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Ensuite, le whisky s’épuisant, la bande avait émigré à la Factory. C’est là que Malko avait commencé à se sentir mal à l’aise. Sans aucune raison. Sue passait en revue les perversions sexuelles du Tout-Hollywood et serait sûrement tombée raide si Malko lui avait parlé de la CIA. Torturé par son pressentiment, il s’était éclipsé pour appeler Jill. Il était tombé sur l’answering service. Daphné n’était pas non plus revenue au Beverly Hills. Son angoisse s’en était encore accrue, bêtement.

Voyant que Malko ne lui répondait pas, Sue Scala reprocha d’un ton pleurnichard :

— Vous vous ennuyez avec moi !

— Mais non, se défendit Malko, sentant venir l’orage. Lorsqu’elle avait bu, c’est-à-dire tous les jours après six heures, Sue était très susceptible.

— Si ! continua-t-elle avec l’obstination des ivrognes. D’ailleurs, vous ne savez même pas dans quels films j’ai joué. Je ne vous intéresse pas.

Sa voix montait carrément vers l’hystérie. Malko plongea sur sa main et la baisa, tandis que son cerveau travaillait à la vitesse d’un ordinateur :

— Comment aurais-je pu vous oublier ? Dans No Place like Hell lorsque vous vous battez avec votre rivale et que vous la chassez de chez elle ? Ensuite, vous allumez une cigarette et vous fredonnez Night and Day.

Sue s’en arrêta de danser.

— Comment vous en souvenez-vous, Jésus-Christ ! fit-elle d’une voix aiguë. Il y a dix ans de cela.

Malko sourit, modeste. Elle ne pouvait évidemment pas savoir qu’il possédait une mémoire fabuleuse, capable d’enregistrer le plus petit détail et de le conserver dix ou vingt ans. Il n’avait vu qu’un film de Sue, et encore à la TV, mais tout cela était revenu au bon moment…

Persuadée d’avoir trouvé un « fan », Sue en ronronnait littéralement, collée à Malko, plus corazon que jamais. Son corps maigre s’appuyait contre lui de tous ses os. Affreux.

— Venez, dit-elle. J’en ai assez d’être ici. On rentre.

Elle l’entraîna à travers l’immense salle, authentique hall d’usine. Malko avait hâte d’être seul, pour tenter de rejoindre Jill. Il avait bien abordé le sujet, mais Sue s’était fermée comme une huître : en amour, elle n’était pas partageuse et connaissait les penchants de la jeune milliardaire. D’autre part, Malko ne voulait pas se brouiller avec elle. Dans son étrange enquête, il n’avait pas tellement de points de chute. De toute façon, il avait laissé sa « Mustang » chez elle.

Lorsqu’on amena la T-Bird, Sue laissa Malko prendre le volant. Au moment où il tendait un dollar au jeune garçon qui avait amené la voiture, Sue faisait déjà glisser le haut de sa robe marron, d’un gracieux mouvement des épaules.

Elle avait horreur de perdre du temps. À partir d’une certaine dose d’alcool, elle ne raisonnait plus.

L’angoisse n’avait pas quitté Malko. Il aurait bien aimé savoir qui avait voulu le tuer et pourquoi. Et, surtout, quand on allait recommencer.

* * *

Le geste vague et la bouche pâteuse, « Darling » Jill voulut embrasser Daphné sur la bouche, mais rata son but. Vêtue d’un pantalon de soie jaune, elle ne portait rien au-dessus de la ceinture. Daphné avait réussi à garder sa mini-tunique blanche et son slip. Seymour s’approcha d’elle et voulut la saisir par les hanches, mais Jill attira la call-girl contre elle.

— Je la garde, proclama-t-elle, d’une voix aiguë.

Depuis le début de la soirée, elle avait entrepris Daphné et ne la lâchait pas. D’abord déçue par l’absence de Malko, elle s’était rabattue assez facilement sur Daphné, persuadée d’ailleurs que Malko l’avait fait exprès. Une expérience nouvelle n’était jamais pour lui déplaire.

