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Les conservateurs de la Reichswehr ne peuvent donc rien, ils ont choisi l'alliance avec Hitler quand il était faible, et se félicitent de l'évolution de la situation. Papen peut bien écrire des lettres au Führer pour protester, demander la libération de ses collaborateurs arrêtés. Il peut le rencontrer : Hitler ne recule pas. Au contraire, le 13 juillet, face au Reichstag, dit-il au vice-chancelier, « j'assumerai devant la nation la responsabilité entière des événements. » Et Papen ne peut qu'écrire encore pour avertir le Führer qu'il n'assistera pas à la séance. Mais qu'importe ? L'Opéra Kroll est plein de tous les députés nazis : ceux qui ont été inquiétés, ceux qui ont eu peur sont là parmi les premiers, scandant d'applaudissements frénétiques le discours du Führer.

A côté de la place laissée vide par Karl Ernst, qui jamais ne verra Madère, le prince August Wilhelm de Hohenzollern, qui a été soumis à de rudes interrogatoires, qui a été Führer des S.A. et l'ami de Ernst, est là, dans son uniforme, manifestant l'enthousiasme le plus sincère. Il s'est dressé à plusieurs reprises quand Hitler a lancé — et la nation tout entière est à l'écoute et le Tiergarten est rempli d'une foule dense : « J'ai donné l'ordre de fusiller les principaux coupables et j'ai donné l'Ordre aussi de cautériser les abcès de notre empoisonnement intérieur et de l'empoisonnement étranger, jusqu'à brûler la chair vive. J'ai également donné l'ordre de tuer aussitôt tout rebelle qui, lors de son arrestation, essaierait de résister. »

Le prince Auwi applaudit à tout rompre et c'est à sa vie préservée qu'il applaudit et c'est la peur qui l'étreint qu'il exprime. Et combien comme lui sur les fauteuils rouges de la salle brillamment illuminée de l'Opéra Kroll ce 13 juillet ? Combien comme lui qui se renient, abandonnent jusqu'à la mémoire de leurs camarades abattus et s'inclinent devant la force triomphante du Führer ! Comment Hitler ne mépriserait-il pas de tels hommes prêts à de tels abandons ? Il les croit capables de tout, même si parfois il se trompe ou agit trop tôt.

Franz von Papen reçoit aussi dans cette première quinzaine de juillet la visite du docteur Lammers. C'est le secrétaire d'Etat du Chancelier, la discussion s'engage, courtoise. Lammers, de la part du Führer, propose à Papen le poste d'ambassadeur au Vatican. Naturellement, précise Lammers, si le montant des émoluments ne parait pas suffisant, Papen pourra lui-même fixer le chiffre qu'il jugera conforme à ses capacités. L'intention est claire, Hitler traite les hommes brutalement. Mais Papen, souffleté par la proposition, explose :

— Est-ce que le Führer et vous, croyez que l'on puisse m'acheter ? crie-t-il. C'est bien l'impudence la plus grossière que j'aie jamais entendue ! Allez dire cela à votre Hitler.

Et Papen montre la porte à l'envoyé de Hitler. Mais, moins d'un mois plus tard, il sera ambassadeur du IIIeme Reich à Vienne.

D'AUTRES MEURTRES.

Ce n'est pas l'or qui a séduit Papen. Une nuit, à la fin de juillet, le 26, des coups violents ébranlent la porte de sa villa. Trois S.S. sont là, menaçants dans l'ombre et depuis la Nuit des longs couteaux, Papen sait à quoi s'en tenir sur le respect des lois. Son fils, revolver au poing, va ouvrir. Mais les S.S. ne sont pas, cette nuit-là, des tueurs : ils annoncent seulement que le Führer qui est à Bayreuth, demande à Papen de l'appeler au téléphone d'urgence. Il est à peine 2 heures du matin. Tout cela paraît étrange. Papen est inquiet. « Ne s'agissait-il pas de quelque stratagème destiné à nous faire entrer dans la cabine téléphonique afin de nous expédier ensuite quelques rafales de mitraillette ? » s'est-il demandé.

Mais l'heure n'est pas encore venue pour Papen. Le Führer est au rendez-vous téléphonique.

— Herr von Papen, dit-il d'une voix nerveuse, il faut que vous partiez immédiatement pour Vienne comme mon ministre plénipotentiaire. La situation est alarmante. Vous ne pouvez refuser.

