De nouvelles combinaisons spatiales étaient arrivées à 612, mais aucune n’était aux dimensions de Hoover. Il s’en commanda une sur mesures. En attendant son arrivée, il assistait, impuissant et furieux, du haut de l’escalier d’or, aux travaux de ses collègues qui se déplaçaient dans l’Œuf avec maladresse, les jambes écartées et les bras raides. L’humidité de la Sphère entrait dans l’Œuf et se condensait aussitôt en un brouillard composé de flocons imperceptibles. Du givre s’était formé sur toute la surface interne du mur, et une couche de neige pulvérulente, mobile comme de la poussière, recouvrait le sol.
Malgré leurs combinaisons, les hommes qui descendaient dans l’Œuf n’y pouvaient séjourner qu’un temps très court, ce qui rendait difficile la poursuite des recherches. On avait pu analyser la matière transparente qui enveloppait les gisants. C’était de l’hélium solide, c’est-à-dire un corps que non seulement les physiciens du froid n’avaient jamais réussi à obtenir, mais dont ils pensaient même que, théoriquement, il ne pouvait pas exister.
Le brouillard glacé qui emplissait l’Œuf dérobait en partie l’homme et la femme nus au regard des équipes qui travaillaient à leurs côtés. Ils semblaient se retrancher derrière cette brume, prendre de nouveau leurs distances, s’éloigner au fond des temps, loin des hommes qui avaient voulu les rejoindre.
Mais le monde ne les oubliait pas.
Les paléontologues hurlaient. Ce qu’on avait trouvé au pôle ne POUVAIT PAS être vrai. Ou alors les laboratoires qui avaient fait les mesures de datation se trompaient.
On avait examiné les boues de fonte des ruines, les débris d’or, la poussière de la Sphère. Par toutes les méthodes connues, on avait déterminé leur ancienneté. Plus de cent labos de tous les continents avaient fait chacun plus de cent mesures, aboutissant à plus de dix mille résultats concordants qui confirmaient les 900 000 ans approximatifs d’ancienneté de la découverte sous-glaciaire.
Cette unanimité n’entamait pas la conviction des paléontologues. Ils criaient à la supercherie, à l’erreur, à la distorsion de la vérité. Pour eux, il n’y avait pas de doute : moins de 900 000 ans, c’était à peu près le début du Pléistocène. A cette époque, tout ce qui pouvait exister en guise d’homme, c’était l’Australopithèque, c’est-à-dire une espèce de primate minable auprès de qui un chimpanzé aurait fait figure de civilisé distingué.
Ces installations et ces individus qu’on avait trouvés sous la glace, ou bien c’était faux, ou bien c’était récent, ou bien ça venait d’ailleurs, ou bien ça avait été placé là par des imposteurs. Ça ne pouvait pas être vrai. C’était IMPOSSIBLE.
Réponses de passants interrogés à la sortie du métro à Saint-Germain-en-Laye :
Le reporter TV. — Vous pensez que c’est vrai ou que c’est pas vrai ?
Un monsieur bien vêtu. — Quoi qui est pas vrai ?
Le reporter TV. — Les trucs sous la glace, là-bas, au pôle...
Le monsieur. — Oh ! vous savez, moi... Faudrait voir !...
Le reporter TV. — Et vous, madame ?
Une très vieille dame émerveillée. — Ils sont si beaux ! Ils sont tellement beaux ! Ils sont sûrement vrais !
Un monsieur maigre, brun, frileux, énervé, s’empare du micro. — Moi, je dis : pourquoi les savants ils veulent toujours que nos ancêtres soient affreux ? Cro-Magnon et compagnie, genre orang-outang ? Les bisons qu’on voit sur les grottes d’Altamira ou de Lascaux, ils étaient plus beaux que la vache normande, non ? Pourquoi pas nous aussi ?
A l’O.N.U., l’Assemblée se désintéressa subitement des deux êtres dont le sort avait motivé sa convocation.
