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Les mois passent et les plaintes se précisent Goebbels suit la progression des assauts insidieux ou directs que la vieille bureaucratie allemande ralliée au national-socialisme ou le Parti et ses puissants dirigeants (Gœring, Hess) mènent au nom de l'ordre contre les Sections d'Assaut et donc contre leur chef.

Frick, le 6 octobre, relève que des délits de droit commun, perpétrés par des S.A. ont bénéficié d'un non-lieu. Et le ministre de l'Intérieur du Reich poursuit : «  Le service de l'administration d'Etat nationale-socialiste et de la police ne doit plus être gêné d'aucune façon par les interventions inadmissibles des S.A. Les actes répréhensibles commis par des membres des S.A. devront faire l'objet de poursuites énergiques. » Goebbels sait lire un communiqué : celui-ci signifie que les S.A. doivent rentrer dans le rang. Quelques mois plus tard, le 22 février 1934, alors que Rœhm est devenu ministre, Hess, dans le Völkischer Beobachter, lance un nouvel avertissement: « Tout S.A. de même que tout dirigeant politique ou dirigeant des Jeunesses hitlériennes n'est qu'un combattant au sein du parti... Il n'y a, ni à l'heure actuelle ni dans l'avenir, aucune raison de mener une existence propre. »

Rœhm et les Sections d'Assaut doivent plier. Ils peuvent répéter : « Ecoutez bien, hommes du passé, Vous n'insulterez plus longtemps les Alte Kämpfer. » leur marge de manœuvre se rétrécit. Et Goebbels les voit se débattre. Il se tait encore mais il est bien placé, à Berlin, dans le Parti et dans le gouvernement pour savoir ce qui se trame. Il est d'ailleurs en contact avec Ernst Rœhm, il l'écoute, attentif à guetter dans les paroles du chef d'Etat-major ce qui peut dévoiler ses intentions. Rœhm est là, en face de lui. « Il faut, dit-il, faire de l'Allemagne, ein totaler S.A.-Staat. » Il s'obstine donc.

Goebbels suit aussi les progrès de Himmler en marche vers la puissance secrète. Il sait que Rœhm est confiant : Himmler est son vieux compagnon des temps héroïques de Munich en 1922-1923. Himmler alors faisait partie de la Reichskriegsflagge. Lors du putsch, il était derrière les barbelés, tenant le drapeau du Parti. Rœhm aime son vieux camarade Himmler ; il ne s'inquiète pas de la croissance des S.S. Il trouve normal que quelques S.A. deviennent S.S. et d'autant plus que les effectifs des S.S. ne doivent  pas dépasser 10 % de ceux des S.A. Goebbels, au printemps 1934, apprend d'ailleurs par ses informateurs que Rœhm et Himmler se sont rencontrés.

RŒHM ET HIMMLER

Vers le début mars, on a vu arriver à Rathenow, venant de Berlin qui n'est qu'à 78 kilomètres, de nombreuses voitures officielles. Elles traversent rapidement la petite ville au moment où les ouvriers des usines d'instruments optiques quittent sur leurs bicyclettes les bâtiments gris pour la pause de midi. Les voitures s'arrêtent devant l'entrée du Gut Gross-Wudicke qui appartient à M. von Gontard.

De la voiture d'Ernst Rœhm descendent aussi le S.A. Standartenführer Graf Spreti, cet aide de camp à visage de fille dont on sait qu'il est la dernière passion de Rœhm, puis le S.S. Gruppenführer Bergmann qui est aide de camp de Rœhm avec le titre de Chef Adjudant et enfin Konsul Rolf Reiner, chef du cabinet de Rœhm. Lui aussi est S.S. Gruppenführer et avec Bergmann ils sont auprès de Bœhm les agents de liaison de Himmler et ses informateurs. D'une autre voiture descendent Himmler et son aide de camp, l'Obersturmbannführer de la S.S. Karl Wolff. A pas lents, le groupe où se mêlent les uniformes noirs et bruns se dirige vers les bâtiments du domaine. Un repas doit y avoir lieu. La conversation est amicale.

Rœhm a même familièrement pris Himmler par le bras. A table, le ton des conversations monte. Rœhm qui a bu et mangé d'abondance, s'enflamme, interpelle Himmler : « Les S.S. ont une attitude conservatrice » dit-il, ils protègent la                   « Reaktion » et les petits-bourgeois, « leur soumission à la bureaucratie traditionnelle, à l'armée est trop grande ». Himmler se tait : il n'a pas l'habitude d'être ainsi frappé par des reproches publics. C'est son aide de camp Karl Wolff qui prendra — il s'en souvient encore des années plus tard — la défense de son chef, qui était un timide, dira-t-il, et des S.S.

