium bien qu’elle fût surtout frappée par le prix fabuleux de ce métal qui coûtait alors plusieurs centaines de milliers de dollars le gramme.
Quant aux savants, ce qui les passionnait c’était l’ampleur scientifique de la découverte des époux Curie. Le phénomène de la radioactivité prouvait clairement que l’atome n’était nullement quelque chose d’immuable, d’indivisible. La transmutation des éléments apparaissait désormais possible. Mais s’il en était ainsi, l’étude détaillée du phénomène de la radio-activité ne pourrait-elle pas nous permettre de comprendre la structure interne de l’atome ?
Les années qui suivirent comblèrent les espérances des savants. L’étude de la radio-activité s’avéra effectivement l’unique moyen permettant de percer les secrets de la structure de la matière.
Lorsque la radio-activité — c’est-à-dire la transformation naturelle des atomes d’éléments — eut été suffisamment étudiée, une question se présenta : puisque la transmutation spontanée d’un élément en un autre est possible, pourquoi ne pas tenter de provoquer ce processus artificiellement ?
La réponse ne se fit pas attendre. Le rythme du progrès de la science au XXe siècle n’était plus celui des siècles précédents. Vingt et quelques années s’étaient à peine écoulées depuis la découverte de la radio-activité que certains événements firent réapparaître dans les colonnes des revues scientifiques un mot démodé et déjà couvert de la poussière du temps, le mot « alchimie ».