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Autour des S.A. et de Rœhm, le piège s'est refermé. Les listes sont prêtes. On pourra aussi se débarrasser de quelques opposants plus ou moins turbulents. Heydrich, Himmler, Gœring ont tous quelques comptes à régler. Il faut pourtant attendre le verdict du Führer.

Les S.A. eux aussi guettent le Führer, mais avec espoir car dans la Sturmahteilung, on a toujours confiance en Adolf Hitler. Les S.A., pourtant, ont recueilli des bruits : ils savent que des listes circulent. L'attitude des militaires, arrogante, souvent méprisante, n'hésitant pas à sévir contre des S.A. quand ils le peuvent les a éclairés. Mais comment Hitler pourrait-il rompre avec son plus vieux compagnon, le ministre Rœhm ? Ce serait contre nature. Et tant que Rœhm vivra, la Sturmahteilung ne craindra rien. Le danger, il vient d'hommes comme Gœring, Papen. Les sous-officiers de la S.A., les officiers subalternes haïssent ces nazis du sommet, ces ralliés de la dernière heure. Hitler, par contre, veut la seconde révolution comme Rœhm. Seulement il y a la « Reaktion », Gœring, la Reichswehr.

« Nous pensions, racontera un chef S.A., que le Führer, après avoir rétabli la situation de l'Allemagne face à l'étranger, allait redonner aux S.A. l'ordre de se mettre en marche : ce serait la seconde révolution... La « Reaktion » devrait aussi vite que possible réaliser son coup de force... Gœring assuré de la bienveillante tolérance du Reichspräsident Hindenburg, s'emparerait du pouvoir exécutif, arrêterait le Führer ainsi que tous les chefs supérieurs S.A. et tenterait de convaincre la masse des S.A. de la trahison de ses chefs. »

La Sturmabteilung devait donc protéger Hitler, Hitler qui voyait s'entasser sur son bureau les rapports de Heydrich et de Himmler la dénonçant, Hitler dont il fallait attendre le verdict.

6

SAMEDI 30 JUIN 1934

Godesberg. Hôtel Dreesen. Vers 0 heure

Sur toute la vallée du Rhin, autour de Godesberg, c'est le silence du milieu de la nuit. La légère brise qui montait régulièrement du fleuve, portant des rumeurs, est tombée. Une immobilité douce a saisi les reliefs peu à peu, gagnant depuis le fond de la vallée, recouvrant le paysage, s'étendant jusqu'à l'horizon maintenant noyé lui aussi, à peine plus sombre. Une lie blanche brille, à mi-hauteur : l'hôtel Dreesen, une lie battue par le silence et la dense profondeur d'une nuit campagnarde et tranquille. Les volontaires du R.A.D., après de longs Sieg Heil, les fanfares, les porteurs de torche viennent de partir, il ne reste sur la frange de la zone éclairée que les hommes du service d'ordre, en longs manteaux de cuir, qui font les cent pas, reparaissant dans la lumière, disparaissant dans la nuit. Aux étages de l'hôtel Dreesen, formant un damier irrégulier, des lampes brillent. Les fenêtres sont ouvertes. La terrasse est faiblement éclairée par de petits projecteurs d'angles, noyés dans des massifs de fleurs et qui n'arrivent pas à se rejoindre. Dans cette demi-obscurité où la lumière se dissout et reste comme une traînée de poussière hésitant à retomber, un groupe d'hommes silencieux guette le Führer.

L'ORDRE DONNÉ A SEPP DIETRICH...

Le visage d'Adolf Hitler paraît gris, des poches ridées se sont formées sous les yeux, le regard est fixe, tourné vers la nuit ne prenant rien dans son champ, regard d'attente et d'incertitude. Goebbels, assis près de lui, l'observe ne dissimulant pas son anxiété. Quand le lieutenant Brückner surgit, Hitler se lève. Tout le monde entend Brückner annoncer que le Gruppenführer S.S. Sepp Dietrich est arrivé à Munich, il appelle de la capitale bavaroise, comme le Führer lui en a donné l'ordre et il attend les nouvelles instructions de son Führer. Hitler n'hésite pas : la voix est rauque, voilée, elle s'assure au fur et à mesure que les mots résonnent, comme si de les entendre donnait au Führer confiance en lui-même. Les hommes de sa garde, la Leibstandarte S.S. Adolf Hitler, doivent être arrivés à Kaufering, dit-il. Que le Gruppenführer Sepp Dietrich s'y rende et prenne la tête de deux compagnies. Et qu'avec ces hommes de la Leibstandarte il se dirige vers Bad Wiessee. Brückner répète avant de courir vers le téléphone. Leibstandarte, Bad Wiessee : les expressions de Hitler reviennent amplifiées comme en écho. On les entend encore parce que, au téléphone proche de la terrasse, Brückner est contraint de crier fort. Puis c'est à nouveau le silence, le même silence du milieu de la nuit qui doit envelopper à Bad Wiessee, la pension Hanselbauer, où dorment Ernst Rœhm et les chefs de la Sturmabteilung.

