Выбрать главу

Maintenant Hermann Gœring est plus tranquille. Dans son luxueux appartement du Kaiserdamm, il reçoit royalement singeant la légèreté, lui qui pèse près de 127 kilos, montrant à tous le portrait de sa femme Karin morte d'émotions et de fatigues, alors qu'il était engagé dans la bataille pour la prise du pouvoir, Karin à laquelle il voue un culte sincère et théâtral.

Hitler le récompense de ses services et le voici en plus de ses charges ministérielles, Grand Louvetier du Reich et Grand Maître des Eaux et Forêts, s'employant à protéger les animaux par des lois précises, commençant sur la propriété qu'il s'est attribuée dans la région de Schorfheide, près du lac de Wackersee, à faire édifier un immense bâtiment, rendez-vous de chasse et demeure seigneuriale, sanctuaire, mausolée puisqu'il rêve d'y transporter le corps de Karin et qu'il donne à cette «  folie » le nom de Karinhall. Sur les landes où la bruyère est courbée par le vent froid, parmi les arbres à l'écorce noirâtre, il fait bâtir cette résidence baroque où il va pouvoir recevoir en mégalomane, puissant et habile, en maître du Reich. Mais celui que Schacht, le magicien des finances du Reich, dépeignait comme une personnalité  dont les connaissances dans tous les domaines relevant d'un homme d'Etat étaient nulles » sait bien quels sont ses ennemis.

Rœhm est de ceux-là, Rœhm dont il faut se débarrasser, pour jouir à l'aise du pouvoir, de la fortune et des titres. Et Gœring les collectionne : ne vient-il pas d'être aussi nommé général ? Ridicule, Gœring ? A écouter Schacht, on le croit. « Son comportement personnel était si théâtral qu'on ne pouvait que le comparer à Néron. Une personne qui prit le thé avec sa seconde femme raconta qu'il était vêtu d'une sorte de toge romaine avec des sandales ornées de joyaux, les doigts couverts d'innombrables bagues et ruisselant de pierreries de la tête aux pieds. Son visage était maquillé et il avait du rouge à lèvres. »

Ridicule ? Mais Schacht ajoute : « J'ai décrit Hitler comme un personnage amoral, mais je ne puis considérer Gœring que comme un être immoral et criminel ». Et l'un des proches parents d'Hermann Gœring précise : «  Son manque de scrupules l'aurait fait marcher sur des cadavres. »

Hermann Gœring, Heinrich Himmler, Reinhardt Heydrich : Rœhm, Ernst et les S.A. peuvent se méfier. Et c'est précisément Gœring qui, durant toute la journée du vendredi 29 juin 1934, communique avec Hitler et vient encore de lui expédier par avion un message à l'hôtel Dreesen à Godesberg.

3

VENDREDI 29 JUIN 1934

Godesberg. Hôtel Dreesen. Vers 22 heures.

Goebbels regarde le Chancelier qui lit ce nouveau message. « De Berlin et Munich arrivaient des nouvelles graves », commentera plus tard Goebbels. Les messages de Gœring, ceux de Himmler font état de la nervosité des S.A., de préparatifs guerriers. « Le Führer est profondément blessé dans son âme, ajoute Goebbels. Mais aussi comme il est ferme dans sa résolution d'agir impitoyablement, de jeter à terre ces rebelles réactionnaires qui, sous le slogan de Deuxième Révolution, voulaient briser la loi, la fidélité qui les unissaient au Führer et au Parti et plonger le pays dans une confusion dont ils ne pouvaient prévoir la fin. » Goebbels croit-il réellement à cette menace alors que sur la terrasse de l'hôtel Dreesen il approuve et confirme les messages que Gœring fait parvenir depuis Berlin à Hitler ?

Goebbels est en tout cas suffisamment perspicace pour comprendre qu'en cette nuit du 29 juin, il doit y croire, s'il veut rester le chef nazi et le ministre qu'il est devenu. Il doit sans doute se féliciter d'être là, dans l'ombre du Führer, à l'abri de cette ombre, protégé de Gœring, de Himmler, de Heydrich ayant choisi le même camp qu'eux. A temps.

LES SIGNES ANNONCIATEURS...

Il est vrai que les signes n'ont pas manqué depuis quelques mois et Goebbels a toujours su les interpréter. Lui qui jongle avec la vérité il connaît la valeur des mots. Et il y a presque un an déjà, le 6 juillet 1933, les premiers avertissements ont retenti.

