— Je ne comprends pas ce qui le rend si dur, dit-il. Il est pratiquement pur.
— « Il », quoi « il » ? Quel est ce métal ? demanda Léonova énervée.
Hoover était un géant roux ventru et débonnaire, aux mouvements lents. Léonova était mince et brune, nerveuse. C’était la plus jolie femme de l’expédition. Hoover la regarda en souriant.
— Quoi ! Vous ne l’avez pas reconnu ? Vous, une femme ?... C’est de l’or !...
Brivaux avait mis en marche son appareil enregistreur. Le papier se déroulait. La mince ligne familière s’y inscrivait sans un crochet, sans une interruption.
Le signal venait de l’intérieur de l’or.
UNE plus grande surface fut dégagée. Dans toutes les directions, elle continuait à s’enfoncer dans le sable. Il semblait que le Puits eût atteint une grande sphère, non point exactement en son sommet, mais un peu de côté.
On dégagea le point haut de la sphère et on le dépassa. Ce fut juste après qu’on fit la première découverte révélatrice. Dans le métal apparaissait une série de cercles concentriques, le plus grand ayant environ trois mètres de diamètre. Ces cercles étaient composés d’une rangée de dents aiguës et trapues inclinées comme pour attaquer dans le sens d’une rotation.
— Ça a l’air de l’extrémité d’une excavatrice, dit Hoover. Pour faire un trou ! Pour sortir de là-dedans !...
— Vous croyez que c’est creux, et qu’il y a quelqu’un ? dit Léonova.
Hoover fit une grimace.
— Il y a eu...
Il ajouta :
— Avant de penser à sortir, il a fallu qu’ils entrent. Il y a une porte quelque part !...
Deux semaines après le premier contact avec l’objet d’or, les divers instruments de sondage avaient fourni assez de renseignements pour qu’on pût en tirer des conclusions provisoires :
L’objet semblait être une sphère posée sur un piédestal, le tout disposé dans une poche emplie de sable creusée dans une roche artificiellement durcie. Le rôle du sable était sans doute d’isoler l’objet des secousses sismiques et de tout mouvement de terrain.
La sphère et son piédestal semblaient être solidaires et ne former qu’un seul bloc. La sphère avait 27,42 m de diamètre. Elle était creuse. L’épaisseur de la paroi était de 2,29 m.
On entreprit d’évacuer le sable et de vider la poche rocheuse pour dégager l’objet d’or au moins jusqu’à mi-hauteur.
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Voici un croquis représentant l’état des travaux au moment où l’on découvrit la porte.
LA lettre A marque la portion de la poche rocheuse débarrassée du sable.
La lettre B désigne la portion encore emplie de sable. En C débouche l’extrémité du Puits.
S désigne bien entendu la Sphère et P le piédestal. On continuait à désigner ainsi ce dernier, bien qu’il fût devenu évident qu’il ne servait aucunement de support à la Sphère. Les sondages avaient révélé qu’il était creux comme cette dernière.
Un croquis désincarne la réalité, et les chiffres sont inexpressifs. Pour matérialiser ce que représentaient les 27 mètres de diamètre de la Sphère, il faut se dire que c’est la hauteur d’une maison de 10 étages. Et, compte tenu de l’épaisseur de sa paroi, il restait encore place, à l’intérieur, pour une maison de 8 étages.
Le chiffre 1 marque l’emplacement de la tête de la foreuse.
Le chiffre 2 marque l’emplacement de la porte.
Du moins supposait-on qu’il s’agissait d’une porte. C’était-un cercle d’un diamètre un peu supérieur à la taille d’un homme, dessiné dans la paroi par ce qui semblait être une soudure...
Dès qu’on avait découvert la porte, un plancher provisoire avait été posé sur le sable, pour accueillir savants et techniciens que descendait une benne guidée.
Brivaux promena un petit appareil à cadrans tout le long de la circonférence.
