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Hitler pourtant doit choisir et Goebbels est là pour qu'il n'hésite plus et pour savoir aussi quel est le choix du Chancelier.

Un S.S. s'approche de l'Oberleutnant Wilhelm Brückner et lui parle à voix basse. L'aide de camp de Hitler se lève rapidement et gagne l'intérieur de l'hôtel Dreesen. Joseph Goebbels se tait lui aussi : il attend comme le Chancelier. Voici Brückner qui revient. Il tient un message.

Devant l'hôtel, un motocycliste fait hurler le moteur de sa machine, puis repart dans un éclatement d'explosions saccadées.

Le message est du Reichsminister Gœring. Le Chancelier le lit, puis le tend à Goebbels. A Berlin, Karl Ernst, Obergruppenführer de la Sturmabteilung, aurait mis ses S.A. en état d'alerte depuis cet après-midi du vendredi 29 juin. Goebbels   confirme : il allait lui-même donner l'information. Elle est grave : la Sturmabteilung est-elle décidée à passer à l'action dans la capitale ? Est-ce la Nuit des longs couteaux qui commence ? Ce Karl Ernst est un homme résolu : l'un de ces chefs S.A. sorti de rien, qui ont servi d'hommes de main, d'hommes à tout faire, au Parti nazi, d'autant moins arrêtés par les scrupules qu'ils voyaient dans le nazisme l'occasion de s'emparer à leur profit personnel de la puissance et de la richesse. Et ils y sont parvenus.

Karl Ernst, qui n'a pas 35 ans, commande à 250 000 hommes. Ancien portier d'hôtel, ancien garçon de café, il arbore maintenant des uniformes flamboyants, baroques, abusant des médailles, des insignes. Sur sa tête puissante et vulgaire de mauvais garçon, où la bouche épaisse dit la soif de jouissances, il porte, obliquement, crânement, de façon désinvolte, sa casquette d'Obergruppenführer des S.A. Il séduit les héritières des familles de la haute société berlinoise. On le dit aussi homosexuel. Son rire, son cynisme éclatent, et ses yeux s'allument quand il visite les entrepôts abandonnés ou les caves transformées en Bunkers, tous ces lieux où les S.A.                  « corrigent » les Allemands récalcitrants. Les hommes d'Ernst bénéficient de l'impunité : vols, meurtres, viols, tout devient affaire politique et Ernst couvre ses S.A. A Berlin, on le craint : pour certains il n'est qu'un sadique, un droit commun transformé en responsable officiel, en représentant de l'ordre et de l'Etat. Il est pourtant reçu dans la bonne société et on ne le voit qu'en compagnie d'Auguste Guillaume de Prusse, quatrième fils du Kaiser. Et c'est ce Karl Ernst qui vient selon le message reçu par Hitler à Godesberg, de mettre ses S.A. en état d'alerte. Le mécontentement des Chemises brunes a-t-il donné naissance à un complot ?

Déjà, vers la fin du mois d'avril, Karl Ernst avait fait part de ses difficultés à un interlocuteur inattendu. Ernst, en effet, avait reçu l'attaché militaire français, le général Renondeau. Quelle satisfaction pour l'aventurier d'accueillir cet officier étranger, de mesurer ainsi, vraiment, qu'on a réussi. Devant le général, Karl Ernst fait étalage de son passé, de ses responsabilités nouvelles. La conversation en tête à tête dure près de deux heures. « Il me raconta, écrit le général Renondeau, maints épisodes d'une carrière qui n'est encore qu'à ses débuts mais qui a été jusqu'à la prise du pouvoir par Hitler pleine d'aventures et de coups d'audace. » Sur ses coups de main de Alte Kämpfer, Ernst est intarissable.

« Comme je lui disais, continue le général Renondeau, que ses fonctions actuelles devaient lui paraître très aisées à remplir, par comparaison avec ce qu'il avait fait, il me répondit : « Détrompez-vous. Nous avons promis beaucoup et c'est terriblement difficile à tenir. Il y a bien des impatients et des exigeants qu'il faut calmer ; j'ai commencé par pourvoir les vieux camarades qui ont mené le combat avec moi. Ceux-là sont casés, tous. Mais il y a les autres qui ne me rendent pas toujours la tâche   facile. » Et le général Renondeau ajoutait : « Cet aveu d'un des chefs les plus ardents qu'il m'ait été donné jusqu'ici de rencontrer parmi les S.A. est significatif ».