Goebbels et les autres dirigeants du parti — Gœring d'abord — avaient eu connaissance de la rencontre et de son objet. Himmler est apparemment toujours le second fidèle de Rœhm : mais ses réseaux policiers s'étendent Gœring lui envoie des intermédiaires : Pili Körner surtout qui fait la liaison entre « l'aviateur dément », comme l'appellent certains militaires, et le chef des miliciens noirs. Gœring cherche à obtenir des garanties pour lui-même et à pousser Himmler et Heydrich contre Rœhm.

Joseph Goebbels observe ces préparatifs. Il sait que Himmler et Heydrich rassemblent à Berlin des collaborateurs sûrs, qu'ils font venir de Munich : Müller, Heisinger, Huber, Flesch. Autour de Rœhm ils resserrent le cercle.

La Gestapo et aussi des agents de renseignements de l'armée découvrent à Berlin une ancienne ordonnance du mess des officiers de Himmelstadt. Rœhm avait été en garnison dans cette petite ville. L'ordonnance est maintenant restaurateur dans la capitale. Des messieurs auxquels il n'est pas question de refuser de parler lui posent des questions précises sur la lointaine vie privée du capitaine Rœhm. A Himmelstadt, Rœhm avait une liaison avec une jeune fille, commence par dire le restaurateur. L'interrogatoire continue. Bien sûr, ajoute-t-il, les ordonnances savaient que Rœhm avaient aussi des mœurs particulières : « Vous comprenez, dit-il, il tentait toujours de se livrer, sur nous, les ordonnances, à des choses pas morales. »

Les messieurs enregistrent la déposition. Quand la police s'intéresse ainsi à la vie privée d'un ministre cela signifie, à tout le moins, que sa situation n'est plus indiscutable et que certains cherchent à constituer les dossiers de la future accusation.

C'est le mois d'avril 1934 : Rœhm proclame à tous qu'il faut poursuivre la Révolution, l'achever. « Ne débouclez pas vos ceinturons », lance-t-il aux Sections d'Assaut. Et les S.A. parlent de « nettoyer la porcherie ».

Vers la fin de ce mois d'avril, Himmler demande à Bergmann et à Rolf Reiner de lui organiser une nouvelle rencontre avec Ernst Rœhm. Démarche de la dernière chance ? L'entrevue est entourée de mystère. Goebbels ne la connaîtra que plus tard. Il semble que Himmler ait mis Rœhm en garde : « L'homosexualité, dit-il au chef d'Etat-major des S.A., constitue un danger pour le mouvement ». Il n'implique pas Rœhm lui-même mais dénonce les Obergruppenführer S.A. qui comme Heines, Koch, Ernst et beaucoup d'autres sont ouvertement, publiquement, des invertis. « N'est-ce pas un grave danger pour le mouvement nazi, continue Himmler, que l'on puisse dire que ses chefs sont choisis sur des critères sexuels ? »

Rœhm ne répond pas : il hoche la tête, il boit. Himmler évoque les bruits qui courent à Berlin : des chefs S.A. auraient organisé un véritable réseau de recrutement qui, dans toute l'Allemagne, draine les jeunes et beaux S.A. vers Berlin et les orgies auxquelles Rœhm et ses aides de camp participent Himmler se contente de rappeler l'intérêt supérieur de l'Etat, qui est au-dessus de tout. Rœhm brusquement éclate en sanglots, il remercie bruyamment Himmler de ses conseils, lui prend les épaules. Il semble que l'alcool aidant, Rœhm reconnaisse ses torts, promette de s'amender, de suivre les avis de son vieux camarade Himmler.

Les chefs S.A. quittent l'auberge retirée où a eu lieu l'entrevue. Mais le lendemain matin les agents de Himmler auprès de Rœhm lui apprennent que durant toute la nuit une des plus fantastiques orgies qu'ils aient vues s'est déroulée au Stabsquartier, le quartier général de Rœhm. Des bouteilles se sont brisées sur les trottoirs, lancées depuis les fenêtres ; les rires retentissaient jusque dans la rue. Rœhm a, toute la nuit, participé à l'orgie avec ses Lustknaben, ses garçons de joie. Himmler s'emporte. Plus tard, on l'avertit aussi que Rœhm a entrepris un voyage en Allemagne, visitant les unités S.A. Himmler comprend que l'affrontement ne peut plus tarder longtemps et quelques jours après Rœhm, il va à son tour de ville en ville donner ses ordres aux S.S.