Выбрать главу

« Darling » Jill s’était débattue avec une énergie insoupçonnée. C’était une boucherie. La moquette était imprégnée de sang tout autour du corps. La jeune femme avait les yeux ouverts ; le visage déformé par une terreur abjecte. Elle avait vu venir la mort, une mort horrible. On l’avait égorgée, comme un animal. Il y avait du sang jusque sur son pantalon de cuir marron. Tous ses ongles étaient cassés.

Malko posa sa main sur sa joue. Elle était encore tiède. Le meurtre ne remontait pas à plus d’une heure. Si Sue avait été moins saoule, Jill serait peut-être encore vivante et il se serait heurté à son assassin.

Mais une fois de plus, il était arrivé trop tard. Décourageant. Pourquoi cette série de meurtres sauvages ? Maintenant, le seul homme à pouvoir répondre à cette question était Gene Shirak. Malko décrocha le téléphone et composa le numéro d’Albert Mann.

* * *

Gene Shirak commanda sa troisième bouteille de Dom Perignon.

Ruth, la femme de son avocat, qui n’avait pas plus de vingt-trois ans, le regarda avec admiration. Elle s’offrait si visiblement que c’en était gênant. Gene représentait tout ce qu’elle admirait dans l’existence : l’argent, la puissance, la renommée. Chaque fois que Jim, le mari de Ruth, sortait avec Gene Shirak, il souffrait le martyre. Mais il lui était impossible de refuser. Gene était son meilleur client.

Gene prit Ruth par la main.

— Allons danser !

Le producteur avait retrouvé le couple au « Climax », la seule boîte ouverte après deux heures du matin. L’enfer psychédélique du sous-sol battait son plein. Dans la quasi-obscurité, Ruth put se serrer à son aise contre le producteur. Celui-ci glissa la main entre son boléro et le pantalon de dentelle. La jeune femme creusa les reins pour qu’il puisse atteindre la peau de ses reins.

Ils ne s’étaient rien dit, mais Gene savait qu’elle était à lui. Le petit visage brun triangulaire cherchait à accrocher son regard. Sur le moment, il éprouva une grande chaleur heureuse, puis il pensa à Jill. Il était trois heures du matin. Tout devait être fini.

— J’en ai marre de danser, fit-il brutalement.

Ruth se demanda en quoi elle lui avait déplu. Elle se promit, à la prochaine danse, d’en faire encore plus.

Chapitre XVI

Erain décrocha immédiatement et referma la porte de la cabine sur elle. Il était déjà huit heures et demie et elle commençait à neuf heures.

Rapidement, elle résuma les derniers développements de l’affaire Gene Shirak, soulignant que la solution était en vue. Le producteur avait repris un Navajo et mit au point un procédé pour sortir des USA le samedi suivant. Il fallait encore tenir quelques jours.

Ce ne fut pas l’avis de son correspondant à l’autre bout du pays. Gene Shirak était « brûlant », il fallait le liquider et le plus tôt serait le mieux. Erain avait sur place deux hommes qui l’aideraient.

La jeune Hongroise sortit de la cabine sans émotion. Cela faisait partie de son métier. De son vrai métier qu’elle aimait. Il ne lui appartenait pas de discuter les ordres. Tant pis si elle perdait le bénéfice de semaines d’efforts et d’un meurtre. La sécurité primait tout.

En mettant sa nouvelle Falcon en route, elle pensa que c’était quand même dommage, maintenant qu’elle avait tout mis au point. Mais les autres devaient avoir raison. Ils avaient toujours raison. C’est pour cela qu’elle était encore vivante et en liberté. Gene Shirak n’était plus sûr.

Le peu qu’il savait était suffisant pour causer de graves dommages.

Elle descendit Wilshire Boulevard, absorbée dans ses pensées. Il faudrait qu’elle se rachète un chemisier pour remplacer celui qu’elle avait été obligée de brûler après le meurtre de Jill.

