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Elle fit le tour de la Corvair et examina l’avant de la Rolls. La calandre massive avait à peine souffert. Erain monta à l’avant, tâtonna, mit le moteur en route et enclencha la marche arrière. La Rolls vibra mais n’arriva pas à se décrocher de la Corvair. Crispée sur le volant, Erain accélérait, freinait, avançait. Enfin, elle enfonça à fond l’accélérateur. Il y eut un craquement strident et la Rolls recula, emportant un morceau de portière de la Corvair.

Dès que Gene Shirak se leva, ses mains l’élancèrent de façon intolérable. Il ouvrit la portière et s’effondra à côté d’Erain. Aussitôt elle démarra.

Jusqu’à Laurel Canyon, ils n’échangèrent pas une parole. Gene se mordait les lèvres pour ne pas crier. Ses doigts retournés lui faisaient effroyablement mal.

— J’espère que cela va vous servir de leçon, fit Erain. Il nous faut un Navajo. Vivant et en bon état.

Gene en oublia la douleur de ses doigts. Erain s’arrêta au feu de Hollywood Boulevard et tourna son visage aux traits lourds vers Gene.

— N’essayez plus de me tuer. Sinon, c’est moi qui vous tuerai.

Il baissa la tête sans répondre. Le piège se refermait inexorablement autour de lui. Du jour où Erain l’avait contacté, il avait toujours su qu’il ne s’en sortirait pas.

La jeune Hongroise arrêta la Rolls-Royce au coin de Fairfax Avenue et de Hollywood Boulevard. Trois taxis, objets rarissimes à Los Angeles, se trouvaient en stationnement. Elle se pencha sur Gene et il recula avec un cri de souris. Elle eut un sourire méprisant :

— N’ayez donc pas peur ! Je ne suis pas aussi lâche que vous.

Habilement, elle prit son portefeuille en crocodile et en tira un billet de vingt dollars, laissant cinq cents dollars en coupures.

— Je n’ai pas envie de rentrer à pied, dit-elle. À propos, demain, vous allez laisser votre Thunderbird dans le parking de Ralph sur Sunset toute la journée. Dans la boîte à gants vous mettrez une enveloppe avec mille dollars. Pour ma voilure. N’oubliez pas.

Gene eut une lueur d’espoir :

— Erain, demanda-t-il timidement, je peux vous donner cent mille dollars. Vous êtes jolie et jeune, vous méritez mieux que cette vie dangereuse.

L’expression de la jeune femme lui coupa le reste de sa phrase.

— Taisez-vous, fit-elle, vous êtes immonde. Ensuite vous me proposerez de coucher avec moi, n’est-ce pas ? Bonsoir et n’oubliez pas ce que je vous ai dit…

Elle sortit et claqua la portière. Gene la vit entrer dans une cafétéria. Ses mains enflaient à vue d’œil. Il se demanda comment il arriverait chez lui. Il se glissa derrière le volant et parvint à diriger tant bien que mal la lourde Rolls-Royce.

La villa était éteinte, Joyce était partie à Palm Springs avec des amis. Gene entra, alluma tout et se jeta sur son lit. La tête lui tournait, il n’en pouvait plus.

Il tapa rapidement sur le cadran le numéro de son médecin. Un answering service lui répondit que le praticien ne serait pas là avant deux heures. Parti à Long Beach pour une urgence. Gene se traîna jusqu’à la pharmacie, avala trois tranquillisants et revint dans le living-room. Il se sentait abandonné et sans courage. Lui qui, un mois plus tôt, était un des hommes les plus puissants de Hollywood.

Soudain, il pensa à Diana Miller. Il ne l’avait pas revue depuis l’attentat. C’était son jour de relâche, elle était peut-être chez elle. Rapidement, il enfonça les touches de son numéro.

Gene se sentit bêtement ragaillardi d’entendre la voix de la jeune Noire.

— C’est Gene, dit-il.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Il sentit la peur dans la voix de Diana et s’empressa de la rassurer.

— Tu sais bien que je suis amoureux de toi, dit-il d’un ton faussement badin.

