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C'était le 7 mai 1933, dans la ville de Kiel, là où en 1918 les marins s'étaient révoltés contre leurs officiers, où les groupes spartakistes avaient essayé de recommencer Cronstadt. Mais depuis ?

Hitler regarde Goebbels qui s'explique toujours, qui renseigne son Führer sur la situation à Berlin d'où il arrive. Il n'a pas eu le temps de voir Gœring.

Il a pris l'avion, a atterri à Bonn-Hangelar, mais le Führer venait de partir pour sa tournée d'inspection des camps du R.A.D. A Essen, on lui a dit que le Führer était à l'hôtel Dreesen à Godesberg, qu'il avait tenu une conférence politique dans l'après-midi, alors il a immédiatement décidé de le rejoindre ici, à Godesberg. La musique du Service du Travail joue sur l'autre rive. Elle reprend périodiquement le Horst Wessel Lied et le Saar Lied. « Camarades, ceux des nôtres que le Front rouge et la Réaction ont abattu sont, en esprit, toujours parmi nous, et marchent dans nos rangs ». Puis viennent et reviennent des marches militaires : la Badenweilermarsch, le morceau préféré de Hitler.

Il fait frais, et dans l'obscurité, on devine que le ciel se couvre, il pourrait éclater l'un de ces orages brutaux de l'été. Goebbels parle : certes il a abandonné depuis 1926 Gregor Strasser qui refusait de lier le parti nazi à la droite traditionnelle. Il a rejoint le camp de Hitler qui, après l'échec du putsch de novembre 1923, sait qu'il faut conquérir le pouvoir avec l'appui des forces conservatrices, donc limiter le programme social et révolutionnaire à la démagogie antisémite. Mais sait-on jamais ? N'a-t-il pas trop longtemps gardé le contact avec Rœhm, n'est-il pas suspect ? Hitler se tait.

Goebbels parle. Il n'a plus rien de commun avec Ernst Rœhm. Rœhm qui, en juin 1933, lance une proclamation où il déclare : « Une victoire grandiose a été remportée, mais ce n'est pas la victoire. » Rœhm qui menace toujours : «  Si les âmes petites-bourgeoises croient suffisant que l'appareil d'Etat ait changé de signe », elles se trompent. « Que cela leur convienne ou non, nous continuerons notre lutte. S'ils comprennent enfin quel est l'enjeu, nous lutterons avec eux, s'ils ne veulent pas : sans eux ! Et s'il le faut contre eux ! » Rœhm incorrigiblement provocant ; quand Gœring annonce le licenciement des policiers auxiliaires S.A., le chef d’Etat-major rassemble ses troupes. 6 août 1933, chaleur toujours de cette journée d'été d'il y a un an :          80 000 hommes au moins en uniforme brun, 80 000 membres des Sections d'Assaut sont groupés à Tempelhof, dans la banlieue de Berlin, près du champ d'aviation. Le ciel est couvert et l'atmosphère est lourde, brûlante de passion. Clameurs, approbations, hurlements, Rœhm ne mâche pas ses mots : « Celui qui s'imagine, s'écrie-t-il, que la tâche des Sections d'Assaut est terminée, devra se résigner à l'idée que nous sommes là et que nous resterons là, quoi qu'il advienne. »

Tel est le langage du chef d'Etat-major Rœhm. Mais les S.A. sont plus nets encore : « Il faut nettoyer la porcherie, disent-ils. Il y a des cochons qui en veulent trop, on va les écarter de la mangeoire, et plus vite que ça », et ils lèvent leurs mains épaisses habituées à bousculer et à frapper.

LA DETERMINATION DES SECTIONS D'ASSAUT

Et Rœhm n'abdique pas. Suit-il ses troupes, les devance-t-il pour ne pas être débordé par elles et mieux canaliser la colère des hommes en chemise brune ou bien entretient-il leur hargne et leurs espoirs de butin pour disposer de leur soutien dans sa lutte personnelle pour le pouvoir ?

