— Allez la chercher, nous allons la boire.
Malko avait beau n’être vêtu que d’une chemise de voile et d’un pantalon, il hésita. Jill lui tendit son verre sans mot dire.
Tranquillement, elle descendit les marches de marbre et s’avança dans l’eau bleue et lumineuse, éclairée par des projecteurs sous-marins, jusqu’au moment où elle attrapa la bouteille de Champagne. Elle avait alors de l’eau jusqu’aux épaules. Lorsqu’elle ressortit de la piscine, sa robe collée par l’eau dessinait toutes les formes de son corps, avec une précision anatomique.
Malko put ainsi vérifier qu’elle ne portait strictement aucun dessous.
Personne – parmi les personnes présentes – ne semblait trouver déplacé l’expédition de « Darling » Jill.
La jeune femme posa la bouteille par terre et offrit son dos à Malko.
— C’est désagréable, ce tissu mouillé, dit-elle, très mondaine. Voulez-vous la faire glisser, s’il vous plaît ?
Malko s’exécuta, un peu surpris. « Darling » Jill ondula des hanches et la robe ne fut plus qu’un petit tas aux pieds de la jeune femme. Il lui restait ses escarpins, un très joli chignon, des boucles d’oreilles en rubis et des colliers fantaisie. Elle se retourna vers Malko et, avec le plus parfait naturel, elle ordonna :
— Maintenant allez chercher des coupes au buffet et débouchez la bouteille, j’ai soif.
Ça commençait bien. Malko s’exécuta.
Le « love-in » commençait à s’animer, mais Jill était la première à se déshabiller. Gene Shirak ne lâchait pas Daphné d’une semelle. Celle-ci était une des rares femmes à porter un slip sous sa mini-robe. Sa chevelure flamboyante émergeait d’une balancelle où Gene Shirak, tout en mauve, l’avait entraînée dès son arrivée. Joyce était invisible. Le producteur avait accueilli Malko chaleureusement et immédiatement accaparé Daphné.
— C’est gentil d’avoir bien voulu participer à notre petit « love-in » avait-il dit à Malko.
Il y avait une quinzaine de couples. Toutes les femmes, jeunes et jolies, rivalisaient d’indécence. Certaines jouaient au billard dans le living, ou buvaient ; d’autres dansaient autour de la grande piscine en L. À part Jill, on se serait cru dans une partie ordinaire.
Malko revint vers Jill et ils débouchèrent le Champagne. La jeune femme but deux coupes coup sur coup, et dit paisiblement :
— J’ai envie de vous. Dans l’eau.
Elle se leva, fit jouer les muscles de ses cuisses et de ses fesses et plongea, sans une éclaboussure. Après quelques mouvements, elle revint s’accouder au rebord de marbre, le corps abandonné dans l’eau, près de Malko.
Gene Shirak se félicitait de voir Malko et Jill ensemble. Cela lui laissait le champ libre pour Daphné. Ce dont il ne se privait pas.
Une grande blonde, vêtue uniquement d’un pantalon, la poitrine un peu grasse, plongea soudain dans la piscine derrière une nouvelle bouteille de Champagne. Jill ricana :
— Cette idiote de Patricia ! Gene n’aurait jamais dû l’inviter. Elle va encore gâcher la soirée.
Elle était pourtant dans l’ambiance. Déjà, elle ressortait de l’eau, faisant des mimiques obscènes avec la bouteille.
— Pourquoi ? demanda Malko.
— Elle ne sait pas ce qu’elle veut, expliqua Jill. Chaque fois qu’elle vient à un « love-in », elle se suicide après. C’est une maniaque du suicide depuis qu’elle a joué au cinéma un rôle où elle se suicidait. Elle continue dans la vie.
La dernière fois, elle a eu neuf hommes dans sa soirée. Tous ceux qui étaient là. Ensuite, elle se dégoûtait tellement, qu’elle est sortie toute nue et qu’elle s’est étendue sur Beverly Drive, soi-disant pour se faire écraser. C’était nouveau. D’habitude, elle avale des pilules. Évidemment, un flic est arrivé. Il a fallu tirer au sort pour savoir qui allait le calmer. C’est tombé sur moi. C’était affreux : un vieux type de cinquante ans avec un ventre tout mou…
Pauvre « Darling » Jill.
