— Allez chercher la Hilmann au garage, ordonna-t-il sèchement.
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— C’est là ! dit Victoria en désignant le débit de boissons situé à une centaine de mètres de leur voiture.
De la lumière sourdait du bar, assez faible car le tenancier avait « désarmé » l’établissement pour la nuit. Ne subsistait que l’éclairage au-dessus de la caisse.
— Avancez doucement ! lui enjoignit sir David.
Lorsqu’ils parvinrent devant les vitres en partie dépolies, le nain s’agenouilla sur son siège pour mieux voir à l’intérieur. Il aperçut la salle en longueur, avec son comptoir hérissé de pompes à bière. Il ne restait plus qu’un groupe de trois marins ivres titubant sur place. De l’autre côté du zinc, il découvrit un personnage trapu et roux, en bras de chemise, qui portait un gilet de cuir fauve et un poignet de force à l’avant-bras droit.
— C’est votre père, l’homme au front dégarni ?
— Oui, souffla-t-elle.
Il la pria de reculer, voulant être dans le bon sens pour voir partir les buveurs attardés.
Les amants ne parlaient pas. Jamais ils ne s’étaient sentis à ce point désunis. Ce sentiment cruel leur causait un malaise.
Des minutes passèrent. Des ombres hantaient un instant la voie et se fondaient dans l’obscurité. Elles semblaient irréelles.
Une sombre impatience donnait un tic à sir David : sa jambe gauche tremblait comme la patte d’un chien dont on gratte le ventre. Il évoquait inlassablement le viol de la petite fille par son effroyable père, puis par les amis que le proxénète rabattait chez lui. La mère était-elle au courant de ce qui s’opérait à la maison en son absence ?
Il posa la question à la nurse.
— Je ne crois pas, répondit-elle ; rien ne permet une telle supposition.
Le nain eut confusément l’impression qu’elle lui cachait son véritable sentiment. Il se promit de revenir à la charge plus tard.
Il y eut soudain un grand rectangle de lumière sur le pavé de la rue, un vague brouhaha, puis les trois hommes sortirent de l’estaminet en vacillant et s’enfoncèrent dans d’autres ruelles, à la recherche d’une dernière chope de bière.
David sonda les environs, toujours agenouillé sur son siège.
Brusquement, il quitta la Hilmann et fonça jusqu’à l’établissement de Jack Hunt. La porte était verrouillée. Il tambourina avec impatience. Sur le moment personne ne répondit mais comme la lumière demeurait, il ne se découragea pas et continua de frapper. En fin de compte, le tenancier parut en rajustant son pantalon. Le nain l’entendait jurer et sacrer. Sans se laisser impressionner par l’air furieux du bonhomme, il cogna à coups redoublés.
Hunt vingt écraser sa face avinée contre la vitre.
« Seigneur ! songea le cadet des Bentham, comment cet ignoble type peut-il être le géniteur de ma tendre Victoria ? »
De l’autre côté de l’huis, Hunt cherchait le visage de son interlocuteur à hauteur d’homme et ne le voyait point. En fin de compte, David leva le bras, brandissant un billet de dix livres sterling.
Le cabaretier se hâta d’ouvrir, vit son petit interlocuteur et en fut saisi.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il d’un ton pâteux.
— Si c’est de moi dont vous parlez, c’est un nain, répondit David ; si c’est du billet, c’est dix livres. Je peux entrer ?
Interloqué, Hunt s’effaça et referma la porte derrière sir Bentham.
Ce dernier tendit la coupure à Hunt.
— Permettez-moi de vous l’offrir. Mais l’autre s’abstint de la prendre.
— J’aime guère ces façons, Tout-p’tit, ronchonna-t-il. Le nain se souvint qu’il était en présence d’un ancien flic.
— Je souhaiterais vous parler, assura-t-il calmement.
— Attendez ! s’exclama le tenancier. Ne seriez-vous pas le nabot de la haute dont ma fille s’occupe ?
— Exactement.