Hitler lui-même reçoit ce jour-là, à la Chancellerie du Reich, les Reichstatthalter. Quand le Führer pénètre dans la grande salle aux murs recouverts de marbre, les responsables nazis sont debout, le bras tendu. C'est bien l'une de ces réunions militarisées qu'aime par-dessus tout Adolf Hitler. Sa voix est forte, brutale, comme si au-delà de la salle il s'adressait aux millions de Chemises brunes du Reich que la prise du pouvoir n'a pas apaisés.

« La révolution, commence le Führer, n'est pas un état de choses permanent et nous ne pouvons lui permettre d'en arriver là. Le fleuve de la révolution déchaînée doit être conduit dans le canal sûr de l'évolution ». Autant dire que la révolution est finie et qu'il n'y aura jamais de seconde révolution.

Et, le 16 juillet, à Leipzig, dans un nouveau discours, Hitler est encore plus clair :  « Les révolutions ayant réussi au départ, proclame-t-il, sont beaucoup plus nombreuses que les révolutions, qui, une fois réussies, ont pu être contenues et stoppées au moment opportun ».

Sans doute est-ce depuis ces jours de l'été 1933 que Goebbels a compris qu'il lui fallait désormais être prudent dans ses relations avec Ernst Rœhm et les Sections d'Assaut

Pourtant fallait-il déjà choisir ? Rœhm était toujours une force : Hitler lui-même n'agissait-il pas avec prudence ? Lettre personnelle, tutoiement et à l'occasion de la promulgation le 1er décembre 1933, de la loi d'union du Parti et de l'Etat, entrée de Rœhm dans le gouvernement du Reich avec son titre de chef d'Etat-major des S.A. La partie n'était donc pas jouée. Pourtant, pourtant, en même temps que Rœhm, Hess, ce personnage curieux au visage asymétrique qui avait servi de secrétaire à Hitler au temps où celui-ci incarcéré dans la forteresse de Landsberg écrivait Mein Kampf, Hess, au regard d'illuminé et de fanatique, est lui aussi entré au ministère comme chef de cabinet du Führer, son représentant personnel. Rudolf Hess, qui a donc la confiance totale du Chancelier, est devenu le deuxième personnage du Parti après Hitler.

Or, Rudolf Hess prend lui aussi position contre les méthodes chères aux S.A. :       « Chaque national-socialiste doit savoir, martèle-t-il, que le fait de brutaliser les adversaires prouve une mentalité judéo-bolchevique et représente une attitude indigne du national-socialisme ». Que pouvait penser un Karl Ernst d'une pareille phrase ? Lui, l'Obergruppenführer qui riait devant les visages martyrisés des prisonniers?

Naturellement la « correction » que Rudolf Hess demande, il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Joseph Goebbels comprend parfaitement qu'elle n'est qu'une façon, la plus payante, de se séparer des S.A., de les obliger à se plier à la discipline du gouvernement nazi, d'exiger, même dans la brutalité, l'ordre et l'organisation méthodique comme savent déjà le faire la Gestapo et les S.S.

Dès lors les avertissements aux S.A. se multiplient, de plus en plus clairs. Joseph Goebbels, lui, ne donne pas de la voix dans le chœur des partisans de l'ordre. Il attend, il note les prises de position : il comprend. Gœring licencie les policiers auxiliaires S.A. et proclame : « A partir du moment où selon les paroles du Führer et chancelier de l'Etat national-socialiste, la révolution est terminée et que la reconstruction nationale-socialiste, a commencé, tous les actes non conformes à la législation pénale, quels qu'en soient les auteurs, seront réprimés sans la moindre indulgence ».

Frick, ministre de l'Intérieur du Reich, est encore plus précis : « La tâche la plus importante du gouvernement du Reich, écrit-il, est maintenant de consolider idéologiquement et économiquement le pouvoir absolu concentré entre ses mains. Or, cette tâche est sérieusement compromise si l'on continue de parler d'une suite à donner à la révolution ou d'une deuxième révolution ». Les S.A. sont une fois de plus directement visés et Frick conclut, menaçant : « Celui qui parle encore en ces termes doit bien se mettre dans la tête que de cette manière il s'insurge contre le Führer lui-même et qu'il sera traité en conséquence ». C'était le 11 juillet 1933.