Gene repartit aussitôt. Un quart d’heure plus tard, il était sous une douche brûlante. Il avait un meeting à huit heures avec les gens d’Universal pour une importante série de télévision dont il possédait les droits.
Sous la douche, il essaya de se persuader qu’il avait fait tout ce qu’il fallait. Le reste était entre les mains de Dieu. Ou de préférence du diable.
Chapitre X
Dean Anchor avait un visage d’enfant et de longues mains fines à peine teintées. Il fallait le regarder de près pour distinguer la légère coloration de sa peau. Il évitait de porter des couleurs trop voyantes, comme le font les Noirs d’habitude.
La vieille dame préposée à l’entrée de la piscine du Beverly Hills, lui sourit aimablement :
— Résidez-vous à l’hôtel ?
— Non, répondit-il poliment, je viens voir des amis.
Après avoir payé les deux dollars d’entrée, il se déshabilla dans une cabine, prit une chaise longue, commanda un gin and tonic et, derrière ses lunettes noires, fit le tour des gens autour de lui.
Son travail commençait.
Près de lui, un gros homme adipeux pavanait au milieu d’une demi-douzaine de filles qui s’amusaient à tirer sur sa courte barbiche.
Dean réprima une grimace de dégoût. Il haïssait la société américaine. Il ne s’était pas fait tueur à gages seulement pour gagner facilement sa vie. Il aimait tuer ces gens qui incarnaient tout ce qu’il haïssait. Lorsqu’il appuyait sur la détente et qu’il voyait le corps de sa victime sauter sous l’impact des projectiles de 38 il éprouvait une jouissance comparable au plaisir sexuel.
Une blonde platinée lui jeta un coup d’œil brûlant avant d’aller s’installer dans la chaise longue voisine. Elle dégrafa son soutien-gorge, s’allongea sur le ventre, la tête tournée vers Dean, un indéfinissable sourire aux lèvres. Il faillit se lever, aller lui parler, mais se retint. Jusqu’ici, il n’avait jamais fait d’imprudence. Le FBI ne possédait aucune fiche sur lui.
Le jeune Noir se sentait bien. Le luxe qui l’entourait lui montait un peu à la tête. C’est la première fois qu’il exécutait un « contrat » dans un tel milieu. Il ignorait tout de l’homme qu’il devait tuer. Sinon le numéro de sa chambre et son signalement. Il ne se posait d’ailleurs aucune question.
C’est le second jour qu’il hantait la piscine du Beverly Hills. Il était presque sûr de l’avoir identifié, mais il lui manquait encore une ultime preuve.
Dean alla au bar et décrocha un téléphone posé sur une table. Dès qu’il eut la standardiste, il demanda :
— Voulez-vous me passer le bungalow 3 ?
La sonnerie résonna presque une minute avant que la fille ne revînt en ligne. Dean essuya sa paume pleine de sueur, mais parvint à demander d’une voix très naturelle :
— Pouvez-vous vérifier à la piscine ?
Quelques secondes plus tard, le haut-parleur grésilla :
— Monsieur Malko Linge, téléphone, s’il vous plaît ?
Derrière ses lunettes noires, Dean balayait toute la piscine. Il vit un grand homme blond quitter l’abri d’une des « cabanas » en face de lui et décrocher le téléphone posé sur un tabouret. Aussitôt, Dean raccrocha le sien et alla reprendre sa sieste apparente. Il suivit des yeux l’homme qui retourna s’étendre près d’une fille rousse.
Maintenant, l’opération ne posait plus de problème. Un peu plus tard, il plongea dans la piscine, nagea un peu, s’arrangea pour passer près de l’homme, le visage au ras de la margelle, afin de bien l’identifier. Il nota les yeux jaunes, couleur d’or.
Au moment où il remontait, l’homme qu’il devait tuer baissa les yeux sur lui et leurs regards se croisèrent. Dean sortit de la piscine, se sécha et sortit sans se presser. Il lui restait moins d’une heure pour agir. La vieille dame lui sourit aimablement.
Malko contemplait la courbe du dos de Daphné, se demandant comment une fille aussi belle pouvait être call-girl. Il était furieux contre lui-même. Depuis deux jours, il se dorait au soleil.
