Puis, avec un cri sauvage, elle sauta à pieds joints et les rejoignit.
Ils se redressèrent tous les quatre, avec de l’eau jusqu’à la taille. Les deux femmes étaient face à face et le regard de « Darling » Jill balaya le ventre de Daphné sans émotion particulière. Comme pour jouer, Malko se jeta sur Daphné et, dans la bousculade, en profita pour faire tomber le bijou au fond de la piscine.
La jeune femme sentit sa main arracher la pierre de lune et ouvrit la bouche pour protester. Devant l’expression de Malko, elle se tut.
Déjà, Gene Shirak l’avait reprise à bras-le-corps et l’entraînait. Ils entrèrent dans la villa et Malko les perdit de vue.
« Darling » Jill jeta un regard noir à Malko :
— Je ne vous plais pas ? demanda-t-elle hargneusement.
— Mais si.
Autour d’eux, c’était Sodome et Gomorrhe, dans leurs meilleurs jours.
« Darling » Jill attira Malko et se laissa aller sur le dos dans l’eau tiède et fluorescente, ses jambes autour des hanches de Malko, ses cheveux flottant autour d’elle.
Soudain, elle semblait très jeune et très pure. Mais l’expression de ses yeux démentait la pureté de ses traits.
— Maintenant, murmura-t-elle.
Ils restèrent presque immobiles dans l’eau. « Darling » Jill haletait légèrement, les yeux dans les étoiles. Malko éprouva soudain un profond dégoût.
En dépit du luxe, des cocotiers, de la piscine tiède, du corps souple et consentant de Jill, cette villa était ce qui se rapprochait le plus de l’enfer.
La jeune femme enserra les hanches de Malko avec ses cuisses et cria. Puis elle se redressa et prit le visage de son amant entre ses longues mains, se reflétant dans les yeux d’or de Malko. Elle ne pouvait pas lui dire qu’il lui rappelait Sun et qu’elle était amoureuse à cause de cela.
Tout à coup, Patricia avança comme une somnambule vers Joe Makenna qui semblait se désintéresser complètement de l’orgie se déroulant autour de lui.
— Regardez, souffla Jill.
Joe Makenna ne bougea pas. Patricia « la suicidée » s’installa en face de lui et commença à caresser son singe. Le chimpanzé poussait des cris aigus sous les doigts habiles de la jeune femme. Soudain, celle-ci enfouit son visage dans le ventre du petit animal.
« Darling » Jill frissonna.
— Oh ! je ne pourrais jamais faire cela !
Il y avait maintenant plusieurs invités autour de l’étrange trio. Le singe poussait des cris de plus en plus aigus, ses mains minuscules accrochées dans les cheveux de Patricia. Joe avait un visage toujours aussi impassible. Patricia s’écarta brusquement, avec un rire hystérique.
Aussitôt, le singe termina son entreprise, dans un concert de cris aigus. Patricia s’apprêtait à faire profiter Joe Makenna du même traitement, mais il la repoussa fermement.
— C’est tout ce qu’il leur permet de faire, remarqua Jill, je crois qu’il est vraiment dingue.
Elle s’amusait à onduler contre lui dans l’eau. Malko aperçut le gros jeune homme poupin, en train de les contempler de son regard humide. Il était resté habillé.
— C’est un voyeur ? demanda Malko. Cela manquait à la collection.
« Darling » Jill éclata de rire.
— Pas du tout. Mais ce pauvre Dennis est terrorisé par sa femme. S’il divorce, cela lui coûte au moins vingt millions de dollars. C’est pour cela qu’il ne se déshabille pas. Il a toujours peur qu’elle surgisse !
— C’est déjà arrivé ?
— Pensez-vous, dès qu’il tourne le dos, elle file se faire racoler au Watts. Elle aime les gros machins noirs. On l’a dit à Dennis, mais il ne veut pas le croire. Alors, une fois par mois, il donne un « love-in » dans son avion privé. Là, il sait que sa femme ne surgira pas. Et je vous assure qu’en dépit de sa graisse, il est rudement rapide.