Le délégué du Pakistan venait de monter à la tribune et de faire une déclaration sensationnelle.
Les experts de son pays avaient calculé quelle devait être la quantité d’or constituée par la Sphère, son piédestal et ses installations intérieures. Ils étaient arrivés à un chiffre fantastique. Il y avait là, sous la glace, près de 200 000 tonnes d’or ! C’est-à-dire plus que la somme de l’or contenu dans toutes les réserves nationales, dans toutes les banques privées et dans tous les avoirs individuels et clandestins ! Plus que tout l’or du monde !
Pourquoi avait-on caché cette vérité à l’opinion ? Que préparaient les grandes puissances ? S’étaient-elles mises d’accord pour se partager cette richesse fabuleuse, comme elles se partageaient déjà toutes les autres ? Cette masse d’or, c’était la fin de la misère pour la moitié de l’humanité qui souffrait encore de la faim et manquait de tout. Les nations pauvres, les nations affamées, exigeaient que cet or fût découpé, partagé, et réparti entre elles au prorata du chiffre de leur population.
Les Noirs, les Jaunes, les Verts, les Gris, et quelques Blancs se dressèrent et applaudirent frénétiquement le Pakistanais. Les Nations Pauvres formaient à l’O.N.U. une très large majorité que l’habileté et le droit de veto des grandes puissances tenaient de plus en plus difficilement en échec.
Le délégué des Etats-Unis demanda la parole et l’obtint. C’était un grand homme mince qui portait d’un air las l’hérédité distinguée d’une des plus anciennes familles du Massachusetts.
D’une voix sans passion, un peu voilée, il déclara qu’il comprenait l’émotion de son collègue, que les experts des Etats-Unis venaient d’arriver aux mêmes conclusions que ceux du Pakistan, et qu’il s’apprêtait justement à faire une déclaration à ce sujet.
Mais, ajouta-t-il, d’autres experts, en examinant des échantillons de l’or du pôle, étaient parvenus à une autre conclusion : cet or n’était pas un or naturel, c’était un métal synthétique, fabriqué par un procédé dont on ne pouvait se faire aucune idée. Nos physiciens atomistes savaient aussi fabriquer de l’or artificiel, par transmutation des atomes. Mais difficilement, en petite quantité, et à un prix de revient prohibitif.
Le véritable trésor enfoui sous la glace, ce n’était donc pas telle ou telle quantité d’or fût-elle considérable, mais les connaissances enfermées dans le cerveau de cet homme ou de cette femme, ou peut-être des deux. C’est-à-dire non seulement les secrets de la fabrication de l’or, du zéro absolu, du moteur perpétuel, mais sans doute une quantité d’autres encore beaucoup plus importantes.
— Ce qu’on a trouvé au point 612, poursuivit l’orateur, permet en effet de supposer qu’une civilisation très avancée, se sachant menacée par un cataclysme qui risquait de la détruire entièrement, a mis à l’abri, avec un luxe de précautions qui a peut-être épuisé toutes ses richesses, un homme et une femme susceptibles de faire renaître la vie après le passage du fléau. Il n’est pas logique de penser que ce couple ait été choisi uniquement pour ses qualités physiques. L’un ou l’autre, ou les deux, doit posséder assez de science pour faire renaître une civilisation équivalente à celle dont ils sont issus. C’est cette science que le monde d’aujourd’hui doit songer à partager, avant toute autre chose. Pour cela, il faut ranimer ceux qui la possèdent et leur faire place parmi nous.
— If they are still alive[3], dit le délégué chinois.
Le délégué américain eut un geste léger de la main gauche et une esquisse de sourire, qui, ajoutés l’un à l’autre, signifiaient très poliment, mais avec le plus total mépris :
— Bien entendu...
Il regarda toute l’assemblée d’un air absent et ennuyé, et poursuivit :