En novembre 1933, il récidive. Dans Berlin, enveloppé par un brouillard glacé les groupes de S.A. stationnent devant le bâtiment massif du Sportpalast. La salle est déjà pleine : 15 000 gradés de la Sturmabteilung sont là, massivement, impressionnants dans leur uniforme brun. Ils saluent le capitaine Rœhm quand il apparaît à la tribune et lance sans ménagement : «  De nombreuses voix s'élèvent dans le camp bourgeois et prétendent que la S.A. a perdu toute raison d'être... Ils se trompent, ces messieurs ». Les S.A. se lèvent, acclament Rœhm avec enthousiasme.  «  Nous extirperons le vieil esprit bureaucratique et l'esprit petit-bourgeois par la douceur ou, si c'est nécessaire, sans douceur ». Nouvelles acclamations, nouveaux cris.

Puis les S.A. se répandent dans les rues et les brasseries. Bientôt, annoncent-ils, viendra la seconde révolution, la vraie révolution. Et ce sera la Nuit des longs couteaux. On l'attend.

Pas seulement les S.A., mais tous ceux qui craignent la prolongation des troubles. Durant cette Nuit des longs couteaux dont parlent les S.A., qui égorgera-t-on ? Cette nuit que veulent les chemises brunes, pour laquelle spontanément ils ont trouvé cette appellation sinistre, quand viendra-t-elle ? On a peur en ce début de l'année 1934. La prise du pouvoir par Hitler, il y a un an à peine, semble n'avoir été qu'un bon souvenir par rapport à ce qui se prépare dans l'armée brune. « Nous ne sommes pas un club bourgeois, rappelle Rœhm, je ne veux pas conduire des hommes qui plaisent aux boutiquiers, mais des révolutionnaires qui entraînent leur pays avec eux ». Mais les boutiquiers, mais le pays ont soif d'ordre et de paix civile. N'est-ce pas précisément pour cela qu’Hitler a été porté au pouvoir ?

Hitler écoute Goebbels. Sur la rive, les porteurs de torche du R.A.D. défilent maintenant en criant et en chantant en cadence. L'orage s'est rapproché : le tonnerre roule dans la vallée entre les collines et à l'horizon, vers Bonn, de brusques zébrures bleutées brisent l'obscurité et révèlent les nuages noirâtres qui arrivent sur Godesberg. L'ordre, la discipline, les voici vivants dans ce défilé, dans ces uniformes que l'on devine, dans ces chants et ces slogans lancés dans la nuit rhénane. Mais le capitaine Rœhm s'est obstiné.

Il a continué à défendre ses S.A. Déjà, jeune capitaine, dans la fange des tranchées, il se faisait auprès des officiers d'Etat-major, distants et seigneuriaux, l'interprète des fantassins, ses hommes dont il partageait la vie sous les éclats des obus français. Maintenant ses hommes sont les Chemises brunes et ils répètent avec un jeune S.A. de Hambourg ces mots qui sont la rancœur des Alte Kämpfer :

« Aujourd'hui, que nous avons réussi, que la victoire est à nous, que la canaille antiallemande est à nos genoux, vous êtes là aussi et vous criez plus fort que nous : Heil Hitler ! comme si vous étiez des combattants, dégoûtants, visqueux, vous vous insinuez dans nos rangs...  Ce que nous avons conquis dans et par le sang vous tentez de le monnayer. »

Ces opportunistes qui accourent au nazisme victorieux, un mot a été forgé pour les désigner : ils sont les Märzgefallene qui s'accrochent à la victoire. Alors, la colère des S.A. éclate : « Ecoutez bien, hommes du passé, vous n'insulterez plus longtemps les Alte Kämpfer... »

Bientôt ce sera donc la Nuit des longs couteaux, la nuit du vrai règlement de comptes avec les « gardiens de la Réaction », comme disent les S.A. Et Rœhm se range aux côtés de ses hommes. Le 16 avril 1934, il défend les droits communs que le ministère de l'Intérieur veut chasser des S.A. Rœhm protège ses camarades.

« Lorsque, au cours des années de lutte qui précédèrent la prise du pouvoir, écrit-il, nous avions besoin d'hommes à poigne, alors des citoyens qui, dans le passé, s'étaient écartés du droit chemin sont venus grossir nos rangs. Ces hommes chargés d'un casier judiciaire venaient à nous parce qu'ils pensaient pouvoir effacer leurs fautes en servant dans les S.A... Mais maintenant beaucoup d'Alte Kämpfer des S.A. ont dû se retirer à cause de leurs antécédents judiciaires et cela dans le IIIeme Reich pour lequel ils ont risqué leur vie... Les esprits boutiquiers ne comprendront jamais que l'on puisse garder de tels éléments dans la Sturmabteilung. »