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« Nous n’avons pas confiance dans l’O.N.U. Nous n’avons pas confiance dans les Casques bleus. S’ils débarquent à 612, nous laissons tomber la pile atomique dans le Puits, et nous la faisons sauter...

Il resta un moment immobile, silencieux, pour laisser le temps à ses auditeurs de digérer l’énormité de la décision prise. Puis il s’effaça et donna la parole à Léonova.

Son menton tremblait. Elle ouvrit la bouche et ne put parler. La grosse main de Hoover se posa sur son épaule. Léonova ferma les yeux, respira à fond, retrouva un peu de calme.

— Nous voulons travailler ici pour tous les hommes, dit-elle. Il est facile de nous en empêcher. Nous ne disposons pas d’une vis ou d’une miette de pain qui ne nous soit envoyée par telle ou telle nation. Il suffit de nous couper les vivres. Ou simplement d’y mettre de la mauvaise volonté. Notre réussite, jusqu’à maintenant, a été le résultat d’un effort concerté et désintéressé des nations. Il faut que cet effort continue avec la même intensité. Vous pouvez l’obtenir, vous qui nous écoutez. Ce n’est pas aux gouvernements, aux politiciens que je m’adresse. C’est aux hommes, aux femmes, aux peuples, à tous les peuples. Ecrivez à vos gouvernants, aux chefs d’Etat, aux ministres, aux soviets. Ecrivez immédiatement, écrivez tous ! Vous pouvez encore tout sauver !

Elle transpirait. La caméra la cadra de plus près. On voyait la sueur perler sur son visage.

Une main entra dans l’image, lui tendant un mouchoir de papier couleur bouton d’or. Elle le prit et se tamponna le front et les ailes du nez. Elle poursuivit :

— Si nous devons renoncer, nous n’abandonnerons pas, à nous ne savons qui, des possibilités de connaissances qui, mal employées, pourraient accabler le monde sous un malheur irréparable. Si on nous oblige à partir, nous ne laisserons rien derrière nous.

Elle se détourna en portant le mouchoir à ses yeux. Elle pleurait.

Presque partout où la télévision était un monopôle d’Etat, la transmission de l’appel des savants avait été coupée avant la fin. Mais pendant douze heures, l’antenne d’EPI 1 continua de bombarder Trio avec les images enregistrées de Hoover et de Léonova. Et Trio, objet scientifique parfaitement dénué d’opinion, les retransmit pendant douze heures à ses jumeaux et ses cousins qui ceinturaient le globe. A peu près les deux tiers d’entre eux émettaient avec assez de puissance pour être captés directement par les récepteurs particuliers. Chaque fois que les images recommençaient, la Traductrice traduisait les paroles en une langue différente. Et à la fin apparaissaient les deux êtres du passé, dans leur beauté et leur attente immobile, tels que les écrans les avaient montrés la première fois.

L’émission se superposait aux programmes prévus, brouillait tout et finissait par passer par bribes, et par être comprise par ceux qui voulaient la comprendre.

Dans la demi-journée qui suivit, tous les services de postes furent brutalement embouteillés. Dans les moindres villages d’Auvergne ou du Béloutchistan, les boîtes aux lettres débordaient. Dès les premiers centres de rassemblement des sacs postaux, les salles de réception étaient pleines jusqu’au plafond. A l’échelon au-dessus, c’était la submersion totale. Les pouvoirs publics et les compagnies privées renoncèrent à transporter ce courrier plus loin. Il n’était pas nécessaire de le lire. Son abondance était sa signification. Pour la première fois, les peuples manifestaient, par-dessus leurs langues, leurs frontières, leurs différences et leurs divisions, une volonté commune. Aucun gouvernement ne pouvait aller contre un sentiment d’une telle ampleur. Des instructions nouvelles furent données aux délégués de l’O.N.U.

Une motion fut votée dans l’enthousiasme et à l’unanimité, annulant l’envoi des Casques bleus et exprimant la confiance des nations dans les savants de l’EPI pour mener à bien..., etc., pour le plus grand bien..., etc., fraternité des peuples... etc., du présent et du passé, point final.

LES réanimateurs auxquels le communiqué des savants avait fait appel étaient arrivés avec leurs équipes et leur matériel.

