— Où ?
— Climax, laissa tomber l’autre.
— Qu’est-ce que c’est ?
Le Noir fit rouler ses yeux et sourit :
— Groowy place[15], Man. Sur la Cienega, entre Wilshire et 3e Rue. Ouvert depuis deux semaines.
Gene était déjà au volant de la Rolls. Cette fois, la jeune hippie ne se dérangea même pas, se contentant de cracher sur la belle carrosserie.
De l’extérieur, rien n’indiquait une boîte de nuit. C’était un grand bâtiment carré à droite de la Cienega Boulevard en descendant. Un jeune homme chevelu surgit de l’obscurité pour parquer la Rolls et tendit la main :
— Un dollar, sir.
Gene se fit encore extorquer vingt-cinq dollars à l’entrée, comme Membership. Le Climax[16] était un club privé. La fille le consola :
— Vous faites une bonne affaire. La semaine dernière, c’était dix dollars ; dans quinze jours ça sera cent. »
Ou le « Climax » serait fermé. Mais Gene Shirak s’en moquait. Il entra et écarquilla les yeux dans l’obscurité. Le Climax était un endroit étrange, n’admettant comme sièges que des coussins posés à même le sol et des chaises longues ! Le club se composait d’une grande salle, où il se trouvait, avec un écran de cinéma projetant des vieux films, d’une salle de billard attenante qui servait aussi de restaurant et d’un « enfer psychédélique » au sous-sol, discothèque où l’on pouvait à peine survivre plus de quelques secondes à cause du bruit et des stroboscopes projetant une lumière crue et intermittente sur les couples étendus.
Il n’y avait pas beaucoup de monde. Gene trouva Diana étendue sur les coussins, en face de l’écran, à côté d’un jeune Noir qui lui tenait la main.
Elle vit Gene, poussa un petit cri de surprise et se leva. Il lui flatta la croupe. C’était ce qu’il aimait le plus chez elle : des fesses callipyges d’une dureté extraordinaire, qui plongeaient Gene dans des abîmes de lubricité. Pour jouer, Diana frotta sa petite poitrine contre la chemise mauve du producteur.
— Tu t’ennuyais, baby, dit-elle. Alors tu as pensé à ta jolie Diana ? Viens.
Elle l’attira sur les coussins et ils s’étendirent côte à côte, face à l’écran. À côté d’eux, un couple poussait des grognements inarticulés en se regardant les yeux dans les yeux, leurs mains occupées dans l’ombre à d’obscures activités.
— Ils sont « loaded[17] », expliqua Diana. Ne fais pas attention. Ils ne nous voient même pas.
Gene se sentait de mieux en mieux. Diana faisait toujours tout ce qu’il voulait. Quelquefois, elle venait le voir à son bureau, en fin d’après-midi, entre deux répétitions. Il la prenait rapidement, debout contre le bureau, et la renvoyait ensuite, toujours de bonne humeur.
Mais surtout Diana Miller était sa pourvoyeuse en drogues de tous genres, de la marijuana au LSD. Même de l’héroïne que Gene repassait à « Darling » Jill. Celle-ci était une des plus grosses consommatrices de la bande.
Gene n’avait jamais demandé à Diana d’où venait la drogue. Mais il savait qu’elle possédait des contacts suivis avec la pègre.
Diana était noire. Sa bouche immense et ses fesses l’avaient fait violer le jour de ses treize ans, dans le Nebraska. Depuis, elle avait fait du chemin. Chanteuse et strip-teaseuse, elle avait traîné à travers les USA jusqu’au moment où elle avait rencontré le gangster Mickey Levine. Ce dernier occupait une place importante dans le Syndicat et était tombé amoureux fou de Diana. Grâce à Mickey, elle n’avait plus jamais manqué d’engagements.
Hélas ! les cinq avocats véreux de Mickey n’avaient pu empêcher l’inévitable. Ce dernier s’était vu convaincre par un jury fédéral de diverses bagatelles incluant le meurtre avec préméditation qui l’avaient envoyé pour quinze ans au pénitencier modèle de Dennamora.
