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Un autre officier précise que les S.A.-Führer interdisent à leurs hommes de prendre part au cours de formation organisés par le Grenzschutz (Défense des frontières). Les plans prévus en cas de mobilisation ne pourraient donc pas être exécutés. Heines en particulier avait promis qu'il porterait remède à cette situation, mais l'Oberst von Rabenau avait dû plusieurs fois retourner à Breslau et toujours en vain : Heines jurait que tout allait s'arranger mais rien ne changeait. Les officiers pestent contre ces « amateurs », ces irresponsables, qui compromettent la défense du Reich. Le général von Brauchitsch résume le sentiment de beaucoup de ses camarades, ceux dont les mobiles sont les plus sincères quand il confie à ses proches : « Le réarmement est une entreprise trop grave et trop officielle pour qu'on puisse y faire participer une bande d'escrocs, d'ivrognes et d'homosexuels. »

La tension monte. Rœhm multiplie les interventions. Les généraux se réunissent. Hitler, entre les millions d'hommes de la S.A. et la puissante Reichswehr qui détient la clé de la succession de Hindenburg, Hitler hésite, favorable à un compromis. Mais chaque jour sa marge de manœuvre se réduit.

«  Le rocher gris sera submergé par la marée brune » (la Reichswehr par les S.A.), chantonnent les S.A. devant les soldats. Ils giflent un officier qui ne s'est pas incliné devant le drapeau S.A. Le S.A. commissaire aux Sports du Reich, entrant dans le bar d'une garnison et n'étant pas salué par un aspirant, le maltraite et crie : « Tu ne peux pas te lever, petit morveux, quand le commissaire aux Sports du Reich arrive ? »

Réunis à la Bendlerstrasse, stricts, immobiles, les généraux écoutent le récit de ces incidents, au cours d'une de ces conférences qui régulièrement se tiennent sous l'autorité du général ministre de la Guerre. Les conclusions tombent, sèches, les officiers qui ne se sont pas défendus doivent être renvoyés de l'armée. L'aspirant aurait dû gifler le commissaire aux Sports du Reich. Les instructions partent de la Bendlerstrasse vers les commandants de garnison : « Il est nécessaire de renforcer chez les officiers et tous les membres de l'armée, concluent-elles, le sentiment de leur propre valeur ».

Mais Rœhm ne plie pas. Au contraire. Il fonce vers son but : une nouvelle armée. Il sait qu'il tient une force ; il veut contraindre Hitler à prendre parti pour lui.

Le 2 février tous les chefs de corps de la Reichswehr sont réunis à Bendlerstrasse. Objet de la réunion : rapports S.A.-Reichswehr. Ambiance glaciale. Blomberg annonce que Rœhm a remis un mémorandum : il propose, ni plus ni moins, la création d'un grand ministère qui regrouperait toutes les formations armées du Parti et de l'Etat. Ce serait la fin de la Bendlerstrasse, la fin de l'organisation patiemment mise au point par von Seekt, la fin du Truppenamt, la fin de la Reichswehr. Le refus se lit sur tous les visages. Le général Liebmann, qui note le texte des déclarations, relève que von Fritsch déclare «  qu'il va s'opposer de toutes ses forces et de toute sa personne aux exigences présentées par les S.A. ». Fritsch aura derrière lui toute l'armée : pas un seul officier n'admettrait Rœhm comme successeur des généraux de la Bendlerstrasse, héritiers du Grand Etat-major. Et il ne fait aucun doute que le'maréchal-président Hindenburg ne pourra même pas envisager la chose. Si Rœhm veut l'emporter, il lui faudra bien faire une seconde révolution. Avec, sans, ou contre le Führer.