Sur la terrasse de l'hôtel Dreesen, personne ne commente l'ordre que Hitler vient de donner. Goebbels s'est redressé dans son fauteuil : il sourit nerveusement, de grosses rides cernent la bouche. Hitler est resté debout. Il demande qu'on lui apporte son manteau de cuir : il le pose sur les épaules, commençant à marcher.

Maintenant Sepp Dietrich a quitté Munich. Dans la nuit, la voiture qui a été mise à sa disposition par le Quartier Général de la S.S. dans la capitale bavaroise, le fief de Heydrich et de Himmler, roule entre les prairies humides, les phares éclairent les pommiers en fleur. La route vers Kaufering est déserte. Le chauffeur a reçu l'ordre de « foncer ». Il fonce. Un officier S.S. a embarqué avec Sepp Dietrich : les deux hommes se taisent. Dans leur cantonnement les S.S. de la Leibstandarte sont allongés tout habillés sur les lits que la Reichswehr met à leur disposition.

Ils ne sont pas hommes à se poser des questions. Ils obéissent et puis tout dans cette opération paraît avoir été bien organisé, prévu depuis longtemps. Ils sont en alerte depuis plusieurs jours, avertis que la mission à accomplir va exiger d'eux la plus grande fidélité au Führer. Ils attendaient à Berlin. Une unité du train, appartenant à la Reichswehr et stationnée à Ludwigsburg, a assuré leur transport jusqu'ici. Ils somnolent, prêts à exécuter les ordres. C'est vers eux que roule par cette nuit douce leur Gruppenführer Sepp Dietrich.

Dans le hall de l'hôtel Dreesen, Adolf Hitler vient de prendre lui-même une communication en provenance de Berlin. Le Reichsführer S.S. Himmler a demandé à parler directement au Führer en personne : il téléphone du siège de la Gestapo. Hitler, au fur et à mesure qu'il écoute Himmler, paraît ne plus maîtriser sa nervosité. Il répond par monosyllabes, puis il laisse presque tomber l'appareil, se mettant à parler fort, le regard tout à coup brillant. Il prend Goebbels à témoin, il mêle son récit d'injures. Il est environ minuit et demi. Himmler lui apprend, explique-t-il, que l'Etat-major de la S.A. de Berlin a ordonné une alerte générale pour aujourd'hui samedi à 16 heures. A 17 heures les S.A. doivent occuper les bâtiments gouvernementaux : « C'est le putsch », lance Hitler et il répète plusieurs fois les mots «  le putsch », « le putsch ». Il crie de nouvelles injures. « Ernst dit-il, n'est pas parti pour Wiessee comme il le devait. » Le Gruppenführer doit donc diriger le putsch.       « Ils ont l'ordre de passer à l'action », « un putsch ». Les phrases violentes se télescopent Goebbels s'est approché, il maudit lui aussi les S.A. En 1931, déjà le chef S.A. de Berlin, Stennes, ne s'était-il pas révolté contre le parti ? Goebbels à voix basse rappelle ce passé, il rappelle ce tract que les S.A. avaient le 1er avril 1931, fait distribuer dans les rues de Berlin et qui accusait le Parti nazi et son Führer de trahir les S.A. et le « socialisme-national ». Aujourd'hui, n'est-ce pas la même chose qui recommence, mais de façon plus dangereuse ?

Hitler est de plus en plus nerveux. Sur son visage se lisent la violence et l'inquiétude. A aucun moment il ne paraît douter de la réalité des informations transmises par Himmler. Goebbels, qui est arrivé tard de Berlin hier soir, sait pourtant que le Gruppenführer Karl Ernst a quitté la capitale pour Brème afin d'y prendre un paquebot à destination de Ténériffe et de Madère où il doit séjourner pour son voyage de noces. Mais Goebbels ne dément pas Himmler.