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Quand Hitler entre et se dirige vers la tribune — gardée par des S.S. car on craint un attentat — tout le monde est debout et salue. André François-Poncet remarque que Hitler est « blême, les traits tirés ». Gœring, président en titre du Reichstag, ouvre la séance à 20 heures et immédiatement passe la parole au Führer qui est déjà à la tribune. Décor d'opéra, loges, fauteuils d'orchestre occupés par les députés en uniforme et le Chancelier qui, nerveusement tient le pupitre placé devant lui puis tend le bras, le poing serré.

« Députés, hommes du Reichstag allemand ! » lance-t-il.

La voix est dure, « plus rauque que d'habitude » se souvient André François-Poncet. Les mots sont lancés comme des ordres ou des coups. Prononcer un discours pour Adolf Hitler est un acte de violence.

Je dois, dit-il, « devant ce forum le plus qualifié de la nation, donner au peuple des éclaircissements sur les événements qui, je le souhaite, demeureront pour l'éternité, dans notre histoire, un souvenir aussi plein d'enseignement qu'il l'est de tristesse ». Dehors dans le Tiergarten, la foule stationne le long des allées fraîches, autour de la Kœnigsplatz. Le discours est retransmis par la radio. Maintenant, puisque le Führer s'explique, le peuple allemand a le droit et le devoir de connaître ce qui a eu lieu au cours de cette nuit de juin.

« Mon exposé sera franc et sans ménagement, continue Hitler, il faudra cependant que je m'impose certaines réserves et ce seront les seules, celles que me dicte le souci de ne pas franchir les limites tracées par le sens des intérêts du Reich, par le sentiment de la pudeur ».

Chaque Berlinois, devant l'Opéra Kroll, en ce vendredi 13 juillet 1934 sait quelque chose : certains journaux ont franchement décrit les «  scènes répugnantes » dont parlait le diplomate italien Aloisi. Ces exécutions étaient donc aussi un acte de purification. La purification par le sang et la mort.

« Ce n'étaient plus seulement, martèle Hitler, les intentions de Rœhm, mais maintenant aussi son attitude extérieure qui marquaient son éloignement du Parti. Tous les principes qui ont fait notre grandeur perdirent pour lui leur sens. La vie que le chef d'Etat-major et, avec lui un certain nombre de chefs, commencèrent à mener était intolérable du point de vue national-socialiste. Il n'y avait pas seulement à redouter que lui et ses amis violent toutes les lois de la bienséance, mais que la contagion s'exerce dans les milieux les plus étendus. »

Le capitaine Rœhm, celui que le Chancelier tutoyait comme son plus ancien et son plus fidèle camarade c'était donc transformé en six mois en ce ferment, cet « abcès » qu'il faut détruire. La voix du Chancelier devient plus rauque, plus dure. «  Les mutineries se jugent par leurs propres lois, martèle-t-il. J'ai donné l'ordre de fusiller les principaux coupables et j'ai donné l'ordre aussi de cautériser les abcès de notre empoisonnement intérieur et de l'empoisonnement étranger, jusqu'à brûler la chair vive. J'ai également donné l'ordre de tuer aussitôt tout rebelle qui, lors de son arrestation, essaierait de résister... »

« Fusiller, brûler la chair vive, tuer aussitôt. » Les mots claquent, les mots disent la violence de la nuit passée, il y a treize jours, seulement. « L'action est terminée depuis le dimanche 1er juillet dans la nuit. Un état normal est rétabli », ajoute le Chancelier, l'affaire est close. Les badauds peuvent regarder partir les députés ; on applaudit et salue les dignitaires : Hitler, Gœring, Himmler, Hess. Puis Berlin s'endort. Le « Justicier suprême du peuple allemand » a parlé. Hans Kluge se souvient de ce 13 juillet. Il était alors un jeune homme de 18 ans, maigre, blond, enthousiaste. Il habitait avec ses parents près de la Kœnigsplatz. Des groupes partaient en chantant ; la radio transmettait le discours du Chancelier Hitler. Le Führer s'en était pris à « un journaliste étranger qui profite de notre hospitalité et proteste au nom des femmes et des enfants fusillés et réclame vengeance en leur nom.» Hans Kluge se souvient, il avait injurié ce journaliste partial qui trahissait l'hospitalité allemande. En fait il ne savait pas, il ne lisait pas de journaux étrangers. Il n'imaginait même pas que, depuis le 1er juillet, la presse internationale dans son ensemble condamnait les méthodes hitlériennes.

Le Temps, pondéré et austère organe des milieux financiers français, officieux porte-parole du ministère des Affaires étrangères, écrit le 2 juillet que « ces scènes sanglantes » se déroulent «  dans une atmosphère à la fois tragique et délétère de Bas Empire ». Le lendemain le journal ajoute : « Ce n'est pas un beau crime... C'est une affaire de police des mœurs. On y sent la culpabilité, la trahison, l'hypocrisie. Ces cadavres sont exhibés dans la fange et les meurtriers se sont ménagé un alibi. Le bourreau se fait pudibond. Il ne tue pas seulement il prêche. Il a toléré le stupre et l'orgie... »

A Londres, à New York, à Chicago, les mêmes mots reviennent. Là, c'est d'un « retour aux méthodes politiques du Moyen Age » qu'il est question. Ici, on indique que les « gangsters de Chicago sont plus honnêtes ». « Turpitudes morales », « sauvageries », «  pourriture du nazisme », « férocité calculée et par là même plus répugnante », « despotes orientaux et médiévaux » : la presse internationale est sans excuses pour les nazis. La Pravda, qui n'est pas encore le quotidien d'une Union soviétique en proie aux purges et aux procès, dénonce «  les événements du 30 juin qui rappellent les mœurs de l'Equateur ou de Panama ».

Cependant, ce 13 juillet, accroché rageusement à la tribune de l'Opéra Kroll, Hitler poursuit son discours-justification. Dans la salle les députés applaudissent longuement, violemment, Hitler poussé par cette passion qu'il déchaîne, parle de plus en plus rapidement « Si enfin, s'écrie-t-il, un journal anglais déclare que j'ai été pris d'une crise de nerfs, ceci aussi serait aisément vérifiable. Je puis déclarer à ce journaliste famélique que, jamais, même pendant la guerre, je n'ai eu de crise de nerfs... »

La voix est rauque, dure. «  Je suis prêt moi-même à assumer devant l'histoire la responsabilité des décisions que j'ai dû prendre pour sauver ce qui nous est le plus précieux au monde : le peuple allemand et le Reich allemand. »

L'auditoire se lève comme un seul bloc, les applaudissements déferlent En ce vendredi 13 juillet soir d'été, alors que par les rues voisines de l'Opéra Kroll, dans les allées du Tiergarten, les groupes s'en vont en chantant ces décisions que le Führer revendique « devant l'histoire », les députés nazis les approuvent par acclamations dans la salle où brillent les grands lustres de cristal taillé.

Mais ces décisions qui ont provoqué les exécutions et les assassinats, elles ont surgi, au terme d'une longue histoire, un autre vendredi, le vendredi 29 juin 1934, au bord du Rhin, à Bad Godesberg. C'est là, dans une soirée orageuse, sur la terrasse d'un hôtel, qu'a commencé la Nuit des longs couteaux.

 

 

 

 

 

 

 

Première partie

 

LA NUIT RHÉNANE

Du vendredi 29 juin 14 heures au

samedi 30 juin 1934 1 heure

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VENDREDI 29 JUIN 1934