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« Ils ont, dit-il, discrédité l'honneur et le prestige de notre Sturmabteilung. Par une vie de débauche sans pareille, par leur étalage de luxe et leurs bombances, ils ont porté atteinte aux principes de simplicité et de propreté personnelle qui sont ceux de notre mouvement. Ils étaient sur le point d'attirer sur toute la direction du Parti le soupçon d'une anomalie sexuelle honteuse et dégoûtante. »

Des dizaines de milliers de familles allemandes avant de partir pour l'église ou le temple s'indignent calmement de cette débauche honteuse : heureusement Hitler, le père juste et sévère, a puni : « On avait cru, continue Goebbels, que l'indulgence du Führer à leur égard était de la faiblesse... Les avertissements avaient été accueillis avec un sourire cynique. La bonté étant inutile, la dureté devenait nécessaire ; de même que le Führer peut être grand dans la bonté, il peut l'être dans la dureté... »

Les enfants se lèvent : ils écoutent. Les mères préparent le déjeuner et dans les campagnes par les fenêtres ouvertes entre l'odeur têtue des foins. L'Allemagne vit, tranquille, docile, respectueuse : la Nuit des longs couteaux semble être passée en dehors d'elle.

« Des millions de membres de notre Parti, des S.A. et des S.S., se félicitent de cet orage purificateur. Toute la nation respire, délivrée d'un cauchemar », poursuit Goebbels.

Et il est vrai que beaucoup d'Allemands se sentent soulagés en ce dimanche matin. Ils achètent les journaux et ils y découvrent la liste des six Obergruppenführer de la S.A. fusillés, ils lisent que Lutze remplace Rœhm : les S.A. sont donc mis à la raison. Et cesseront sans doute ces ripailles, ces beuveries, ces rixes, ces scandales qui troublaient les petites villes : l'ordre enfin, cet ordre pour lequel les Allemands ont voté en faveur des nazis, le voici qui s'annonce. Ils n'ont pas eu tort de faire confiance au Führer. Comme l'a dit Goebbels à la radio : « Le Führer est résolu à agir sans pitié quand le principe de la convenance, de la simplicité, et de la propreté publique est en jeu et la punition est d'autant plus sévère que celui qu'elle atteint est plus haut placé».

Les lecteurs respectables de la respectable Deutsche Allgemeine Zeitung sont rassurés. On ne parlera plus, en Allemagne, de seconde révolution comme le faisaient les S.A. « Un gouvernement énergique a frappé au bon moment, lisent-ils dans leur journal. Il a frappé avec une précision ahurissante. Il a fait le nécessaire pour qu'aucun patriote n'ait plus à craindre quoi que ce soit... Nous avons maintenant un Etat fort, consolidé, purifié. Nous ne nous attarderons pas ici aux détails répugnants qui auraient constitué l'arrière-plan d'une pseudo-révolution politique ».

Ainsi se rassurent des millions d'Allemands à la lecture de leurs journaux avant de partir pour les promenades le long des avenues ensoleillées, bavarder sur les places des villages ou faire du canotage sur le Griebnitzsee, face à la villa aux volets fermés du général Kurt Schleicher.

Tout est donc tranquille. Berlin resplendit dans cette matinée d'été, les jardins sont pleins d'enfants joyeux. L'ambassadeur américain Dodd circule lentement en voiture, il passe à deux reprises devant la résidence du vice-chancelier Franz von Papen, mais à l'exception d'un véhicule de la police qui stationne à proximité, tout semble normal. L'agence officielle D.N.B. multiplie depuis ce matin les communiqués que la radio retransmet et qui paraissent confirmer que la situation en Allemagne est parfaitement normale.

« En Silésie, dit un premier communiqué, les actions rendues nécessaires pour mettre fin à la révolution se sont déroulées dans le calme et une tranquillité parfaite. L'ensemble de la S.A. se tient derrière le Führer. La nuit du samedi au dimanche a été également très tranquille dans toute la Silésie. La S.A. a adressé un télégramme de fidélité au Führer. Le Gauleiter a télégraphié à Adolf Hitler pour affirmer le calme et la fidélité de la Silésie. » Le S.A.-Führer Wilhelm Scheppmann commandant les groupes Niederrhein et Westphalie télégraphie : « Nous continuons de marcher sur la voie qui nous a été tracée et vers le but que nous a désigné le Führer et nous sommes sûrs d'être ainsi au service du peuple. » Le Gauleiter de Hambourg, Kaufmann, assure que tout est calme et jure fidélité au Führer ; Loeper, Reichsstatthater du Braunschweig-Anhalt, réaffirme son obéissance aveugle au Führer ; Marschler, Gauleiter de Thuringe, jure fidélité au Führer : « Le Führer et son œuvre sont intouchables », écrit-il. Streicher, Gauleiter de Franconie déclare que les éléments nuisibles ont été arrêtés : « Le Führer a triomphé, nous lui jurons fidélité. »

