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Rœhm au mois d'avril 1934, il y a seulement deux mois, Roehm se crispant dans la défense des S.A. : le vieux camarade de Hitler sent peu à peu dans ce printemps le Führer changer, s'éloigner des Alte Kämpfer et imprudemment avec le franc-parler du reître arrogant et bravache, il n'hésite pas à dire tout haut ce qu'il pense.

Quand il rencontre Rauschning, il s'emporte : « Adolf devient un homme du monde ! Il vient de se commander un habit noir... Il nous trahit tous, il ne fréquente plus que les réactionnaires. Il méprise ses anciens camarades ».

Camaraderie déçue, amitié jalouse de Rœhm, déception presque amoureuse du plus vieux des compagnons de Hitler, ce Rœhm qui est aussi un homosexuel, lié, au-delà des sentiments normaux, aux hommes en qui il a placé sa confiance. Rœhm qui s'entoure de jeunes fils de la noblesse qui constituent un brillant Etat-major aux visages d'anges pervers : baron von Falkenhausen, comte von Spreti, prince de Waldeck : tous aides de camp du capitaine Rœhm qui sait défendre ses fidèles, Rœhm qui parle trop.

Tous les matins, Rœhm fait une promenade à cheval dans le Tiergarten. Il va avec un ou deux compagnons, dans la fraîcheur d'avril, parcourir au trot, la Siegesallee, qui, décorée des 32 statues de souverains prussiens, traverse le parc berlinois du nord au sud. Puis l'allure ralentit, Rœhm mène son cheval au pas, les jambes tendues sur les étriers, le torse bombé, il parle, il pérore. Le groupe passe devant la fontaine Wrangel, le monument de Gœthe, celui à Lessing, on s'enfonce dans les allées qui mènent vers Potsdam et que les promeneurs évitent le soir, on franchit les petits cours d'eau qui parcourent le parc. « Un matin d'avril, dit l'un des compagnons habituels du capitaine, nous rencontrâmes un groupe de responsables du Parti. Rœhm les suivit des yeux d'un air méprisant et dit :

« — Regardez bien ces types-là ! Le Parti est devenu un hospice pour vieillards, ce n'est plus une force politique. Ces gens-là ont peut-être été utiles pour obtenir une décision, maintenant ils sont un poids mort. Nous devons nous en débarrasser rapidement Alors, alors seulement, pourra commencer la vraie révolution ».

Rœhm a parlé avec détermination, il presse sa monture qui prend le trot

« — Comment cela serait-il possible ? demande à Rœhm son compagnon.

« — J'ai mes S.A. »

Matin d'avril 1934 dans le Tiergarten.

LE DISCOURS DU 18 AVRIL 1934

Bien sûr Hitler et ceux qui l'appuient, ceux qui craignent les « longs couteaux » des tueurs et que rassure le Chancelier partisan de l'ordre et de la grande industrie, savent ce que pensent Rœhm et ses S.A. et ce qu'ils espèrent. D'ailleurs Rœhm ne dissimule rien. Le 18 avril 1934, celui que, privilège unique, le Führer tutoie, qui commande les forces les plus nombreuses du IIIeme Reich, celui qui est ministre d'Etat, chef d'Etat-major de la Sturmabteilung décide de frapper publiquement un grand coup. Il convoque le corps diplomatique et les journalistes étrangers pour une conférence de presse, officielle, à Berlin. Pas une ambassade n'est absente, tous les correspondants de presse sont là. Quand Rœhm se lève, trapu et rond dans son uniforme brun, le silence s'établit instantanément. Chacun ici comprend que, à l'occasion de ce discours, Rœhm s'adresse à l'Allemagne, à ses camarades qui sont au pouvoir et à Adolf Hitler.

Rœhm parle d'abord des principes du national-socialisme : « Le national-socialisme, s'écrie-t-il, signifie la rupture spirituelle avec la pensée de la Révolution française de 1789 ». Cela est banal et ressemble à ce que répète depuis des années Rosenberg, l'idéologue du Parti. L'intérêt décroît : se serait-on trompé sur Rœhm ?

Le capitaine fait une pause. Dans le grand salon brillamment éclairé où la chaleur est lourde, on toussote, les chaises remuent. Par les larges baies on aperçoit le jardin pris dans une lumière douce d'avril.

« Je vais vous parler de la Sturmabteilung et de sa nature ». Immédiatement tout le monde se fige, «  La S.A. est l'héroïque incarnation de la volonté et de la pensée de la révolution allemande », commence Rœhm, puis il fait l'historique de la formation qu'il commande. « La loi de la S.A., continue-t-il, est nette : obéissance, jusqu'à la mort, au chef suprême de la S.A. Adolf Hitler. Mes biens et mon sang, mes forces et ma vie : tout pour l'Allemagne ».