Sur les indications de Lebeau, les charpentiers du Devoir construisirent la salle de réanimation à l’intérieur même de la Sphère, au-dessus de l’Œuf.

Un grave problème se posait aux responsables : par qui commencer ? par l’homme ou par la femme ?

Avec le premier qu’ils traiteraient, ils allaient forcément prendre des risques. En quelque sorte « se faire la main ». Le second, au contraire, bénéficierait de leur expérience. Il fallait donc commencer par le moins précieux. Mais lequel était-ce ?

Pour l’Arabe, il n’y avait pas de doute : le seul qui comptait, c’était l’homme. Pour l’Américain, c’était à l’égard de la femme qu’on devait prendre le plus de respectueuses précautions, quitte à risquer pour elle la vie de l’homme. Le Hollandais n’avait pas d’opinion, le Yougoslave et le Français, bien qu’ils s’en défendissent, penchaient vers la prépondérance masculine.

— Mes chers collègues, dit Lebeau au cours d’une réunion, vous le savez comme moi, les cerveaux masculins sont supérieurs en volume et en poids aux cerveaux féminins. Si c’est un cerveau qui nous intéresse, il me semble donc que c’est l’homme que nous devons réserver pour la seconde intervention.

Mais personnellement, ajouta-t-il en souriant, après avoir vu la femme, j’aurais facilement tendance à penser qu’une telle beauté a plus d’importance que le savoir, si grand soit-il.

— Il n’y a pas de raison, dit Moïssov, pour que nous traitions l’un avant l’autre. Leurs droits sont égaux. Je propose que nous formions deux équipes et que nous opérions en même temps sur les deux.

C’était généreux, mais impossible. Pas de place, pas assez de matériel. Et les connaissances des six savants ne seraient pas de trop, en s’ajoutant, pour faire la lumière dans les moments difficiles.

Quant au raisonnement de Lebeau, il était valable pour des cerveaux d’aujourd’hui. Mais qui pouvait affirmer qu’à l’époque d’où venaient ces deux êtres la différence de poids et de volume existât ? Et si elle existait, qu’elle ne fût pas, à ce moment-là, en faveur, au contraire, des cerveaux féminins ? Les masques d’or qui cachaient les deux têtes ne permettaient même pas de faire une comparaison approximative de leur volume, et, par déduction, de leurs contenus...

Le Hollandais Van Houcke était un spécialiste remarquable de l’hibernation des otaries. Il en maintenait une en congélation depuis douze ans. Il la réchauffait et la réveillait à chaque printemps, la régalait de quelques harengs, et dès qu’elle avait digéré, la recongelait.

Mais, en dehors de sa spécialité, c’était un homme très naïf. Il confia aux journalistes les incertitudes de ses collègues et leur demanda conseil.

Par Trio, les journalistes ravis exposèrent la situation à l’opinion mondiale et lui posèrent la question : « Par qui doit-on commencer ? Par l’homme ou par la femme ? »

Hoover avait enfin reçu sa combinaison. Il la mit, et descendit dans l’Œuf. Il disparut dans le brouillard. Quand il remonta, il demanda au Conseil de se réunir avec les réanimateurs.

— Il faut se décider, dit-il. Les blocs d’hélium diminuent... Le mécanisme qui fabriquait le froid continue de fonctionner, mais notre intrusion dans l’Œuf lui a ôté une partie de son efficacité. Si vous le permettez, je vais vous donner mon avis. Je viens de les regarder de près, l’homme et la femme... Mon Dieu, qu’elle est belle !... Mais là n’est pas la question. Elle m’a surtout semblé être en meilleur état que lui. Lui présente sur la poitrine et en différents endroits du corps, de légères altérations de la couleur de la peau, qui sont peut-être les signes de lésions épidermiques superficielles. Ou peut-être rien du tout, je ne sais pas. Mais je crois – franchement je dis je crois, c’est une impression, non une conviction – qu’elle est plus solide que lui, plus capable d’encaisser vos petites erreurs, si vous en faites. Vous êtes médecins, regardez-les de nouveau, examinez l’homme en pensant à ce que je viens de vous dire, et décidez-vous. A mon avis, c’est par la femme qu’il faut commencer.