Les S.A. de Berlin, ces S.A. insatisfaits, sont maintenant, si le Chancelier Hitler se fie à Goebbels et à Gœring, en état d'alerte.

HERMANN GŒRING

On entend devant l'hôtel Dreesen à nouveau le bruit d'une moto : c'est un autre message de Gœring. Il donne des informations sur la situation à Berlin et à Munich : là aussi, les S.A. seraient en état d'alerte. Le Chancelier en relit le texte. Il ne le commente pas. Goebbels, témoin de cette nuit, assis en face du Führer, dira plus   tard : « Le Fuhrer, comme cela est arrivé dans d'autres situations graves et périlleuses, a de nouveau agi selon son vieux principe : ne dire que ce que l'on doit dire absolument, ne le dire qu'à celui qui doit le savoir et seulement lorsqu'il doit le savoir ». Hitler se tait : Goebbels n'est pas encore à mettre dans le secret des décisions. Par contre, Hitler dicte une réponse à Gœring.

D'ailleurs, durant toute la journée de ce vendredi 29, Hitler a échangé des messages avec Hermann Wilhelm Gœring et, chaque fois, la voie aérienne a été choisie. Un appareil a décollé, soit de l'aérodrome d'Essen, soit de celui de Hangelar près de Bonn pour Tempelhof. De là, un courrier rejoint Gœring qui a communiqué avec Hitler de la même façon. Souci du secret, de la rapidité, mais aussi marque du style de Hermann Gœring qui cumule les fonctions, à la fois de ministre sans portefeuille dans le cabinet de Hitler, de ministre de l'Intérieur du gouvernement prussien, de commissaire du Reich pour l'Aviation. Du Reichsminister Gœring, le Chancelier sait qu'il n'a pas à craindre une quelconque complicité avec la       Sturmabteilung et son chef d'Etat-major Rœhm.

On raconte parmi les dignitaires nazis et naturellement le Chancelier est au courant, comment le 15 septembre 1933 les deux hommes se sont discrètement mais nettement heurtés.

Hermann Goering voulait présider, le jour de la séance inaugurale du nouveau Conseil d'Etat, une grande parade des forces nazies : S.S. et S.A. rassemblés devaient défiler devant lui seul. Mais Rœhm et Karl Ernst, écartés de la cérémonie, avaient fait comprendre que si elle se déroulait sans eux l'indiscipline régnerait dans les rangs des Chemises brunes, ridiculisant Goering. Ce dernier fut contraint de s'incliner. Cent mille hommes, en brun et en noir, furent rassemblés mais les S.A. et les S.S. défilèrent au pas de l'oie devant les trois chefs nazis. Ernst et Rœhm avaient fait reculer Goering. Il n'était pas homme à l'admettre et d'autant plus que son opposition à Rœhm était ancienne, profonde, faite de bien d'autres choses que de la rivalité née d'une parade à partager.

Avec Karl Ernst aussi il y a de vieux comptes et des liens anciens, liens troubles de la complicité.

Au moment où devant la Cour suprême de Leipzig s'ouvre, le 21 septembre 1933 le procès contre les communistes et van der Lubbe, accusés d'être coupables de l'incendie du Reichstag, en février 1933, une fête des S.A. bat son plein dans un grand hôtel de Berlin. On boit sec, on chante, des hommes oscillent se tenant par les épaules au rythme des chants guerriers du nazisme. Dans un coin, entouré de courtisans respectueux et admiratifs, il y a l'Obergruppenführer Karl Ernst qui parle et boit On évoque l'ouverture du procès de Leipzig contre le communiste Dimitrov, les causes de l'incendie du Reichstag. Personne ne parle de la culpabilité de Gœring ou de celle de Rœhm qui aurait placé à la disposition du Reichminister un groupe de S.A. décidés à mettre le feu au bâtiment afin de donner un prétexte à la répression qu'un mois après la prise du pouvoir, les nazis veulent exercer.