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Papen reste sur le quai avec les officiels cependant que le train s'éloigne et qu'immobiles, les soldats de la garde continuent de rendre les honneurs. Le vice-chancelier Papen est placé devant ses responsabilités. Cet homme habile, au visage souriant, agrémenté d'une moustache poivre et sel, de cheveux grisonnants soigneusement, minutieusement peignés, est avec son allure de bourgeois un membre de la caste. C'est un ancien de l'Ecole des Cadets : autant dire qu'il a «  tenu » face à l'implacable discipline imposée à des enfants de onze ans, face au code lui aussi inflexible que les cadets eux-mêmes s'imposent les uns aux autres, enfants dressés à une conception de l'honneur et prêts à se faire tuer pour elle. Là, à l'Ecole des Cadets, Franz von Papen, comme tous ses camarades, a été marqué à jamais. Plus tard, il expliquera comment, au printemps de l'année 1897, il a appris « une magnifique nouvelle : je faisais partie des quatre-vingt-dix élus, sur six cents élèves aspirants, qui, grâce à leurs bonnes notes, allaient former la classe Selecta. Honneur qui signifiait que, durant une année supplémentaire, je resterais soumis à la discipline rigide des sous-officiers du corps des Cadets, mais qui, en revanche, me plaçait sur la liste des candidats à la dignité fort recherchée de page de l'Empereur ».

Aujourd'hui, l'ancien page de Guillaume II, l'ancien gentleman-rider, le membre du Herrenklub, Franzchen, le petit Franz comme l'appelle Hindenburg, qui a pour lui la passion paternelle qui lie certains puissants vieillards à leurs proches collaborateurs, le vice-chancelier Papen doit agir. Il lui est difficile de se dérober. L'évolution de la situation l'inquiète. Peut-être en introduisant les nazis à la Chancellerie a-t-il lâché le diable ? Car Papen est partisan d'un pouvoir fort, mais il est heurté, blessé, par le déchaînement sans mesure de la terreur. Certes, il veut composer avec la dictature sans prendre trop de risques personnels, mais il espère aussi la canaliser. Plus tard, habile toujours à se trouver des excuses, il écrira :             « L'Histoire d'Allemagne ignorait, jusqu'en 1933, le phénomène d'une dictature antichrétienne, d'un chef de gouvernement sans foi, ni loi. Par conséquent, nous ne savions pas comment le combattre ».

Papen prononce donc des discours. En décembre 1933, la ville de Brème fête le 150eme anniversaire de la fondation du Club hanséatique. Tout ce que la cité compte d'important est rassemblé : 2 000 invités sont venus écouter le vice-chancelier. Papen rend hommage au nouveau régime, puis sans trop préciser qui il vise, il s'en prend à ceux qui nient « l'existence personnelle de l'individu ». Des applaudissements frénétiques éclatent : les paroles de Papen sont devenues pour les auditeurs une attaque contre les nazis. Quelques mois plus tard, Papen est reçu dans une association beaucoup plus importante : le Dortmunder-Industrie-Club. Dehors, dans la ville industrielle les rues sont vides. La Ruhr travaille ou dort. Ici, dans la salle brillamment éclairée, enfoncés dans les larges fauteuils de cuir du Club, les chefs d'industrie écoutent le vice-chancelier avec d'autant plus d'attention qu'il a été l'un de ceux qui ont fait connaître Hitler aux magnats de l'industrie. Ce soir du 26 avril 1934 Papen évoque des thèmes auxquels ils sont sensibles : « Le rôle du chef d'entreprise est essentiel, dit Papen, il doit garder une liberté aussi grande que possible par rapport à l'Etat ». On applaudit fortement mais à la manière de gens influents et responsables qui ne se laissent pas aller à des manifestations exagérées. L'approbation est encore plus vive quand Papen discute les projets d'autarcie économique. « L'autarcie rend illusoire l'existence d'une économie mondiale, conclut-il, ce qui comporte un danger de guerre à plus ou moins longue échéance. »

Après son discours, on félicite Papen, il a exprimé le point de vue d'une large partie des milieux économiques qu'inquiètent les proclamations enflammées des S.A., qui craignent aussi certaines tendances de membres du gouvernement comme Walther Darré, ministre de l'Agriculture, rêvant d'une race saine et pure de paysans, d'une Allemagne retrouvant la force par le sol et le sang : que deviendrait alors l'industrie ? Il y a aussi Kurt Schmitt, ministre de l'Economie, dont on dit qu'il veut limiter le programme de réarmement et réorganiser l'industrie du Reich au détriment de la puissance des Krupp.