Ce 2 février, après un court exposé de la question, von Blomberg quitte la salle, puis Fritsch reprend la parole pour traiter en technicien brillant les questions d'instruction militaire. Tout à coup, une ordonnance pénètre dans la salle, se penche, cassée en deux, vers le général von Reichenau, Fritsch poursuit son exposé. Reichenau se lève. Il s'excuse, il a un message urgent à lire. Dans la vaste salle, austère et solennelle comme une église luthérienne, c'est le silence. Von Reichenau lit d'une voix nette : « Je reconnais la Reichswehr uniquement comme école de la nation. La conduite des opérations et par conséquent également la mobilisation sont à l'avenir l'affaire de la Sturmabteilung. Heil Hitler. Rœhm. »

Le télégramme est une véritable provocation. Tous les chefs de la Reichswehr vont faire bloc : Blomberg, Fritsch, Reichenau, les commandants des sept Wehrkreise (régions militaires) manifestent leur refus. Von Blomberg demande à être reçu par Hitler, il aurait présenté sa démission. Ce qu'elle signifierait, Hitler le sait : l'hostilité de la Reichswehr, l'impossibilité de succéder à Hindenburg sans affrontement avec tous ceux (conservateurs, chrétiens, opposants, indifférents) qui ne sont pas nazis. Et ils sont nombreux. Le Führer ne peut que refuser la démission de von Blomberg, il doit donner satisfaction à l'armée.

Mais... il y a les S.A. Et Rœhm qui ne cède pas. Il vient même de demander qu'on incorpore dans la Reichswehr 2 000 officiers et 20 000 sous-officiers S.A. Le Führer se résout à convoquer son vieux camarade. Le chef d'Etat-major se rend à la Chancellerie. C'est la fin février : le temps sur Berlin est implacablement froid et clair. Rœhm arrive d'un pas décidé. Il connaît bien Hitler : il sait que le Fuhrer déteste les oppositions et qu'il lui arrive de céder si elles sont tenaces. Rœhm est tenace. Dans l'antichambre, il remarque le comte von Tschirchsky, l'un des collaborateurs directs de Franz von Papen, cet homme de la Reichswehr et de Hindenburg que le Führer a accepté comme vice-chancelier. Maintenant ce renard de Papen espère exploiter, au profit des conservateurs, au profit de son clan militaire, l'opposition des S.A. à la Reichswehr. Dans certains milieux, on murmure qu'un plan existe pour pousser la S.A. à une action : Hindenburg inspiré par Papen décréterait l'état d'exception au bénéfice de la Reichswehr. Pour Hitler, on verrait bien. Rœhm soupçonne cela. Hitler aussi, et le Chancelier sait bien que sa force lui vient d'être ainsi entre deux forces : S.A. et Reichswehr.

Tschirchsky dans l'antichambre patiente depuis un long moment II entend des éclats de voix de plus en plus violents. Brückner à son poste ne bouge pas. Les voix montent encore. Tschirchsky reconnaît celle de Hitler, rauque, violente. Ironique, Tschirchsky se tourne vers Brückner. « Mon Dieu, dit-il, est-ce qu'ils sont en train de s'égorger là-dedans ? » Puis il distingue la voix de Rœhm, qui parle des 2 000 officiers à intégrer dans la Reichswehr, et celle, plus forte, de Hitler : « Le Reichspräsident ne le fera jamais. Je vais m'exposer à perdre la confiance du Reichspräsident. »

Bientôt les deux hommes sortent du bureau du Chancelier. Tschirchsky s'est dressé, mais Hitler, hagard, ne le reconnaît pas. Il passe, suivant Rœhm, puis il va s'enfermer dans son bureau.

Le lendemain c'est le Volkstrauertag (journée de deuil national) ; le gouvernement national-socialiste est reçu par le président Hindenburg. Après les échanges de compliments réciproques, Hitler présente au Maréchal les propositions de Rœhm. D'un mot Hindenburg les rejette. Hitler se tait. Il accepte la gifle dont Rœhm est responsable. Il savait. Comme il sait que l'entourage du vice-chancelier Papen sonde les milieux militaires : les généraux Beck, Rundstedt, Witzleben seraient-ils prêts à intervenir pour balayer les S.A. et la racaille nazie ? Mais tous ces officiers hésitent refusent parfois même d'écouter : ne sont-ce pas des leurs qui sont ministres de la Guerre, et qui occupent les fonctions clés de la Bendlerstrasse ? D'ailleurs ils n'obéissent qu'à Hindenburg et Hindenburg est toujours là, recevant l'hommage du Chancelier national- socialiste et refusant les propositions de Rœhm. Naturellement si ces dernières étaient acceptées, si la S.A. s'insurgeait... Mais Hitler va empêcher cela.