— Ouais, ouais, ouais, je vois. Ça veut dire quoi ce trafic ? Vicky qui me rend visite dans l’après-midi, vous ce soir. Ça cache quelque chose. Que me voulez-vous ?
— Un simple entretien : je souhaite épouser Victoria. Son interlocuteur ouvrit de grands yeux, puis partit d’un gros rire insultant.
— Vous ! C’est la meilleure ! Sir David parvint à se contenir.
— Vous estimez que ma taille rend la chose rédhibitoire ? Son interlocuteur repartit dans une nouvelle explosion d’hilarité.
— Épouser Vicky ! Mais vous entreriez tout entier dans son con ! Hé ! là… Que faites-vous ?
Le nain qui repérait les lieux venait d’apercevoir le tableau électrique derrière le bar. Il s’empara d’une chaise qu’il s’en fut placer sous les interrupteurs et enfonça les touches en interposant son mouchoir. L’obscurité se fit. Seule, la lumière du dehors éclairait désormais la pièce.
Jack Hunt, médusé, ne trouvait pas suffisamment d’énergie pour réagir.
Il se mit en colère en s’abstenant toutefois de charger son visiteur nocturne.
Qu’est-ce qui vous prend, sale avorton de la haute ? Je vais vous attraper par la peau du cul et vous dégager en touche !
— Essayez ! répondit calmement son interlocuteur.
Il se tenait maintenant près du comptoir dont les énormes pompes à bière gardaient d’étranges scintillements.
— Vous me cherchez, vermine ! bredouilla l’autre.
— Vous avez abusé de votre fille, mister Hunt, ce qui est un crime. Non content de cette abomination, vous l’avez livrée à d’autres porcs de votre espèce.
Hunt eut un gargouillis de la gorge tant sa stupeur l’étranglait.
Il balbutia des protestations peu convaincantes que sir David n’écoutait pas. Promptement, le nain se saisit de son vaporisateur et l’actionna sous le visage de l’ivrogne.
— Mais qu’est-ce que vous fabriquez, maudite crevure !
— Vous allez voir, fit calmement l’homoncule.
Et il pulvérisa un surcroît de gaz neutralisant sous le nez en forme de groin de son futur beau-père.
Hunt voulut crier, une onde noire le submergea et il s’écroula. Pour sa satisfaction intime, David plaça deux coups de pied derrière la tête de sa victime. Après quoi, il sortit de sa poche une paire de gants en caoutchouc (ceux-là même dont il s’était servi chez le dentiste) et les enfila lentement. Une intense satisfaction mettait son âme en liesse.
Il s’agenouilla devant l’ivrogne, le fit basculer sur le dos et entreprit de dégrafer son pantalon. Cette besogne lui souleva le cœur, surtout lorsqu’il saisit les bourses de sa victime pour les extraire de son slip. Néanmoins, il alla au bout de son propos. Armé d’un rasoir à manche, il sectionna les génitoires de l’autre, au ras de son ventre velu. Comme la plupart des roux, Hunt dégageait une âcre odeur animale. David agissait avec application, le sang coulait d’abondance, sans gicler ; le nain s’en protégeait en inclinant sa victime dos à lui. Il tranchait méthodiquement.
Au bout d’un temps assez long, les attributs de l’ancien policier lui restèrent dans la main. L’homme râlait vilainement, la bouche béante ; David enfonça les chairs sanguinolentes dans sa gorge, poussant l’infâme masse molle le plus loin possible.
Après quoi il attendit, assis en tailleur près de l’ancien flic.
Il quitta le bar une heure plus tard, content de lui : le père de sa fiancée venait de trépasser sans s’être réveillé.
Quand il rejoignit la Hilmann, il fut bouleversé en constatant que la nurse s’était endormie pendant qu’il assassinait son père.
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Le lendemain matin, sur le coup de dix heures, Tom se permit une chose qu’il n’avait encore jamais faite : réveiller son maître sans en avoir reçu l’instruction.