Sans rien faire.
Plus aucune nouvelle de Gene Shirak. Il avait appelé « Darling » Jill sans avoir pu la joindre. Sa mission avait de fortes chances de s’arrêter là. Même si le producteur lui avait téléphoné, qu’est-ce que cela aurait donné ? Une nouvelle partouze et c’est tout. Il croyait de moins en moins à l’histoire d’Albert Mann.
Daphné remit son soutien-gorge, au grand dam de l’Anglais de la « cabana » voisine, qui donnait tous les jours vingt dollars de pourboire au garçon pour profiter du spectacle.
— Je vais me baigner, annonça-t-elle.
Elle se leva et, au même instant, le haut-parleur grésilla :
— Bungalow 3, téléphone.
Malko décrocha le téléphone placé devant lui, donna son nom à la standardiste. Aussitôt, il entendit la voix de « Darling » Jill.
— Malko ! Comment allez-vous ? Jill Rickbell à l’appareil.
— C’est gentil d’appeler.
Jill prit une intonation plus intime, murmura presque :
— Je pensais à vous…
— Ah ! fit Malko, dans l’expectative.
— Nous sommes à Palm Springs, continua Jill et nous nous bronzons.
— Qui ça, nous ? demanda Malko.
— Gene, Seymour et une fille que vous ne connaissez pas, expliqua « Darling » Jill. Gene avait un truc à régler ici et nous a emmenées. On rentre ce soir. Pourquoi ne venez-vous pas un de ces soirs, à la maison ?
— Pourquoi pas, en effet ? Au point où il en était…
— Avec Daphné, bien entendu, précisa suavement « Darling » Jill. Après-demain.
Malko ne demanda pas de qui il s’agissait.
— Va pour après-demain, dit-il. Je serai heureux de vous revoir.
— Voilà mon adresse : 3428 Belagio Road, dans Bel-air, précisa « Darling » Jill.
Daphné émergeait de la piscine. Malko lui apprit qu’ils étaient invités par « Darling » Jill. Daphné haussa les épaules, philosophe.
— Je vais encore faire des heures supplémentaires, laissa-t-elle tomber.
À tout hasard, Malko appela le bureau d’Albert Mann. Celui-ci, heureusement, était là. Il sembla ravi de l’invitation de Jill.
— Bravo, dit-il. C’est parfait qu’ils vous donnent signe de vie eux-mêmes.
— Vous ne croyez pas qu’en interrogeant sérieusement Gene Shirak, on arriverait à un résultat ?
— Non. Nous n’avons pas assez d’éléments. Il nous rirait au nez. Le type est protégé par une armée d’avocats. En plus, il connaît personnellement le gouverneur de l’État.
— C’est une histoire de fous, fit Malko, découragé. Vous avez tout simplement mis le doigt sur une bande de joyeux fêtards…
— Je le souhaite, fit simplement Mann. Dans ce cas, vous aurez passé des vacances au soleil. Et à nos frais.
Sur ces paroles consolatrices, il raccrocha. Malko alla au bar commander une vodka. Le soleil chauffait son dos agréablement et cela lui rappela son exécution manquée de Bagdad. Il frissonna. Quel dommage que Djemal ne soit pas là. Lui qui aimait tant la vie. Son verre à la main, il revint s’allonger près de Daphné qui riait toute seule. Elle lui tendit un billet de cent dollars.
On avait griffonné dessus : « chambre 112, 10 heures P.M. »
— C’est notre voisin, expliqua-t-elle.
S’il était aussi prolixe que la marquise de Sévigné, cela risquait de lui coûter cher…
— Nous continuons, annonça Malko.
— C’est pour la patrie, dit philosophiquement Daphné. Et pour mon petit magasin à Kansas City.
Enfermé dans son bungalow luxueux de la Siesta Villas, Gene Shirak essayait désespérément de joindre Diana Miller. La jeune Noire semblait s’être dissoute dans le smog qui recouvre Los Angeles trois jours sur quatre. Aucun de ceux qui la connaissaient ne l’avaient vue.