Il n'est pas un chef d'organisation nazie qui n'adresse son télégramme de soumission : et les officiers de la Sturmabteilung sont les premiers à le faire. Ils survivent, qu'importe si c'est à genoux. La victoire du Führer est donc totale dès ce dimanche matin. Et la Reichswehr à son tour le félicite. Il est vrai qu'elle vient — en apparence — de l'emporter. Dans son ordre du jour dicté à Lutze, Hitler n'indiquait-il pas que, « avant toutes choses, chaque chef  S.A. règle sa conduite à l'égard de l'armée dans un esprit de franchise, de loyauté et de fidélité parfaites ? » Ainsi, c'en est bien fini des ambitions de Rœhm qui voulait faire de la S.A. la base de la nouvelle armée du Reich. Les armes accumulées par les Sections d'Assaut sont livrées à la Reichswehr. Inspectant (le 5 juillet) les dépôts de la Sturmabteilung, le général Liese, chef du Waffenamt, pourra s'écrier : « Je n'ai plus besoin, pendant longtemps, d'acheter des fusils. » Pour prix de ces concessions, Hitler reçoit ce dimanche 1er juillet, la proclamation que le général Blomberg adresse aux troupes. Elle sera affichée dans les casernes, lue dans les mess d'officiers et devant les soldats rangés au garde-à-vous.

« Avec une détermination toute militaire et un courage exemplaire, écrit Blomberg, le Führer a attaqué et écrasé lui-même les traîtres et les rebelles. L'armée qui porte les armes de la nation tout entière, se tient en dehors des luttes politiques intérieures. Elle exprime sa reconnaissance par son dévouement et sa fidélité. Le Führer demande qu'il existe de bonnes relations entre l'armée et les nouvelles Sections d'Assaut. L'armée s'appliquera à cultiver ces bonnes relations dans la pleine conscience de l'idéal commun. »

Le Führer l'a donc emporté : le voici désigné sur le front des troupes par le général-ministre de la Défense, comme l'exemple même du soldat le modèle à suivre. Le sang des généraux Schleicher et Bredow a vite séché : tout semble terminé. Et pourtant quand l'ambassadeur Dodd essaye de téléphoner à von Papen, le numéro ne répond pas : la ligne est toujours interrompue. Dans le quartier de Lichterfelde, brutalement, ont éclaté au milieu de la matinée de nouvelles salves : les exécutions ont repris à l'Ecole militaire. Régulièrement, toutes les vingt minutes, on entend hurler le commandement avant que les coups de feu ne retentissent, puis isolé, séparé par quelques secondes, le claquement sec du coup de grâce. Pour les familles d'officiers qui habitent la caserne, la tension est telle que beaucoup abandonnent leur appartement pour se réfugier chez des parents en ville.

DIMANCHE 1er JUILLET, 13 HEURES.

Malgré les apparences, l'affaire continue donc et comment d'ailleurs pourrait-elle être achevée alors que Ernst Rœhm vit toujours ? Himmler et Gœring sont retournés en fin de matinée à la Chancellerie au mât de laquelle flotte le pavillon à croix gammée du Führer. Des Berlinois, badauds endimanchés, applaudissent les voitures officielles : personne parmi ces employés qui soulèvent leurs enfants pour leur permettre d'apercevoir le général Gœring et le Reichsführer S.S. ne se doute que les deux hommes vont essayer d'obtenir de Hitler la mort de Rœhm. La discussion est ardue. Hitler, reposé par une longue nuit, résiste. Il ne peut pas avouer que Rœhm vivant est une arme contre Gœring et Himmler, alors il évoque les années passées, les services rendus, mais ce sont de piètres arguments car ils auraient pu jouer pour Heydebreck ou Ernst, pour le général Schleicher ou pour Strasser. Hitler recule pas à pas, et un peu avant 13 heures, ce dimanche 1er juillet, il cède. Gœring se lève, marche dans le salon, satisfait, rayonnant, et Himmler, modeste, parait méditer, dissimulant la joie dure qui le saisit. Quelques instants plus tard, le Führer entre en communication avec le ministère de l'Intérieur à Munich. Le bâtiment est devenu le Quartier général de la répression. Les officiers de la S.S. Leibstandarte Adolf-Hitler y ont établi leur quartier : là se trouve aussi l'Oberführer Theodore Eicke, le commandant de Dachau, qui a été l'un des premiers avertis par Heydrich de ce qui se préparait. Maintenant il attend les ordres de Berlin. Ils sont précis et émanent directement de Hitler. Supprimer Rœhm en l'invitant, si cela est possible, à se suicider. Immédiatement Eicke choisit deux S.S. sûrs, le Sturmbannführer Michael Lippert et le Gruppenführer Schmauser et tous trois, après avoir vérifié leurs armes, se rendent à la prison de Stadelheim.