— C’est soudé partout, dit-il, dans toute l’épaisseur.
— Donnez-nous l’épaisseur au centre, demanda Léonova.
Il posa son appareil au centre et lut un nombre sur un cadran : 2,92 m.
C’était l’épaisseur générale de la paroi de la Sphère.
— Une fois la marmite pleine, on a soudé le couvercle, dit Hoover. Ça a plutôt l’air d’un tombeau que d’un abri.
— Et la perforatrice ? dit Léonova, c’est pour faire sortir quoi ? Le chat ?
— Il n’y avait sûrement pas de chat à cette époque, ma mignonne, dit Hoover.
Avec sa cordiale mauvaise éducation américaine qu’avaient aggravée les nombreuses années vécues à Paris, au quartier Latin et à Montparnasse, il voulut lui passer l’index sous le menton. Son index avait la taille et la couleur d’une saucisse de Toulouse, avec des taches de rousseur et des poils rouges.
Furieuse, Léonova tapa sur la main qui montait vers son visage.
— Elle me mordrait ! dit Hoover en souriant. Allez, mignonne, on remonte. Passez la première...
La benne pouvait contenir deux personnes, mais Hoover comptait pour trois. Il souleva Léonova comme un bouquet et la posa sur le siège de fer. Il cria : « Enlevez ! » La benne commença aussitôt à monter. Il y eut un fracas et des cris. Quelque chose frappa Hoover aux jarrets. Il tomba en arrière et sa tête cogna contre un obstacle dur et rugueux. Il entendit un craquement à l’intérieur de son crâne et s’évanouit.
Il se réveilla dans un lit d’infirmerie. Simon, penché vers lui, le regardait avec un sourire optimiste.
Hoover battit deux ou trois fois des paupières pour se laver d’une sorte d’inconscience et demanda brusquement :
— La petite ?
Simon hocha la tête avec une grimace rassurante.
— Qu’est-ce qui est arrivé ? demanda Hoover.
— Un éboulement... Toute la paroi au-dessus du Couloir est tombée.
— Il y a des blessés ?
— Deux morts...
Simon avait prononcé ces mots à voix basse, comme s’il avait eu honte. Les deux premiers morts de l’expédition... Un mineur réunionnais, et un menuisier français, Compagnons du Devoir, qui travaillaient au coffrage. Il y avait aussi quatre blessés, dont un électricien japonais dans un état grave.
Le Couloir est désigné sur le croquis par la lettre D.
Dans la paroi de roche, il dessinait une ouverture qui avait dû être rectangulaire et que comblait un mélange chaotique de débris de roches, d’une sorte de ciment et de formes métalliques tordues et retournées à leur origine minérale. Entre cette ouverture et la porte de la Sphère, on avait trouvé, mélangé au sable, la même sorte de débris, qu’on avait soigneusement empaquetés et envoyés à la surface aux fins d’examen et d’analyse.
Le Couloir avait été nommé ainsi parce que les savants pensaient qu’il était l’aboutissement d’un passage, mais ses proportions faisaient plutôt penser au profil d’une salle d’assez grandes dimensions. Quoi qu’il en fût, c’était sans doute à partir de là que les hommes du passé – s’il s’agissait d’hommes, mais de quoi d’autre aurait-il pu s’agir ? – avaient creusé et durci la roche, apporté le sable, et construit la Sphère. C’était le cordon ombilical à partir duquel celle-ci s’était développée dans son placenta rocheux. Ce Couloir venait de Quelque Part, et pouvait y conduire. On allait le déblayer, s’y introduire et aller voir...
Mais après la Sphère ? Explorer la Sphère d’abord, avait décidé l’assemblée des savants.
— Et moi, qu’est-ce que j’ai ?
Hoover voulut se tâter le crâne, mais ses doigts ne parvinrent pas jusqu’à sa tête. Il y avait entre elle et eux l’épaisseur d’un pansement.