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Joseph Goebbels qui a ses informateurs dans tous les clans sent lui aussi venir l'explication finale. Il apprend que Heydrich commence à établir des listes d'ennemis. Himmler et Gœring donnent aussi les noms de ceux qu'il faut inscrire. Himmler parle déjà du successeur de Rœhm, un chef S.A. Viktor Lutze.

Goebbels n'est évidemment pas le seul à être informé des dissensions qui se creusent entre Rœhm et les autres chefs nazis. Dès la fin mars, un correspondant à Berlin de l'Associated Press en fait état, mais le service de presse de la Chancellerie du Reich dément avec indignation de pareilles rumeurs. Démenti vaut preuve, dit-on parfois dans les milieux politiques. Hitler sent si bien qu'il n'a pas convaincu qu'il reçoit personnellement, quelques jours plus tard, le journaliste américain Louis P. Lochner. Avec la brutalité et l'audace des reporters des Etats-Unis, Lochner pose d'entrée la question décisive :

« Monsieur le Chancelier, on prétend que parmi vos proches collaborateurs, il y a des hommes qui cherchent à vous évincer. On dit ainsi que l'un d'entre eux parmi les plus éminents essaie de contrarier les mesures que vous prenez ».

Hitler ne s'emporte pas, au contraire, il sourit : « Il semblait passer en revue, note Lochner, les figures des hommes qui lui étaient les plus proches dans sa lutte et se réjouir de ce qu'il voyait en eux ». Puis, le Chancelier nie qu'il y ait dans son entourage la moindre rivalité à son encontre. « Certes, continue-t-il, je ne me suis pas entouré de nullités, mais de vrais hommes. Les zéros sont ronds : ils s'éloignent en roulant quand ça va mal. Les hommes autour de moi sont des hommes droits et carrés. Chacun d'eux est une personnalité, chacun est rempli d'ambition. S'ils n'étaient pas ambitieux, ils ne seraient pas là où ils sont. J'aime l'ambition ». Le Chancelier marque une pose. « Quand il se forme un tel groupe de personnalités, continue-t-il, des heurts sont inévitables. Mais jamais encore aucun des hommes qui m'entourent n'a tenté de m'imposer sa volonté. Bien au contraire, ils se sont parfaitement pliés à mes désirs ».

Duplicité du Führer ou espoir que tout peut encore, entre les clans qui l'entourent, se résoudre par un compromis ? Goebbels en tout cas tient compte de ces hésitations du Chancelier. Il garde le contact avec Rœhm, sert d'intermédiaire entre le chef d'Etat-major et Hitler, mais en même temps, il est prêt à l'abandonner si un signe décisif montre que Hitler a choisi la liquidation de Rœhm. Aussi Goebbels est-il prudent dans ses contacts avec Rœhm : les deux hommes se rencontrent dans des auberges discrètes, sans témoin. Goebbels sait bien que les listes de Heydrich s'allongent vite : chaque personnalité inscrite a un numéro d'ordre. Il sait aussi que Hess, Martin Bormann et le major Walter Buch, président de la  Uschla (tribunal suprême du Parti), continuent de rassembler les témoignages sur la corruption et la débauche des chefs S.A. Sur Heines, qui avait participé à l'assassinat du ministre Rathenau, les fiches s'accumulent

Car cet Obergruppenführer S.A. est lui aussi malgré son allure de fonctionnaire tranquille au visage rond, digne et soigné, un homosexuel notoire. Il est pourtant l'un des plus proches collaborateurs de Rœhm et l'un de ses compagnons d'orgie. En 1926, Hitler l'a fait rayer de la Sturmabteilung mais sur l'insistance de Rœhm il est rentré en grâce et occupe un poste de commandement

