Cinq minutes plus tard, elle stoppait devant sa villa de Belagio Road, une voie sinueuse bordée de maisons de rêve, où le fait de n’avoir ni piscine ni tennis était considéré comme une tare irrémédiable. Jill descendit et fit le tour du long capot. Le Navajo sauta à terre et vint vers elle. Lorsque son corps se découpa dans la lueur blanche des phares, il la saisit aux hanches et la renversa contre le capot encore chaud. Émue par cet assaut brutal, Jill faillit céder là, devant sa porte. Mais, élevée dans le luxe le plus effréné, elle avait un faible pour le confort.
Elle glissa entre les mains du Navajo et courut à sa porte, ouvrit. Il régnait une douce clarté dans le living-room, le commutateur électronique ayant automatiquement allumé les lampes dès la tombée du jour.
« Darling » Jill se déchaussa et enfonça voluptueusement ses pieds dans l’épaisse moquette rouge. Puis, elle posa une pile de disques sur le combiné stéréo et le mit en marche. Des haut-parleurs diffusaient la musique dans toutes les pièces. Une immense baie vitrée, au fond du living, s’ouvrait sur la piscine entourée d’une mini-forêt tropicale, ce qui donnait l’impression de se trouver en pleine jungle, des projecteurs extérieurs éclairant la verdure.
Zuni, le Navajo, s’était arrêté sur le seuil de la porte, intimidé par le luxe de cet intérieur. De la façade, la maison de Jill, sans étage, au toit plat de tuiles de bois foncé, n’impressionnait pas. Mais la jeune femme avait fait de l’intérieur une petite merveille de luxe. Un canapé très bas, recouvert de velours noir, grand comme un lit, occupait le centre de la pièce. Presque carré, sans dossier, entouré de coussins posés à même le sol, il était complété par plusieurs profonds fauteuils de même couleur.
— Viens, déchausse-toi, dit « Darling » Jill au Navajo.
Elle se dirigea vers le bar d’acajou flanqué d’un jukebox et sortit une bouteille de whisky. Zuni ôta timidement ses sandales et avança de quelques pas. Il se sentait mal à l’aise dans ce décor trop luxueux, mais le contact moelleux de la moquette sur la plante de ses pieds le rassura. Il tomba en arrêt devant la cheminée où brûlait un faux feu de bois, alimenté au gaz.
« Darling » Jill s’assit sur un des tabourets entourant le bar et contempla sa proie, satisfaite. L’étrange papier doré des murs semblait se refléter dans les yeux de l’Indien. En dépit de ses traits fins et de ses yeux de fille, il émanait de ses larges épaules et de son ventre plat une virilité sauvage, primitive, déplacée dans ce décor super sophistiqué. Tout le désir de Jill revint d’un coup.
La soie de son pantalon soulignait les longues cuisses fuselées de la jeune femme et les courbes de son ventre. « Darling » Jill vit la poitrine du Navajo se soulever et ses grands yeux noirs devenir fixes. Un moment intimidé par la maison inconnue, de nouveau il ne voyait plus que la tache verte de Jill, à demi assise sur le haut tabouret.
Elle se pencha et, tournant le commutateur, diminua encore l’intensité des lampes. Son visage de madone était toujours aussi pur, mais tous les muscles de son ventre s’étaient contractés à la faire crier.
Souplement, elle se laissa glisser du tabouret et se dirigea vers le fond de la pièce. Il y avait certaines précautions à prendre avant de se livrer à son passe-temps favori. En passant près du Navajo, toujours debout devant la cheminée, elle ne put résister et posa ses longs doigts fuselés sur la peau brune du cou musclé, à la limite du T-shirt.
Ce fut aussi brutal qu’une prise de karaté. Le Navajo pivota, saisit « Darling » Jill par la taille. Elle sentit tous les muscles durs s’enfoncer dans ses cuisses, ses hanches, sa poitrine, l’odeur de Zuni submergea son parfum. Ses doigts la pétrissaient comme s’il avait voulu les faire entrer dans sa chair.
D’abord, « Darling » Jill, se laissa faire, ravie ; mais quand elle voulut se dégager, le Navajo resserra encore son étreinte. Quelques secondes, ils oscillèrent comme des ivrognes, puis Jill perdit l’équilibre et ils tombèrent sur la moquette.