* * *

— Gene Shirak est un iceberg, dit Albert Mann. C’est la petite partie visible d’un ensemble qui nous échappe complètement. Nous ne savons même pas ce qui le lie à cet ensemble. Le meurtre de Jill Rickbell est un accident de parcours, à mon avis, et n’a rien à faire avec la véritable affaire.

La conférence se tenait dans les bureaux du FBI. Une fois de plus l’affaire était au point mort, deux jours après la mort de Jill Rickbell. Le point de mire de l’affaire, Gene Shirak, étroitement surveillé par le FBI ne levait pas le petit doigt de travers.

Enfoncé dans un fauteuil trop confortable, Malko broyait du noir derrière ses lunettes. Il n’avait pu sauver ni Daphné ni « Darling » Jill. Pour la seconde, il était certain que Gene Shirak ne l’avait pas tuée. Le producteur, au moment où on égorgeait la jeune femme, avait un alibi inattaquable. Trop inattaquable, même.

— Aucun indice, demanda-t-il, pas d’empreintes ? Albert Mann secoua la tête.

— Rien. Le meurtre a été commis avec une absence complète de sensibilité. Il faut avoir les nerfs solides pour découper les carotides d’une fille avec des ciseaux et la laisser saigner à mort. C’est un crime de professionnel.

— Alors que faisons-nous ?

— Attendre. Nous ne pouvons pas arrêter Gene Shirak, nous ne possédons rien de solide contre lui.

Quelque chose échappait à Malko.

— Mais enfin, demanda-t-il, pourquoi Gene Shirak travaillerait-il contre ce pays ?

Albert Mann avoua.

— Nous n’en avons pas la moindre idée. De plus, tous les agents de l’Est que nous avons identifiés étaient des gens modestes avec de petits moyens.

— Gene Shirak est millionnaire. Je vois mal les serviteurs de l’Est s’accommodant d’un agent roulant en Rolls.

— Après tout, il est Américain. Bien sûr, il est arrivé de Hongrie, il y a vingt-sept ans. Mais nous ne pouvons pas soupçonner tous les émigrés. Ce pays en est plein. Il y a des quartiers entiers à New York où l’anglais n’est que la seconde langue…

Albert Mann conclut :

— J’ai peur que nos efforts ne soient inutiles, dit-il. Ces gens ne sont pas fous. Il y a eu trop de bavures. Ils vont tout stopper et recommencer ailleurs.

C’était la logique même.

La conférence était terminée. Un épais smog cachait le soleil au-dessus de Los Angeles et il faisait presque frais. Malko partit le premier, décidé à continuer quand même. Il fallait affoler Gene Shirak, s’attaquer à ses nerfs. Jusqu’à ce qu’il fasse une nouvelle erreur. Il avait déjà vu des durs céder à la pression nerveuse.

* * *

— M. Shirak n’est pas là. Il vient juste de partir. Je ne pense pas qu’il revienne aujourd’hui.

La secrétaire disait la vérité : la porte du grand bureau était ouverte et il était vide. Malko hésita. La fille le regardait avec un intérêt non dissimulé. Sa robe était relevée bien au-delà de ce qu’il est courant de trouver dans un bureau honnête… Et le sourire qui se mirait dans ses yeux dorés était un rien plus que commercial. Il décida d’en profiter.

— Toutes les secrétaires de Gene Shirak sont aussi jolies ? demanda-t-il.

— Je m’appelle Carrol et je suis la seule secrétaire de Gene Shirak, précisa la fille.

Malko se demanda comment elle tapait à la machine avec des ongles de trois centimètres, au vernis impeccable. Un petit transistor était posé près d’elle, branché sur KRLA. Elle s’étira, faisant saillir une poitrine pointue, sans soutien-gorge. Les instructions du patron, probablement. Malko se pencha sur le bureau et elle ne recula pas, offrant une bouche rouge et large.

Un journal jaune était étalé devant sa machine : Free Press. Le quotidien des Hippies, bourré de petites annonces offrant partenaires d’orgies, pédérastes, voyeurs, etc., et d’articles anticonformistes. Assez inattendu dans ce luxueux bureau.