Ils n’étaient restés qu’une heure environ chez Jill. Sun était enfermé à double tour dans une pièce du fond. Seymour Zev était venu les chercher dans une Mark III framboise. Daphné avait insisté pour prendre sa Camaro. Après un quart d’heure de route dans les allées de Beverly Hills et de Bel-Air ils avaient abouti dans une villa somptueusement meublée, avec de profonds canapés, des boiseries et une piscine ombragée d’arbres semi-tropicaux.

Ils avaient vidé six bouteilles de Dom Perignon en un clin d’œil. Jill, surtout, n’arrêtait pas de remplir sa coupe. Elle sublimait ses inhibitions, tandis que Seymour s’intéressait de plus en plus à Patricia.

Daphné tentait de garder la tête froide. Plusieurs fois, elle vida son verre dans des pots de plantes vertes. Aucun des téléphones ne portait de numéro. Elle n’était pas vraiment inquiète, mais aurait aimé prévenir Malko de l’endroit où elle se trouvait. Avec ces dingues… Seymour lui avait déjà glissé dans l’oreille qu’il apprécierait beaucoup d’assister à ses ébats avec « Darling » Jill. En toute camaraderie.

« Darling » Jill s’arracha soudain au profond canapé et entraîna Daphné.

— Viens, on va prendre un bain au Champagne.

Daphné se laissa tirer dans la salle de bains. Un grand bassin rectangulaire creusé dans le sol de marbre servait de baignoire-piscine. Jill acheva de se déshabiller et ôta elle-même la tunique de Daphné. Puis, après avoir ouvert les robinets, elle disparut.

Elle revint, croulant sous quatre bouteilles de Dom Perignon. Après s’être allongée dans l’eau tiède, elle attira Daphné, ouvrit la première bouteille et s’aspergea le visage, la bouche ouverte. Puis elle la tendit à Daphné :

— À toi !

Daphné laissa le liquide mousseux couler sur son visage et sur son corps. Quel gâchis ! Le meilleur Champagne du monde.

Seymour se glissa dans la salle de bains, nu comme un ver. Jill le chassa aussitôt :

— Va-t’en avec Patricia, gros porc ! Sinon, elle va nous arracher les yeux.

Par moments, Jill, capable de s’offrir à un régiment de Marines, avait des pudeurs inexplicables. Elle se leva et fit coulisser la cloison opaque qui les séparait du reste de la salle de bains. La première bouteille de Champagne était vide. Elle fit sauter le bouchon de la seconde… et força Daphné à boire.

— À qui est cette belle maison ? demanda la call-girl. Jill sourit :

— Petite curieuse ! C’est la garçonnière de Seymour. Il l’a louée sous un faux nom. Sa terreur, c’est que l’on sache qu’il participe à des orgies. Alors que tout Hollywood le sait !

Elle arracha la bouteille des mains de Daphné et colla sa bouche au goulot :

— J’ai soif.

Le Champagne dégoulinait sur tout son corps ambré, en minuscules bulles. Elle suivit le regard de Daphné, retroussa ses lèvres, découvrant des dents parfaites.

— Tu aimes ma poitrine ? demanda-t-elle, la voix changée.

Daphné opina de la tête.

— Embrasse-la.

* * *

Gene Shirak ne tenait pas en place. La bouteille de White Label était vide, et il se sentait pourtant l’esprit étrangement clair. Il mourait d’envie d’aller retrouver « Darling » Jill mais avait peur de se trouver en face de l’homme blond.

Ses mains lui faisaient moins mal, à force de morphine. La veille, son médecin lui avait remis les articulations en place, sans poser de questions.

Et depuis le matin, il avait un second jardinier Navajo. Harrisson Yahzé. L’ami de Zuni. Il ne s’était pas fait prier pour venir gagner soixante-quinze dollars par semaine, logé et nourri.

À onze heures, n’y tenant plus, il appela « Jill ». Pas de réponse, sauf l’answering service. Alors, il essaya la garçonnière de Seymour.