— Attends, supplia Jill.
Craignant qu’elle ne se soit fait mal dans la chute, Zuni ouvrit les bras, et elle se mit debout en riant, décoiffée et essoufflée. Les jambes écartées, le ventre à la hauteur du visage de l’Indien encore à genoux, elle ébouriffa la tignasse noire, enfonçant légèrement ses ongles dans la nuque cuivrée.
— Un peu de patience, Zuni, murmura-t-elle. Je reviens tout de suite.
Elle n’eut pas le temps d’avancer : le Navajo, la saisissant aux hanches, la jeta sur l’énorme divan de velours noir. « Darling » Jill voulut lui dire d’attendre, mais deux lèvres épaisses écrasèrent les siennes. Zuni n’écoutait plus rien. Son genou ouvrit brutalement les jambes de « Darling » Jill, l’immobilisant dans les coussins. Un court instant, elle profita délicieusement de l’assaut.
D’une seule main, le Navajo arracha tous les boutons de son boléro, découvrant ses seins petits et hauts. Elle se mordit les lèvres de plaisir. Ce désir forcené et primitif était si différent des étreintes tièdes et blasées de ses partenaires habituels.
Mais quand elle pensa à ce qu’elle risquait, une terreur viscérale glaça son plaisir.
Le Navajo tirait maintenant sur le pantalon de soie sauvage. « Darling » Jill parvint à glisser sur le côté, mais Zuni revint sur elle. Désespérément, elle luttait pour se dégager mais les cent soixante-dix livres de l’Indien la clouaient au velours noir. Prise de panique, « Darling » Jill prit les cheveux noirs à pleines mains, lui tirant la tête en arrière, et supplia :
— Arrête, arrête, je t’en prie !
La tête renversée dans les coussins, elle fixait avec panique le carré sombre de la porte de la chambre, au fond de la pièce. Il lui sembla entendre un léger grincement. Folle de terreur, elle griffa le visage du Navajo, si fort qu’elle se cassa deux ongles, se tortilla frénétiquement sous lui, hurla :
— Laisse-moi, fous le camp !
Mais chez le Navajo la rage avait pris le pas sur le désir. Il ne comprenait pas pourquoi « Darling » Jill se refusait après s’être offerte. Il crut qu’elle s’était moquée de lui. Il la voulait tout de suite. Un vieux fond de sauvagerie le poussait au viol.
Il arracha le pantalon de soie, le réduisant littéralement en morceaux. D’un geste preste, il fit glisser son blue-jean sur ses cuisses. Jill sentit sa peau brûlante contre son ventre et eut un sursaut désespéré.
Le Navajo déchira le dernier lambeau de soie. Jill n’en pouvait plus :
— Non ! cria-t-elle. Non. Attention !
Elle parvint, d’un effort surhumain, à le repousser, à se soulever sur les coudes. L’Indien la saisit aussitôt aux hanches et, d’un seul élan, s’enfonça en elle. Une fraction de seconde, « Darling » Jill oublia tout. Le visage enfoui dans le coussin de velours elle hurla, se secouant comme pour se débarrasser de l’homme.
Un râle ininterrompu filtrait de sa bouche ouverte. L’Indien, tétanisé de plaisir, ne vivait plus que par ses reins.
Il n’entendit pas le feulement très doux qui fit lever la tête à « Darling » Jill. Brusquement, elle ouvrit les yeux, scruta la pénombre, une flèche de glace dans le cœur. Elle devina la masse sombre prête à bondir avant de la voir.
Sa bouche s’ouvrit, oubliant le plaisir.
— Sun ! Down[1].
En vain, elle voulut, une ultime fois, se débarrasser du Navajo.
Le reste se passa très vite. Une masse chaude et puissante jaillit de la moquette et atterrit sur les épaules de l’Indien. Un Cheetah[2] de deux ans, pesant cent quatre-vingt-dix livres. Zuni le Navajo n’eut pas le temps de souffrir. Ses griffes plantées dans les épaules de l’homme, le fauve mordit la nuque de toutes ses forces, tira en secouant la tête.