Pour l’instant, Dennis achevait une bouteille de whisky, considérablement frustré.
Malko n’eut pas le temps de s’appesantir sur les malheurs de Dean. Un cri perçant jaillit de la chambre ou Gene Shirak avait disparu avec Daphné. Puis des voix féminines crièrent des injures. Malko lâcha aussitôt « Darling » Jill et courut vers la maison. Il y avait du grabuge avec Daphné.
Il entra dans la pièce faiblement éclairée au moment où deux corps roulaient sur la moquette blanche : Daphné et Joyce, la femme du producteur, aussi nues l’une que l’autre. Joyce tirait de toutes ses forces sur les longs cheveux roux, le visage déformé par la haine. Daphné lui envoya une manchette en pleine poitrine, la bascula sur le ventre et s’assit à califourchon sur son dos, triomphante.
Elle pesait bien vingt livres de plus que son adversaire. Joyce gigotait furieusement et hurla :
— Gene, fous-moi cette ordure dehors ou j’appelle la police !
Le producteur émergea de la salle de bains, les reins enroulés dans une serviette. Une large estafilade zébrait son visage ennuyé.
Il prit Malko par le bras et dit à voix basse :
— Elle est folle. Elle a voulu m’éborgner avec des ciseaux. Il vaudrait mieux emmener votre amie. Nous nous reverrons.
— Venez Daphné, appela Malko. Nous partons. Daphné se souleva gracieusement. Malko n’était pas fâché de quitter cette ambiance de dingues. Si le but de l’opération était d’entrer dans l’intimité de Gene Shirak, c’était réussi. Un peu trop, même.
Joyce se releva à son tour. Sans souci de sa nudité, elle s’approcha de Malko :
— Vous savez ce qu’il voulait ? siffla-t-elle.
Elle égrena un chapelet d’obscénités à faire rougir tous les hippies de San Francisco.
— Je suis désolé, dit Malko très gêné.
— C’est un porc, hurla hystériquement Joyce, en désignant son mari. Un horrible porc.
Elle sortit en claquant la porte. Daphné alla récupérer sa robe. Malko achevait de se rhabiller lorsque « Darling » Jill surgit.
— Pourquoi partez-vous déjà ? demanda-t-elle. Gene Shirak tamponnant sa joue blessée, grommela :
— Parce que ça vaut mieux.
« Darling » Jill se coula contre Malko, ravie d’exciter Gene.
— Je veux te revoir, murmura-t-elle. Téléphone-moi CR 3 2885.
— Promis, jura Malko.
Au moment où il sortait, il se heurta à Sue.
— Pourquoi partez-vous ? Décidément, c’était un refrain.
— Appelez-moi, proposa-t-elle. HOL 42739.
Enfin Malko et Daphné se retrouvèrent dehors. L’air était tiède. Soudain, il s’arrêta net. Le bijou ! Il était toujours au fond de la piscine.
— Bon sang, jura-t-il. Vous avez fait du joli. Pourquoi n’avez-vous pas pris ce bijou ?
Daphné fit la moue.
— C’était important ?
— Très.
Maintenant il était trop tard pour aller le chercher au fond de la piscine. Qui allait le trouver ?
Soudain, tout cela leur parut futile. Les gens de la CIA perdaient la raison. Gene Shirak n’était qu’un milliardaire comme la Californie en comptait quarante-cinq au dernier recrutement.
Il réprima une grimace de dégoût : l’odeur de l’huile d’olive mélangée au parfum de « Darling » Jill, collait encore à sa peau.
Ils marchèrent jusqu’au Beverley Hills. Cinquante mètres. Malko se promit de téléphoner à Albert Mann. Il avait hâte de retrouver son château.
Daphné resta dix minutes sous la douche, tandis qu’il rêvait, étendu sur le lit. Ses oreilles bourdonnaient et il se sentait curieusement léger : la marijuana.
Soudain, en voyant Daphné sortir de la salle de bains il éprouva un désir brutal, dépersonnalisé. Son corps voulait cette superbe femelle. Sa volonté était comme annihilée par la drogue. Daphné porta les yeux sur lui et gémit :