Par contre, dans la Ruhr, on a confiance en Papen. Pourtant, le vice-chancelier ne cache pas son inquiétude aux membres puissants du Dortmunder-Industrie-Club.     « Chaque fois, dit-il, que j'attire l'attention de Hitler sur les conséquences dangereuses qu'aurait toute concession faite à Rœhm, il ridiculise les exigences du chef des Chemises brunes et les traite d'aberrations sans importance ».

Naturellement, Hitler a ses informateurs : il voit se nouer des fils qui mènent de la Reichswehr à Papen et aux milieux industriels. Il connaît aussi l'entourage du vice-chancelier et il sait que des hommes comme von Bose, chef de cabinet de Papen, von Tschirschky, cet ancien monarchiste qui a rallié Papen, faute de mieux ; le docteur Klausener, directeur de l'action catholique, haut fonctionnaire au ministère des Transports, sont des adversaires plus ou moins déterminés du nazisme. Il y a surtout le secrétaire particulier de Papen, Edgar Jung, à la fois chrétien, conservateur et monarchiste qui, depuis des mois déjà, multiplie les contacts pour renverser le nouveau régime. Ces hommes sont d'autant plus dangereux qu'ils peuvent avoir l'appui de la Reichswehr ; elle reconnaît en eux des proches, sinon certains de ses membres. Le Führer prend donc garde à ce « nid de vipères » de la vice-chancellerie, mais rien n'est simple et Hitler hésite. Il perd le sommeil, en proie à l'inquiétude et au doute. Il se plonge devant Brückner somnolent dans l'audition de longues pièces musicales. C'est que le choix est difficile pour Hitler. Pour empêcher les conservateurs de séduire la Reichswehr, il faut certes mettre un terme aux violences et surtout aux prétentions de la Sturmabteilung, mais s'il n'y a plus de S.A. la Reichswehr n'abandonnera-t-elle pas aussi Hitler qui n'aura plus rien à monnayer en échange de son appui ?

Situation délicate et ambiguë. Hitler attend, observe, lit les rapports.

LE PIEGE DE HIMMLER ET DE HEYDRICH

Or les rapports sur la vice-chancellerie se multiplient. Himmler et Heydrich craignent aussi Papen et ses collaborateurs et pour être prêts à se défendre et à attaquer, ils ont introduit un homme à eux dans la place.

Un jour d'avril 1934, Otto Betz est convoqué à Munich par Heydrich, chef du S.D. de la Gestapo. Otto Betz est un agent du contre-espionnnage,- au service de Heydrich en Sarre. Cet homme d'apparence terne et modeste a été mêlé dans la nuit du 8 au 9 janvier 1923 à un attentat — réussi — contre un séparatiste rhénan. A cette occasion, il a connu le docteur Edgar Jung. Heydrich expose son plan : Betz collaborera avec Papen tout naturellement puisque le vice-chancelier est commissaire pour la Sarre. Mais Heydrich, toujours impassible, efficace, ne disant que le nombre minimum de mots, ajoute : « Vous devez surveiller :

« 1° von Papen,

« 2° l'Oberregierungsrat von Bose,

« 3° le docteur Edgar Jung.

« Les rapports me seront transmis personnellement par voie directe. »

Le 4. mai 1934, l'agent de Heydrich prend des fonctions à Berlin dans deux pièces installées à deux pas du siège de la Gestapo, le fief de Himmler et de Heydrich, au 8 bis, PrizAlbrecht-Strasse. Heydrich a bien fait les choses : Otto Betz a deux dactylos et quatre inspecteurs de police sous ses ordres. Le lendemain même, il se présente à la vice-chancellerie où von Bose l'accueille avec méfiance. On n'aime pas les hommes du S.D. et de la Gestapo à la vice-chancellerie. Mais Betz se fait reconnaître de Jung : on évoque les années 1923, les attentats contre les Français et les séparatistes, la blessure que Jung a reçue alors. Peu à peu Betz est admis, les relations entre lui et les membres de l'entourage de Papen se détendent Il les met même en garde contre les communications téléphoniques qui, dit-il, sont surveillées par le S.D. Cela ne l'empêche pas de transmettre des rapports circonstanciés à Heydrich et à Himmler. Ceux-ci, maîtres tout-puissants des services secrets — seule l'Abwehr, service de renseignements de l'armée leur échappe — les modifient selon leurs intérêts et les communiquent à Hitler.