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Ils avaient atteint Beverly Hills et roulaient un peu plus vite. Le chauffeur du corbillard avait hâte de rentrer.

— J’ai une nouvelle pour vous, dit Albert Mann. Depuis deux jours Gene Shirak a un nouveau jardinier. Un Navajo, comme celui qui a été trouvé au Mexique…

— Et alors ?

— Alors, fit Albert Mann, je crois que c’est le commencement de la fin. Si nous avions pu, c’est nous qui l’aurions mis là, ce Navajo. Pour jouer le rôle de la chèvre dans la chasse au tigre…

— Nous avons affaire à des adversaires aux abois, pressés par le temps, j’en suis sûr maintenant. Sinon, ils n’auraient pas commis de meurtres. Cela va encore s’accélérer car ce Navajo, ils le veulent…

— Mais pourquoi, bon sang !

— Je n’en sais rien. Mais ils vont faire du forcing. Gene Shirak a peut-être un rôle, mais derrière, il y a des vrais professionnels. C’est ceux-là que nous voulons. Cela ne servirait à rien de boucler Shirak et Jill Rickbell. Récapitulez :

— Nous ne savons même pas où et pourquoi a été tué Zuni le Navajo.

— Nous n’avons pu relier la tentative de meurtre sur vous à aucun des personnages de cette histoire.

— Et officiellement, Daphné La Salle s’est suicidée.

— Sur le plan légal, nous sommes pieds et poings liés. Mais rien ne vous empêche, vous, de demander à miss Jill Rickbell où Daphné se trouvait le soir de sa mort et avec qui…

Le corbillard continuait tout droit sur le Sunset et Albert Mann tourna dans le driveway du Beverly Hills. Malko réfléchissait. L’Américain avait raison, hélas.

— Je vais aller voir Jill Rickbell, dit-il sombrement. Malko avait dans sa ceinture le colt 38 offert par Albert Mann. Il ne voulait plus prendre aucun risque. On mourait trop à Los Angeles – la Cité des Anges.

Il avait décidé de débarquer chez Jill Rickbell sans crier gare, même s’il devait l’attendre toute la nuit. Elle finirait bien par rentrer. Et la surprise était un bon atout.

Tout le rez-de-chaussée de la villa était éclairé. La Cadillac blanche et la Corvette rouge se trouvaient dans le driveway. Malko gara la Mustang derrière et appuya sur le bouton de la sonnette.

« Darling » Jill ouvrit elle-même. Malko ne vit aucune peur dans ses yeux, seulement de la surprise, et très vite une lueur amusée.

— Pourquoi n’avoir pas téléphoné ? demanda-t-elle espièglement. Vous vouliez me surprendre ?

— C’est un peu cela, dit Malko en entrant. L’attitude de « Darling » Jill ne collait pas du tout avec ses hypothèses.

La jeune femme était vêtue d’un curieux pantalon de cuir marron, fermé comme une barboteuse par des lanières, avec un chemisier de soie rouge. Un bandeau dans ses cheveux lui donnait l’air très sage. Mais elle ne portait aucun dessous comme à son habitude.

Malko alla s’asseoir sur le grand canapé de velours noir.

Moulée dans son pantalon de cuir, « Darling » Jill était extrêmement désirable. Comme la vie était mal faite. Elle lut dans le regard de Malko car elle se rapprocha soudain de lui.

— Je suis heureuse de vous voir.

Malko prit la main aux doigts couverts de bagues et la baisa. Il n’avait pas envie de dire ce qu’il avait à dire.

— Je ne suis pas venu ici pour cela, dit-il.

Le visage de madone s’assombrit, une lueur inquiète passa dans ses yeux.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

Malko plongea dans les siens ses yeux dorés.

— Daphné La Salle est morte. Quelques heures après avoir passé la soirée avec vous.

Jill détourna les yeux. Mais sans aucune peur.

— Je… je sais, dit-elle. Je l’ai lu dans les journaux. Je suis désolée. C’était votre amie, n’est-ce pas ?

— C’était mon amie, dit Malko. Et je voudrais savoir comment elle est morte.

Jill baissa la tête.

— Je sais, j’aurais dû vous téléphoner, mais je n’aime pas parler de mort. Cela me faisait peur. Je ne sais pas pourquoi. Daphné s’est suicidée. Elle est partie longtemps avant moi. Je me suis réveillée à six heures du matin.

