— Vous êtes sûr qu’elle est encore là-bas ? demanda la Hongroise.
Depuis vingt minutes, ils parlaient de Jill. Gene dit sombrement :
— J’espère. Elle a peur de la police, heureusement. Elle m’attend.
— Il n’y avait rien dans les journaux ce soir ?
— Rien.
— Ça ne veut rien dire, personne n’est peut-être venu à la villa depuis, objecta Erain. De toute façon, il faut s’occuper de Jill.
— Bien sûr, dit faiblement le producteur.
Dans la pénombre, il vit le regard d’Erain posé sur lui et en eut froid dans le dos.
— N’ayez pas peur, fit la Hongroise, méprisante. Vous avez assez fait de gaffes comme cela. Si nous n’avions pas une mission à réussir, je ne vous demanderais plus rien. Je vais régler le sort de Jill Rickbell.
Gene éprouva à la fois un lâche soulagement et un dégoût intense pour lui-même.
— Qu’est-ce que vous allez lui faire ? demanda-t-il.
— Vous voulez vraiment le savoir ?
Non, Gene Shirak ne voulait pas le savoir. Il ne voulait plus rien savoir. Erain ordonna :
— Expliquez-moi comment aller là-bas. Ensuite, filez dans n’importe quelle boîte et n’en bougez pas de la nuit.
Gene lui dit tout ce dont elle avait besoin. Erain écouta attentivement et ouvrit la portière.
— Tout sera bientôt fini, assura-t-elle. Et vous serez tranquille.
La portière claqua et Gene se retrouva seul. Il avait absolument besoin de voir des gens. Même si Erain ne lui en avait pas donné l’ordre, il aurait été s’étourdir.
Sue Scala était couchée en maillot au bord de sa piscine, à côté d’un blond athlétique dans la même tenue. Un électrophone à piles jouait de la musique douce. Malko avait pénétré par le jardin. Entre les deux, était posée l’inévitable bouteille de whisky. Malko se planta devant elle et Sue daigna sourire.
— Ah ! salut, fit-elle.
Et elle replongea dans ses vices. Marijuana et whisky.
Malko commençait à en avoir sa claque des dingues et des ivrognes. Il saisit Sue par ses courts cheveux roux, oubliant toute galanterie, et lui fit lever la tête.
— Sue, il faut que je vous parle.
Elle bafouilla :
— Laissez-moi, j’ai le cafard. Je me suis engueulé avec mon ancien mari. Il a été méchant. Il dit que je suis une traînée et que je finirai dans un asile.
N’eût été son excellente éducation, Malko lui aurait prédit la même chose.
Le gorille blond ouvrit un œil et fit jouer ses muscles :
— Foutez la paix à Sue, mec, dit-il. Ou je vous rentre dedans. C’est ma petite.
Malko ne répondit même pas.
— Sue, insista-t-il. Où se trouve la garçonnière de Seymour ?
Elle secoua la tête :
— Qu’est-ce que cela peut vous foutre ? Et, elle repartit dans le brouillard.
Cette fois, Malko n’hésita pas. Il prit l’actrice par le bras et la cuisse et la fit basculer dans la piscine. Le gorille se dressa avec un hurlement. Malko crut qu’il allait se frapper la poitrine avant de foncer. Tranquillement, il sortit le 38 et le braqua sur le plexus solaire de l’autre :
— Qu’est-ce que vous préférez ? Faire du café ou aller à l’hôpital ?
Encore une vocation de cuisinière rentrée. En grommelant, le blond partit vers la cuisine.
— Faites-le fort, cria Malko.
Sue barbotait, la tête hors de l’eau, étouffant et crachant. Il l’aida à sortir. Son maquillage avait coulé, c’était horrible. À peine au bord, elle retomba sur le matelas.