Son départ avait donné lieu à une partie touchante, où Gene Shirak avait été invité. Avec des larmes dans la voix, Mickey avait confié sa gazelle noire à ses amis. Gene n’avait pas perdu de temps pour mériter sa confiance. Le soir même, il avait ramené Diana chez lui. Depuis, ils entretenaient d’excellents rapports. Quand il avait envie de s’encanailler, Gene la suivait dans les bouges du Watts, où il écoutait du jazz « soul » joué par des musiciens ivres de marijuana.
Perdu dans ses pensées, Gene sentit la main de la jeune Noire le caresser. Il sursauta.
— Il faut que tu me rendes un service, dit-il. Diana rit gentiment.
— Tu sais bien que tu es un ami. Qu’est-ce que tu veux ? Sa force, sa brutalité, et sa puissance l’attiraient. Elle aimait se coller contre lui à la Factory, pour que tout le monde sache qu’elle couchait avec le puissant Gene Shirak.
Il faillit soudain oublier pourquoi il était venu. Exprès, Diana s’était étendue sur le ventre, et sa croupe dessinait un demi-cercle presque parfait. Sous le regard de Gene elle creusa encore les reins.
— Tu aimerais gagner cinq mille dollars ? demanda-t-il à voix basse.
Diana ferma les yeux à demi. Elle aimait l’argent. Mais, connaissant Gene, elle allait mériter ses dollars.
— Cela dépend, sweathie. Prudente.
Gene, malgré lui, regarda si personne ne les écoutait. Ce qu’il avait à demander à Diana sortait un peu de ses attributions habituelles. Sur l’écran passait un vieux film en noir et blanc.
Gene se sentit nerveux, tout à coup.
— Filons d’ici, dit-il. J’ai envie d’air frais. Docilement, Diana se leva. Au « Climax » on ne payait pas. Une fois à l’intérieur, on pouvait boire et manger autant qu’on le voulait. Ils ne s’adressèrent plus la parole tant que Gene n’eut pas démarré. Il remonta vers Hollywood et Beverly Hills. Diana s’enfonça voluptueusement dans les coussins. Puis commença à défaire la fermeture Éclair de son pantalon en lastex. Gene l’arrêta d’un geste.
Une voiture de police les dépassa et, instinctivement, Gene ralentit. Diana lui jeta un coup d’œil surpris. Ce n’était pas dans ses habitudes.
Il avait horriblement mal à la tête.
— Tu veux vraiment gagner cinq mille dollars, répéta-t-il.
Diana haussa les épaules :
— Tu connais une fille qui ne veut pas gagner cinq mille dollars. Si c’est pas pour faire un truc impossible.
Ils tournèrent dans Sunset Boulevard, complètement désert. Gene s’appliquait à ne pas regarder Diana.
— Pour toi, ce n’est pas impossible, murmura-t-il. Ce n’est même pas dangereux.
La Rolls-Royce glissait doucement à travers les allées somptueuses de Beverly Hills. Gene pouvait à peine garder les yeux ouverts. L’aube se levait. Il était plus de six heures. À côté de lui, Diana dormait, la tête renversée en arrière.
Une horrible tentation accrocha Gene. Maintenant que tout était arrangé, il suffisait d’un coup de manchette dans la gorge de la Noire pour supprimer tout lien entre lui et ce qui allait se passer. Il pourrait jeter le corps de Diana dans un des canyons des collines. Ils avaient parcouru depuis trois heures tous les bouges de Los Angeles, jusqu’à Long Beach. Gene Shirak avait découvert une humanité grouillante et sordide, haineuse et mortelle, avide jusqu’à la folie.
Plusieurs fois, Diana avait dû le protéger.
Il s’arrêta au coin de Larrabee et de Sunset, secoua Diana. Elle habitait une maison juste au coin.
— Merci, dit-il. J’espère que tu sauras tenir ta langue. Elle haussa les épaules en sortant de la Rolls. Si elle n’avait pas su tenir sa langue, il y aurait belle lurette qu’elle serait au fond du Pacifique dans un tonneau de ciment.