La sueur coulait sur le front de Gene. La température, d’abord. Il faisait 35° dans le désert de Palm Springs.
La peur aussi.
Dégrisé, il avait réalisé ce qu’il avait lancé. C’était reculer pour mieux sauter, jouer avec le feu. Bien sûr, il gagnerait quelques jours, mais, après l’homme blond, il en viendrait d’autres et il ne protégerait pas éternellement « Darling » Jill de tout contact dangereux.
Depuis le matin, il voulait dire à Diana Miller de décommander l’opération. « Darling » Jill se dorait au bord de la piscine, sans se douter de rien. Il l’avait emmenée à Palm Springs pour l’éloigner de Beverly Hills et laisser au tueur de Diana le temps d’agir. Tout cela lui semblait enfantin maintenant. Et terriblement dangereux. Il visitait des terrains qu’il n’avait pas la moindre envie d’acheter et cela ajoutait à sa mauvaise humeur.
Le numéro qu’il appelait ne répondait pas une fois de plus. Il raccrocha et sortit se détendre quelques minutes au bord de la piscine.
Jill était en train de téléphoner. Il entendit la dernière phrase :
— Je vous attends après-demain. Au revoir, Malko. Gene Shirak ne sut pas si c’était le soleil brûlant ou cette petite phrase, mais il se sentit brutalement les jambes molles. Son visage dut refléter son désarroi, car « Darling » Jill l’interpella après avoir raccroché.
— Eh bien ! tu es jaloux ?
Il s’en tira par une plaisanterie et plongea dans l’eau transparente.
Après tout, que le destin s’accomplisse. Il valait mieux parer au danger le plus pressant. Lorsqu’il sortit de l’eau, il alla s’étendre au soleil sur une des chaises longues et ne chercha plus à joindre Diana Miller.
L’homme qui se présenta à l’entrée de la piscine du Beverly Hills avait le visage caché par un masque semi-cylindrique en mica fumé utilisé par les motocyclistes. Il portait un paquet à la main. La vieille dame de la caisse fronça les sourcils.
— Que voulez-vous, jeune homme ? C’est privé ici. La voix posée de l’inconnu la radoucit :
— J’ai un paquet urgent pour un client de l’hôtel, expliqua-t-il. Le bungalow 3. En haut, au desk, ils n’avaient personne pour le porter et ils m’ont dit d’y aller moi-même.
Rien à dire à cela.
— O.K. ! dit la vieille dame en libérant le tourniquet automatique. Mais faites vite. Demandez à Georges, le garçon en blanc, il vous dira où est la personne que vous cherchez.
Le jeune homme se faufila dans le tourniquet et descendit les quelques marches. Le masque cachait entièrement ses traits. La préposée à l’entrée avait des excuses de ne pas avoir reconnu son jeune client « teinté » de l’heure précédente.
Sa moto, une Yamaha, montant à cent vingt milles, était garée en bas du parking. En quelques secondes, il serait loin.
Dean Anchor se retourna et vit que la vieille dame l’observait. Aussi fit-il le tour de la piscine pour aller demander à Georges où se trouvait le client du bungalow 3. Ce dernier était au même endroit, étendu sur un matelas, en train de lire. La fille rousse était là aussi, à côté de lui.
De l’argent facilement gagné, pensa Dean.
Georges bavardait sous le plongeoir avec une dame mûrissante qui s’intéressait beaucoup à sa jeune éducation. Il regarda d’un air dégoûté le coursier et laissa tomber :
— Là-bas, la dernière « cabana », le type blond avec les lunettes. Et filez vite ensuite, sans regarder les gonzesses…
Dean Anchor eut un rire servile. Il regrettait de tout son cœur de ne pas avoir le temps de repasser par le plongeoir, juste le temps de coller une balle de 38 dans le ventre de ce petit maquereau.