Sans hésiter, Malko la replongea dans l’eau. Il crut qu’elle n’allait pas remonter. Le gorille gronda de la cuisine, de façon beaucoup plus discrète. Malko plongea encore Sue deux fois dans la piscine. Elle suffoquait, pleurnichait, mais n’avait pas retrouvé la parole. Finalement, il l’enveloppa dans une serviette et l’emmena à la cuisine. Le café fumait sur la table. Malko ajouta de l’eau froide pour gagner du temps et fit boire toute la tasse à Sue. Maintenant, le gorille blond était absolument effaré.
À la seconde tasse de café, Sue s’ébroua, eut un hoquet et ouvrit des yeux démesurés. Malko lui fit ingurgiter une troisième tasse de café.
— Pourquoi me torturez-vous ainsi ? gémit-elle. Malko lui tapota la main.
— Pardon, Sue, mais c’est une question de vie ou de mort. Où se trouve la garçonnière de Seymour ?
Elle lui jeta un regard stupéfait :
— Comment êtes-vous au courant de cela ?
— Peu importe, fit Malko. Où est-ce ?
Elle se prit la tête à deux mains et fronça les sourcils. De petites veines rouges s’entrelaçaient sur ses joues. L’alcool.
— Attendez, c’est après Beverly Glen, une petite maison sur la gauche, dans…
« Darling » Jill se précipita à la porte en entendant la sonnette. Elle était en train de devenir folle d’angoisse. Cette maison déserte la déprimait.
— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-elle en voyant Erain.
La Hongroise entra et referma la porte derrière elle.
— Je viens de la part de Gene.
Jill détailla avec angoisse le visage brutal d’Erain. Une horrible panique descendit le long de sa colonne vertébrale. Elle s’assit et chercha une cigarette.
— Où est Gene ? gémit-elle. Il m’a promis qu’il allait venir.
Erain eut un sourire rassurant.
— Il a été retardé, je suis venu vous tenir compagnie, en l’attendant. Il n’y a pas de musique ici ?
« Darling » Jill se leva et alla mettre en marche le tourne-disque. La musique calma un peu sa panique. Elle préférait ne pas penser. Et si Gene était un assassin ? Comme elle aurait voulu que Sun soit là. Sans lui, elle se sentait impuissante et nue.
— Où est la salle de bains ? demanda poliment Erain.
Il n’y avait aucune menace dans sa voix, mais Jill frissonna. Dès que la Hongroise eut disparu, elle regarda le téléphone. C’était si facile d’appuyer sur le « 0 » et d’appeler la police.
Tout à coup, la musique emplit la pièce. Jill leva la tête. Erain venait de tourner à fond la puissance de l’électrophone. Elle s’avançait vers elle, le visage indifférent, une paire de longs ciseaux dans la main droite. Jill remarqua qu’elle avait ôté ses chaussures à hauts talons.
« Darling » Jill hurla. Mais la musique étouffa son cri. Puis elle se rua vers le téléphone, appuya sur le zéro. Le numéro de la Bel Air Patrol était collé sur le récepteur, mais elle n’avait pas le temps de le composer.
Erain plongea sur elle au moment où l’opératrice répondait. Une des branches des ciseaux s’enfonça dans la gorge de « Darling » Jill, sectionnant la carotide gauche. Un jet de sang éclaboussa son menton, elle lâcha l’appareil pour lutter. Mais la femme qui tenait les ciseaux était beaucoup plus forte qu’elle. Et elle voulait tuer. La lame s’enfonça encore plus dans la chair fragile de « Darling » Jill et elle tomba en arrière.
Malko se catapulta littéralement hors de la Mustang. Il y avait de la lumière dans la maison et le bruit de la musique s’entendait de la route.
Il se sentit si bête qu’il faillit faire demi-tour. Il allait encore tomber en pleine partouze. Il sonna en vain puis poussa la porte.
Tout de suite l’odeur fade du sang lui sauta au visage. La pièce était vide. Il alla à l’électrophone et le stoppa. Alors seulement, il aperçut une jambe dépassant de derrière le divan. Il s’approcha, sachant déjà ce qu’il allait trouver.