D’habitude, la Noire riait et ils flirtaient, s’excitaient mutuellement au téléphone, jusqu’à ce que l’un des deux prenne sa voiture et aille rejoindre l’autre. Mais Diana laissa passer quelques secondes avant de dire d’une voix froide et inhabituelle :

— Je ne pourrai pas te voir ces jours-ci. J’ai beaucoup de choses à faire.

— Mais il ne s’agit pas du jour, coupa Gene, mais des nuits. De cette nuit, par exemple.

Brutalement, il revit le corps cuivré de Diana, ses hanches dures comme du bronze. La douleur de ses doigts s’éloigna. Étendu sur le dos, il éprouva un violent désir. Comme si Diana avait été la seule femme au monde.

— Viens, demanda-t-il. Tout de suite.

— Je ne peux pas. Je préfère ne pas te voir pendant quelques jours.

Une rage aveugle envahit Gene Shirak. Cette histoire pourrie lui gâchait ses joies les plus précieuses.

— Il s’agit bien de ça, gronda-t-il. J’ai envie de toi :

— Il y a d’autres filles à Hollywood. Tu en connais assez.

— C’est toi que je veux.

— Non.

Elle avait crié. Il se força au calme et annonça :

— Mille dollars, cash, dès que tu es là. Tu entends. Elle avait raccroché.

Gene garda l’appareil en main près d’une minute. Puis il ouvrit la télévision et s’efforça de ne plus penser. Ses mains, de nouveau, lui faisaient souffrir le martyre.

Et l’avenir était de plus en plus noir.

Chapitre XII

Malko dansait en pensant à autre chose. Le fracas de l’orchestre de la Factory épargnait heureusement le souci de la conversation. On n’aurait pas entendu une sirène d’incendie. Cinq jeunes gens chevelus et déchaînés hurlaient des « rock » à s’en faire claquer les cordes vocales, accompagnés par une sono digne des orgues de Notre-Dame.

Ce qui n’empêchait pas Sue Scala d’enlacer Malko avec autant de langueur que s’ils avaient dansé un tango argentin dégoulinant de corazôn.

— À quoi pensez-vous ? glissa-t-elle à son oreille.

Elle espérait évidemment qu’il lui dise « à vous ». Comme chaque fois qu’elle dépassait la demi-bouteille de whisky, elle commençait à avoir sérieusement envie de faire l’amour. Plus particulièrement avec ce beau prince européen.

Malko ne répondit pas, pour la bonne raison qu’il n’avait pas entendu la question de Sue, plongé dans ses propres pensées. Qui n’étaient pas roses. Le sixième sens, qui l’avait souvent aidé au cours de sa carrière, diffusait en lui une angoisse mal définie, comme un aérosol de peur.

Rien de fâcheux n’était pourtant arrivé depuis l’attentat de la piscine.

Gene Shirak n’avait pas donné signe de vie, ce qui ne voulait rien dire, le FBI n’avait rien trouvé concernant Dean Anchor, le jeune tueur, et Malko avait rongé son frein un jour de plus. Bizarrement, à la piscine, les deux « cabanas » voisines de la sienne étaient restées vides. Le coup de fil de Sue Scala était arrivé deux heures avant qu’il ne parte avec Daphné au rendez-vous de Jill Rickbell. Sue voulait absolument passer la soirée avec Malko.

Celui-ci, après avoir hésité, accepta finalement. Sue faisait partie de la bande Shirak et pouvait être au courant de certaines choses. Il avait laissé partir Daphné toute seule chez Jill, sans aucune appréhension. La jeune femme risquait seulement d’être déçue.

Chez Sue, la soirée s’était déroulée sans histoire. Il y avait une douzaine d’invités dans sa petite villa, tout en haut de Laurel Canyon, tous inconnus de Malko. On avait bu et mangé. L’actrice portait une étrange robe de toile en forme de sac, très serrée à mi-cuisse, moulant étroitement ses hanches et fendue dans le dos jusqu’à la naissance des reins. Un petit chef-d’œuvre d’indécence. Sans rien dessous, bien entendu.

Sue n’avait pas caché ses intentions à Malko. Elle buvait comme un trou et, plus ses pommettes rosissaient, plus elle devenait tendre. Déjà, au bord de sa piscine, elle s’était livrée avec Malko à une exhibition de danse qui ne laissait aucun doute sur son désir.