Papen ignore encore tout dans cette nuit de juillet de ce qui s'est déroulé à Vienne et qui n'est qu'une autre Nuit des longs couteaux. Les nazis autrichiens, dirigés par l'inspecteur du Parti nazi Habicht, viennent d'essayer de s'emparer du pouvoir et, comme c'est leur habitude, ils ont tué : le chancelier Dollfuss a été abattu sans hésitation.

25 juillet 1934 : moins d'un mois après les assassinats d'Allemagne, d'autres meurtres.  A-t-on voulu forcer la main de Hitler ? Car il est étonnant, alors que le  IIIeme Reich vient d'enregistrer la secousse de la liquidation de Rœhm, que le Führer engage, dans la lancée, l'entreprise risquée de l'Anschluss ? En fait, tout est curieux dans ces semaines où la Nuit des longs couteaux est encadrée par la rencontre avec Mussolini et l'assassinat de Dollfuss. A moins qu'il ne s'agisse d'un moyen imaginé par quelques Machiavels d'un clan politique ou militaire pour profiter d'une difficulté internationale afin de se débarrasser du Führer ou peut-être, tout simplement, se trouve-t-on en présence d'une action prématurée, aventureuse, de quelques nazis locaux ? C'est le plus probable.

Mais le putsch échoue et Mussolini rassemble des troupes sur la frontière des Alpes. Hitler doit reculer. Il apprend la nouvelle de l'assassinat de Dollfuss, alors que, dans l'extase, il écoute l’Or du Rhin à Bayreuth.

«  Après la représentation, raconte Friedelind Wagner, qui était à ses côtés, le Führer était au comble de l'énervement...  C'était terrible à voir. Bien qu'il pût à peine déguiser son exultation, Hitler prit soin de commander le dîner au restaurant comme les autres jours. "Je dois paraître en public, me montrer pendant une heure, dit-il, ou les gens croiront que je suis pour quelque chose dans tout ceci." »

Au fur et à mesure que les nouvelles arrivent de Vienne, le Führer s'assombrit. Quand il téléphone à Papen, il semble être un homme aux abois : « Nous sommes en présence d'un deuxième Sarajevo », crie-t-il d'une voix hystérique. Et pour sauver l'Allemagne d'un désastre il demande à Papen de le rejoindre à Bayreuth.

Là, Papen rencontre Hitler qui est entouré de Gœring, de Goebbels et de Hess. Les chefs nazis sont anxieux. Hitler « maudit la stupidité et la brutalité des nazis autrichiens qui l'ont placé dans une situation terrible ». Il supplie Papen d'accepter, pour l'Allemagne, le poste d'envoyé du Führer à Vienne. Et Papen s'incline et sert le nazisme. «  En accédant à la requête de Hitler, écrit Papen, pour se justifier, je pouvais encore très probablement rendre un service à mon pays, à la condition toutefois d'obtenir au préalable des garanties précises ». Naturellement Hitler les accorde : il sait faire la part du feu. Ainsi ce n'est pas l'or qui a séduit Papen, mais une fois de plus l'idée que servir le Führer c'est aussi servir l'Allemagne. Déjà, en janvier 1933, au moment de la prise du pouvoir, le patriotisme avait été la grande excuse : en juillet 1934, elle sert à nouveau. Et pourtant, le Reichstag a brûlé, et pourtant les baraques de bois des camps de concentration ont été construites à Dachau et à Buchenwald, pourtant Schleicher, Jung, Bose et Klausener ont été assassinés et dans la Nuit des longs couteaux le visage du nazisme est apparu sans masque. Visage brutal de tueur implacable. Et Papen n'ignore rien de cela.

Tschirschky est rentré de Dachau avec sa tête rasée et Papen, au cimetière, a prononcé devant Frau Bose et ses enfants un éloge de son collaborateur, abattu sans sommation comme le font les gangsters. Mais Papen s'incline et sert le Führer parce qu'il veut croire servir l'Allemagne. Il sait aussi que partir à Vienne — et plus tard il partira comme ambassadeur de Hitler à Ankara — c'est se mettre à l'abri. Et, dans le comportement de chaque Allemand il y a, comme chez Papen, ce mélange de peur et d'illusion qui fait finalement la force du Führer et du nazisme.