Gene Shirak dansait avec Daphné, en lui tenant carrément les fesses. Sa femme, Joyce, avait fait son apparition et dansait avec un jeune éphèbe, collée à lui. Encore un couple uni.
— Il se moque de ce que fait sa femme ? demanda Malko à Jill.
La jeune femme ricana. Elle en était à sa sixième coupe de Champagne.
— Il la hait, fit-elle. Un jour, elle se baignait à Malibu, il priait pour qu’elle se noie.
Soudain, sans transition, « Darling » Jill saisit la main de Malko, la plongea dans l’eau. Il sentit sous ses doigts la rondeur d’une cuisse.
— Caressez-moi, souffla-t-elle.
Un autre couple se rapprocha d’eux. Une fille brune et un garçon jeune et poupin, presque obèse, avec de grosses lunettes d’écaille. Il jeta un regard mouillé à « Darling » Jill qui se laissait aller, sous la caresse de Malko.
— Hello ! dit-il.
Puis, sans transition, il glissa la main sous la robe de sa cavalière et caressa ses fesses. Puis, ils s’éloignèrent dans l’ombre du jardin.
Malko avait beau se creuser la tête, il ne voyait pas la moindre trace d’espionnage parmi tous ces détraqués. Tous les gens qui faisaient des partouzes ne travaillaient pas pour les Russes ou les Chinois… Distrait, il relâcha son attention et « Darling » Jill le rappela à l’ordre par un léger grognement. Il vit Mme Shirak disparaître dans la villa avec son éphèbe. Gene ne broncha pas. Un autre couple faisait l’amour près de la piscine, étendu sur un matelas. Deux filles s’approchèrent et regardèrent.
L’attention de Malko fut détournée par un nouvel arrivant. Un homme d’une beauté presque gênante tant elle était parfaite, très bronzé, au visage impénétrable. Il était pieds nus, vêtu d’un vieux blue-jean et d’une chemise sans boutons, ouverte sur son torse parfait. Un petit singe était en équilibre sur son épaule gauche. L’inconnu balaya l’assistance d’un regard indifférent et alla s’allonger sur une chaise longue de l’autre côté de la piscine.
« Darling » Jill sembla soudain agitée de convulsions, enfonça ses ongles dans le bras de Malko et ouvrit la bouche toute grande comme si elle allait se noyer.
Au même moment, une fille en maillot noir déposa près d’eux une petite assiette pleine de gâteaux secs.
— C’était si bon, soupira Jill. Vous êtes doux. Prenez un cookie.
Presque de force, elle fourra dans la bouche de Malko une poignée de gâteaux. Il faillit s’étouffer avec et dut les arroser de Champagne. « Darling » Jill éclata de rire.
— Vous allez vous sentir bien, vous aussi…
— Pourquoi ? demanda Malko, vaguement inquiet.
— Ce sont des grass-cookies[14] dit Jill. À la Marijuana. Beaucoup plus efficaces que les cigarettes. C’est concentré et cuit. Après ça, c’est formidable de faire l’amour…
De mieux en mieux. Tout à coup une fille rousse et maigre, avec des cheveux courts et des yeux bleus, drapée dans une sorte de sarong, s’avança vers le bel inconnu au singe. Malko remarqua la couperose de ses pommettes et le grand verre de whisky dans la main droite. « Darling » Jill ricana avec distinction.
— Il va y avoir du sport. Sue a envie de Joe. Regardez. Celle que Jill avait appelé Sue se dirigea droit sur l’homme étendu sur une chaise-longue. Elle s’agenouilla près de lui, posa son verre et commença à lui caresser la poitrine en lui parlant à l’oreille.
« Darling » Jill en avait arrêté de boire.
— Ça fait des mois qu’elle le veut, commenta-t-elle. Lui qui n’aime déjà pas beaucoup les bonnes femmes, quand il voit ce sac à whisky…
Là-bas, l’homme n’avait pas bronché. Il caressait son singe tandis que Sue le caressait. Soudain, la main de la jeune femme descendit le long du blue-jean. Jill eut un gloussement énervé.