Tout cela n'est encore que répétition de formules connues : il faut attendre. Rœhm parle de sa voix terne dans les intonations, mais puissante, voix d'officier habitué à donner des ordres, où l'accent bavarois transparaît. «  Le combat de ces longues années, poursuit-il, jusqu'à la Révolution allemande, l'étape du parcours que nous franchissons en ce moment nous a enseigné la vigilance. Une longue expérience et souvent une expérience fort amère, nous a appris à reconnaître les ennemis déclarés et les ennemis secrets de la nouvelle Allemagne sous tous les masques ».

Cela ne signifie-t-il pas qu'ils peuvent aussi avoir pris le masque nazi ? Tout le monde dès lors ne peut-il pas être l'ennemi des S.A. ? Phrase maladroite, agressive de Rœhm, qui inquiète tous ceux qui ne sont pas avec lui, derrière lui, et ses S.A.

« Nous n'avons pas fait une révolution nationale, dit-il en haussant le ton, mais une révolution nationale-socialiste et nous mettons l'accent sur le mot socialiste ». Et le ton monte encore, inhabituel devant une assemblée de diplomates et de journalistes étrangers. « Réactionnaires, conformistes bourgeois, s'écrie-t-il,... nous avons envie de vomir lorsque nous pensons à eux. » Dans la salle, c'est le silence, un silence passionné et gêné comme si les mots et le ton ne convenaient pas, comme si Rœhm s'était trompé de public et de lieu et se croyait au Sportpalast. « La S.A., conclut-il, c'est la révolution nationale-socialiste ! » Des applaudissements éclatent venant des côtés et du fond de la salle où sont regroupés des gradés de la Sturmabteilung. Rœhm s'assied : ses aides de camp, surtout le comte von Spreti, le congratulent.

C'était il y a un peu plus de deux mois. Et, ce soir, sur la terrasse de l'hôtel Dreesen, entre Goebbels et Hitler, c'est de cela qu'il est question même si on ne rappelle pas les termes du discours de Rœhm. C'est inutile, Hitler ne peut que se souvenir.

Brusquement, l'orage éclate, quelques gouttes énormes s'écrasent sur la terrasse. En même temps se lève un vent frais qui entraîne la légère poussière ; le tonnerre retentit dans un claquement proche. La pluie, la pluie maintenant violente, balayant le jardin devant la terrasse, courbe avec le vent les arbres et les haies. C'est une bousculade vers l'abri. Le Führer se lève lentement, il rit en repoussant ses mèches trempées, il se secoue ; Goebbels rit avec lui et marche à ses côtés en faisant de grands gestes.

Dehors, devant l'hôtel, les chants continuent, avec plus de vigueur encore comme si la pluie tendait les énergies en permettant à chacun des jeunes volontaires de montrer sa résistance personnelle. Puis, le vent tombe aussi brutalement qu'il est venu ; les dernières gouttes et c'est à nouveau le calme, il monte de la terre une fraîcheur inattendue et vivifiante.

On apporte des fauteuils secs sur la terrasse pour le Führer et pour Goebbels. Quand Hitler reparaît, des cris s'élèvent de la foule, Hitler répond en saluant presque machinalement. On l'acclame. « Le Führer a l'air grave et pensif, dira Goebbels plus tard, il regarde le sombre ciel de la nuit qui, après un orage purificateur, s'étend sur ce vaste paysage rempli d'harmonie ».

La conversation entre les deux hommes reprend : Brückner fait plusieurs apparitions, montrant des dépêches. Qui est fidèle au Chancelier, qui ne l'est pas ? Rœhm lui-même, le 20 avril, deux jours à peine après son discours devant le corps diplomatique n'a-t-il pas renouvelé son serment de fidélité au Führer ? C'était le 45eme anniversaire de Hitler. Fêtes et discours remplissaient toute l'Allemagne ; les organisations de jeunesse organisaient des défilés, le Parti des rassemblements où se succédaient, sous les portraits immenses du Führer les orateurs qui invitaient la foule à crier Heil Hitler ! Goebbels, à la propagande, avait orchestré toutes les cérémonies et Rœhm aussi célébrait, dans un ordre du jour, l'éloge de « Adolf Hitler, Chef suprême des S.A... C'était, continuait-il, c'est et ce sera toujours notre bonheur et notre fierté d'être ses hommes les plus fidèles en qui le Führer peut avoir confiance, sur lesquels il peut compter dans les bons et encore davantage dans les mauvais   jours    ». Et Rœhm concluait ; « Vive Adolf Hitler, Vive le Führer des Allemands, chef suprême des S.A. » Dissimulateur, comploteur ce Rœhm ou plutôt adversaire non pas de Hitler, mais de ceux que les S.A. appellent la Reaktion ?