Malko soupira :

— Jill, Daphné La Salle ne s’est pas suicidée. Elle a été assassinée. Quelqu’un lui a fait prendre à son insu une forte dose de somnifères. Vous étiez là. Donc vous êtes complice d’un meurtre. Voilà ce que je voulais vous dire.

— Vous plaisantez ! dit Jill. Il n’y avait que Seymour, Gene, Patricia et moi.

— Où ?

— Je… Je préfère ne pas vous le dire. Cela n’a aucune importance d’ailleurs.

Malko la sentait ennuyée, mais pas vraiment inquiète. Ou il n’avait plus aucune psychologie, ou elle n’était pour rien dans la mort de Daphné.

Ce qui semblait impossible.

« Darling » Jill sourit gentiment et dit :

— Je comprends que vous ayez de la peine, mais il ne faut pas aller imaginer des choses pareilles. Pourquoi voulez-vous qu’on tue Daphné…

Elle renifla, sincère :

— C’était une fille formidable…

Malko sentit que c’était le moment de la prendre à contre-pied.

— Il n’y avait aucune raison non plus de tuer Zuni, le Navajo.

« Darling » Jill resta la bouche ouverte, puis la terreur tordit son joli visage, la rendant laide. Une fine sueur froide apparut sur son front. Ses oreilles bourdonnaient, elle était au bord de la syncope.

Les yeux dans le vide, elle se leva et balbutia :

— Partez, partez tout de suite. Ou j’appelle la police. Malko ne broncha pas.

— Je ne partirai pas avant de savoir le nom de l’assassin de Daphné, dit-il calmement, même si c’est vous, Jill.

Il crut qu’elle allait piquer une crise de nerfs, là sous ses yeux. Elle se tordit les mains, baissa sur lui des yeux horrifiés, comme si elle découvrait une chose immonde, effroyable :

— Mais qui êtes-vous ? demanda-t-elle d’une voix suppliante. Pourquoi dites-vous toutes ces choses horribles ? Partez, partez !

Sa voix monta hystériquement. Malko s’efforçait de rester froid : cette fois, il avait tapé dans le mille. Jill avait peur, peur de quelque chose qu’il ignorait. Il était au bord de la réussite.

— Je me moque du Navajo, répéta-t-il. Mais je veux savoir qui a tué Daphné et je le saurai.

Un chaos de pensées assaillit Jill. Malko se leva et elle crut qu’il allait la prendre par le bras pour l’emmener Dieu sait où ; elle recula, trébucha et hurla en tombant sur le tapis.

Un grondement lui répondit, venant de la pièce du fond ; Jill se releva, les yeux brillants de haine, courut à la porte et l’ouvrit.

Sun, le Cheetah, bondit dans la pièce et vint s’étirer aux pieds de sa maîtresse ; Malko resta cloué sur le canapé de velours, un frisson désagréable dans la colonne vertébrale ; le fauve s’était assis en face de lui et ne le quittait pas des yeux.

— Je comprends maintenant comment est mort Zuni, dit-il. Pourquoi l’avez-vous tué, Jill ?

— Je ne l’ai pas tué !

Rassurée par la présence de Sun, elle avait repris un peu d’assurance. Mais tout s’effondra lorsque Malko reprit :

— Il va falloir vous expliquer sur beaucoup de choses, Jill… Qui couvrez-vous, si vous n’êtes pas coupable ? Vous allez venir au FBI avec moi. – Dites à cette bête de se tenir tranquille.

Le Cheetah gronda et la phrase de Gene fulgura dans la tête de Jill : ils tueront Sun et te mettront en prison. Quelque chose bascula dans sa tête. Lorsqu’elle regarda Malko, ses yeux fous lui firent peur. Instinctivement, il posa la main sur la crosse du 38.

— Foutez le camp, fit-elle d’une voix basse et sifflante ou je lâche Sun.

Le Cheetah se leva, gronda, fit le tour de la table et s’arrêta en face de Malko, aplati contre la moquette la gueule entrouverte. Ses babines retroussées laissaient apercevoir ses crocs blancs. Les yeux jaunes ne quittaient pas Malko. Son arrière-train ondulait légèrement.