Depuis 1934 il est Polizeipräsident (préfet de police) de Breslau. Son Etat-major ressemble à celui de Rœhm : on y rencontre les «  passions » du maître. L'homosexuel Engels est Obersturmbannführer et le jeune Schmidt est aide de camp. C'est ce jeune homme de 21 ans qui est la dernière «  folie » de Heines. Quoi que fasse ce joli garçon blond, il est couvert par son amant. Quand, un jour d'ivresse, il tue d'un coup de poignard en public, un compagnon de beuverie, le Polizeipräsident interdit au parquet d'intervenir. En fait Schmidt est plus un jeune ambitieux avide qu'un inverti : il cède à Heines par goût de l'argent et sans doute est-ce pour cela que cet adhérent des jeunesses hitlériennes a accepté à 17 ans de se prêter à Heines. Aux côtés de ce couple, l'Obersturmbannführer Engels, dépravé, inverti joue le rôle du mauvais génie de Heines, de l'intrigant aux aguets. Il est de ceux qui utilisent l'organisation S.A. et la Jeunesse hitlérienne pour recruter des compagnons pour les jeux érotiques. D'ailleurs auprès des chefs S.A., Peter Granninger, en qui ils ont pleine confiance est chargé, moyennant un salaire de deux cents marks par mois, de trouver des « amis » et de mettre sur pied les fêtes de la débauche que se donnent Rœhm et ses proches.

Goebbels sait cela, et il sait aussi que les haines se sont accumulées sur la tête de Rœhm et des siens : le major Walter Buch, juge du Parti, son gendre Martin Bormann ont depuis longtemps, des années, un compte à régler avec Rœhm. Dès que Rœhm, rentré de Bolivie, a repris en main les S.A. ils ont essayé d'abattre ce rival. Au nom de la morale. Rœhm ne cache guère ses penchants : « Je ne me compte pas parmi les gens honnêtes, a-t-il dit, et je n'ai pas la prétention d'être des leurs. » En 1932, Buch a monté une opération pour liquider Rœhm et son Etat-major : les Standartenführer comte von Spreti, comte du Moulin Eckart et l'agent de renseignements des S.A. Georg Bell sont désignés aux membres d'un groupe de tueurs à la tête duquel le major Buch place l'ancien Standartenführer Emil Traugott Danzeisen et un certain Karl Horn.

Mais Horn a peur : il dévoile l'affaire aux S.A. Un matin des tueurs essaient en vain de le supprimer. Rœhm, les comtes Spreti et du Moulin Eckart se rendent compte que Horn n'a pas menti. Effrayés, ils saisissent la police de l'affaire et, en octobre 1932, Emil Danzeisen est jugé et condamné à six mois de prison pour tentative d'assassinat. Rœhm pour se protéger a même pris contact avec des adversaires du Parti nazi, des démocrates. Dans le clan des Buch, Bormann, c'est l'indignation. Ils ne lâcheront plus Rœhm : au printemps 1934, ils sont à la tâche, constituant leurs dossiers, dressant leurs listes. Eléments nouveaux et décisifs par rapport à 1932, le Parti nazi est au pouvoir et Himmler, Reichsführer S.S., Heydrich, chef du Gestapa et du Sicherheitsdienst, Gœring, Reichsminister, sont les inspirateurs de la nouvelle opération. En 1932, au contraire, Himmler n'avait pas ouvertement pris parti contre Roehm. Il avait servi de médiateur entre le major Buch et Rœhm, en vain. Peut-être se souvenait-il de ce jour de mai 1922 où à l'Arzberger Keller à Munich, il avait rencontré Rœhm pour la première fois, Rœhm qui l'avait fait adhérer à l'organisation nationaliste Reichskriegsflagge. Depuis ce jour, douze ans ont passé, la situation à changé. Himmler est désormais l'adversaire de Rœhm.

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VENDREDI 29 JUIN

Godesberg. Hôtel Dreesen. Vers 22 heures 30.

Brusquement le Führer se lève. Goebbels aperçoit alors, arrivant d'un pas rapide un S.S. qu'il connaît bien : c'est le Gruppenführer S.S. Sepp Dietrich, un homme de taille moyenne, à la mâchoire carrée et puissante, aux dents éclatantes qu'il montre souvent dans un sourire large, tranquille, inquiétant même à cause précisément de ces dents bien plantées, blanches, serrées comme celles d'un fauve. Sur son uniforme noir brillent les feuilles de chêne dorées de son grade. Sans doute le Führer a-t-il convoqué Sepp Dietrich à la fin de l'après-midi et le Gruppenführer a rejoint Godesberg aussitôt, en avion d'abord de Berlin à l'aéroport de Bonn-Hangelar, puis par la route. Goebbels se tient derrière le Führer, à quelques pas : la présence de Sepp Dietrich prouve que Hitler avance dans la décision et qu'il se donne les moyens d'agir.