Prenant bien soin de ne pas marcher sur les corps étendus, il avança lentement vers l’homme et la femme qu’il devait tuer. Il préférait qu’ils ne le voient pas au dernier moment. Les gens ont parfois des pressentiments. Il n’avait pas choisi la piscine au hasard. C’était le seul endroit où sa victime serait sans défense et détendue.
Il n’était plus qu’à quelques mètres du couple. Avec sa main gauche, il ouvrit le paquet. C’était un gros livre dans lequel il avait creusé une alvéole pour loger son Smith et Wesson. Dans sa poche, il avait une boîte de cartouches, à tout hasard. Absorbé, il trébucha sur des jambes étendues. Une grande fille maigre dont le soutien-gorge ne cachait rien, chercha son regard à travers le masque.
Au même moment, le haut-parleur grésilla.
— Miss La Salle, téléphone, s’il vous plaît.
Dean Anchor ne prêta pas attention à l’appel : cela ne le concernait pas ; mais soudain, il vit la fille rousse se lever et s’éloigner devant lui, en ondulant de ses hanches somptueuses. Une seconde, il resta immobile, paralysé par la surprise. Jamais il n’aurait le temps de tuer les deux.
Il se baissa, comme pour arranger le lacet de sa chaussure de basket. Il fallait gagner une minute ou deux. Soudain, la voix furieuse de Georges éclata derrière lui.
— Alors quoi ? On prend le soleil ! Je vous ai dit de donner votre paquet et de filer.
Dean se releva lentement. L’éclat de voix avait fait lever la tête à l’homme blond. Dean, à cause des lunettes noires, ne pouvait voir s’il le regardait.
Il lui restait trois mètres à parcourir. Georges ne pourrait pas intervenir. Ensuite, il aurait à courir le long de la bordure pour atteindre la fille en train de téléphoner. Une bouffée de haine le submergea. Il plongea dans le paquet et agrippa solidement la crosse du Smith et Wesson, ramena le chien en arrière et fit jaillir l’arme. Il avait retrouvé son calme. Pour quelques secondes, il n’était plus le petit voyou de la 103e Rue du Watts, mais le Destin.
La fille maigre aperçut l’acier bruni du revolver et poussa un cri perçant.
Dean Anchor, les jambes écartées comme au stand, leva le bras et visa. Juste au-dessus du maillot noir. C’était un coup facile. Son doigt se crispa sur la détente.
En roulant sur le San Diego Freeway, le patrolman Clyde Krieger méditait sur l’inanité de la vie. À la tête de six motards de la police de Los Angeles, il convoyait l’émir de Bahrein, minuscule principauté du golfe Persique, en visite semi-officielle aux USA. C’était un petit vieux tout ridé qui nageait littéralement dans le pétrole.
À près de quatre-vingts miles, ils roulaient sur la bande du milieu, phares allumés comme pour un enterrement. De temps en temps, Clyde donnait un petit coup de sirène pour écarter les voitures.
Il était toujours de corvée pour ce genre de truc. À cause de sa haute taille et de son physique d’acteur. Des traits virils, une peau mate, des épaules larges et une taille mince. Avec le casque doré, la tenue bleu marine et la ceinture-cartouchière, il avait grande allure. Tous ses copains lui disaient :
— Clyde, avec ta gueule, tu devrais faire du cinéma…
Seulement, les gens connus qu’il escortait une fois par semaine, se contentaient de lui serrer la main et de le remercier de la promenade aux sirènes. Et Clyde Krieger était toujours patrolman à six cent cinquante-quatre dollars par mois, avec une petite maison à Culver City, qu’il n’avait même pas fini de payer…
Le petit convoi avait tourné dans Sunset Boulevard. Une voiture de la police de Beverly Hills les escorta un moment. Sur la ligne droite avant d’arriver au Beverly Hills Hôtel, Clyde poussa une dernière pointe de vitesse. En grande partie pour dépasser une Pontiac Grand Prix blanche, conduite par une jolie brune qui daigna lui adresser un sourire quand il la doubla. Une fille comme il n’en aurait jamais dans son lit.