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— Tant pis. Vous allez venir avec moi.

— Non, fit Malko.

Il recula, se plaçant entre Gene Shirak et la porte. Une seconde, les deux hommes s’affrontèrent. Les yeux injectés de sang, Gene Shirak répéta à voix basse :

— Venez avec moi de bon gré ou je vous tue. Je m’en fous maintenant. Ma vie ici est terminée.

Il y avait moins d’un mètre entre les deux hommes. Malko vit l’index de Gene Shirak se crisper sur la détente du Cobra. L’Américain n’était pas dans son état normal. Il allait le tuer. Et pourtant, il ne pouvait pas le laisser partir.

Au même moment, le téléphone sonna, dans le bureau de Carrol. Une seconde plus tard, la jeune fille entrouvrit la porte et elle poussa un cri perçant. Elle avait assisté à beaucoup de choses dans ce bureau, mais jamais encore à un meurtre.

Distrait, Gene Shirak quitta Malko des yeux, une fraction de seconde.

Lorsqu’il se reprit, il était trop tard.

Malko braquait sur lui le 38 offert par Albert Mann. Carrol se laissa tomber dans un fauteuil, paralysée de terreur.

— Nous sommes à égalité maintenant, dit Malko. Qui a tué Daphné La Salle ?

Mais Gene Shirak s’était repris. Le 38 se releva dans sa main.

— Laissez-moi passer.

— Je veux savoir pour Daphné La Salle, insista Malko, bien qu’il connaisse déjà la réponse.

Gene Shirak avança encore.

— Mais enfin, vous risquez votre vie pour une fille morte. Vous êtes dingue ou quoi ?

— C’est un de mes rares luxes, dit Malko. Brutalement, le producteur baissa son arme et tira, près des pieds de Malko. L’explosion fut assourdie par la moquette, mais l’odeur âcre de la cordite emplit le bureau.

Malko fit un bond en arrière, leva son revolver. Les deux hommes tirèrent presque en même temps. La balle de Malko toucha superficiellement le producteur au bras gauche. Celle de Gene Shirak frôla sa tête et alla fracasser une des grandes glaces derrière lui. Malko plongea derrière la grande table ronde et la fit basculer devant lui.

Gene s’était retranché derrière le bureau. Malko lui barrait toute issue. Sans lâcher la serviette noire, il passa le bras par-dessus le bureau et tira trois fois en direction de la table. Deux des balles s’enfoncèrent dans le lourd panneau de bois et la troisième alla encore faire sauter une des glaces.

Malko riposta, sans plus de succès. Les deux hommes étaient solidement retranchés. Il y eut une pause. Puis, Gene Shirak vida encore trois cartouches. Toutes se perdirent dans les glaces bleutées servant de murs qui s’effondrèrent derrière Malko. Accroupi derrière le bureau, Gene Shirak rechargeait fiévreusement son arme, avec la boîte de cartouches qu’il avait dans son bureau. Le barillet claqua. Cette fois, il fallait qu’il passe.

La chaleur pénétrait par les panneaux détruits. Gene eut un serrement de cœur en pensant à son beau bureau. Rapidement, il tira quatre coups en direction des cheveux blonds de Malko. Un éclat de bois vola et un panneau entier de glace bleutée tomba dans le vide.

Maintenant, la paroi derrière Malko n’existait plus. Il sentait l’air tiède souffler dans son dos. Il lui restait deux cartouches.

— Vous êtes stupide, cria-t-il. La police va être là dans cinq minutes.

Pour toute réponse, Gene Shirak tira. La balle de 38 effleura la main droite de Malko. Instinctivement, il riposta. Il ne lui restait plus qu’une cartouche.

Gene Shirak ne pouvait atteindre la porte sans avoir neutralisé Malko. La blessure de son bras gauche saignait lentement et régulièrement. Il tassa un mouchoir entre sa chemise et la chair, pour éviter que le sang ne dégouline sur sa main. Jusqu’au dernier moment, il devait être présentable. Une fois encore, il rechargea son Cobra 38. La sueur dégoulinait devant ses yeux, il ne savait plus très bien où il se trouvait.

La serviette noire, devant lui, représentait toute sa vie. Avec 350 000 dollars un homme pouvait vivre n’importe où. Et il existait des pays où « ils » n’iraient pas le chercher.

Lentement, il leva le 38 et tira à l’endroit où se trouvait la tête de Malko. Ce dernier se baissa. Alors, systématiquement, Gene Shirak commença à démolir les vitres derrière lui. Cela faisait un vacarme effroyable. Les pans de glace épaisse dégringolaient par mètres carrés, ne laissant que les poutrelles métalliques supportant le building.

Pour ne pas recevoir d’éclats, Malko était obligé de faire le gros dos, derrière la table.

Gene Shirak garda la dernière cartouche et fonça. Normalement, il restait une seule cartouche à son adversaire.

Malko réagit avec une fraction de seconde de retard Sa balle s’enfonça dans la lourde serviette de cuir. Ensuite le chien claqua à vide. Mais le choc déséquilibra Gene Shirak qui tomba sur le côté sur son bras blessé. La douleur lui fit lâcher la serviette et il roula sur lui-même avec un cri de douleur.

À quatre pattes, il se releva, attrapa la serviette et plongea vers la porte.

Malko atterrit sur son dos. Les deux hommes roulèrent en une mêlée confuse. Gene se releva le premier, saisit une grosse lampe et l’écrasa sur Malko.

Celui-ci fut atteint à l’épaule, tomba, mais l’épaisse moquette amortit le choc. Il eut le temps de saisir le producteur par la cheville. Ils recommencèrent à lutter férocement, sans un mot.

Gene Shirak, animé par l’énergie du désespoir, réussit encore une fois à se dégager le premier, chercha des yeux une arme. Il n’avait pas le temps de recharger le 38. Déjà, Malko était sur un genou. Le producteur fonça jusqu’au bureau et empoigna la lourde machine à écrire IBM, arrachant le fil. Surmontant la douleur de son bras, il la souleva au-dessus de sa tête et avança vers Malko. S’il parvenait à le frapper avec, il l’assommait net.

Malko recula. Habilement, Gene Shirak l’avait acculé dans le coin où les glaces avaient disparu. Il se retourna et vit le vide derrière lui. S’il glissait sur les débris de verre, il se retrouverait quatorze étages plus bas. Les panneaux étaient démolis jusqu’au niveau du sol.

Il recula encore d’un mètre, s’appuya à une poutrelle, cherchant lui aussi une arme. La table était trop lourde.

Gene, un rictus désespéré aux lèvres, avançait. Malko voyait ses muscles trembler sous l’effort.

Soudain, avec un « han » de bûcheron, Gene Shirak abattit la lourde machine. Mais Malko avait eu le temps de bouger. La masse métallique disparut dans le vide. Emporté par son élan, Gene Shirak tomba littéralement dans les bras de Malko.

Malko glissa sous son poids et se raccrocha de la main droite à la poutrelle métallique pour ne pas tomber dans le vide. Prenant appui sur la table renversée, Gene Shirak commença à le pousser, centimètre par centimètre vers l’ouverture. Déjà, les deux jambes de Malko battaient dans l’air tiède. Sa vie reposait sur sa main droite. Lentement, il se sentait glisser sur la moquette moelleuse.

Il croisa le regard de Gene Shirak, halluciné, fou. Plusieurs petits vaisseaux avaient éclaté dans ses yeux, ce qui lui donnait l’air d’un lapin. Une odeur insupportable de transpiration émanait de son corps. Arc-bouté sur la lourde table d’acajou, il poussait Malko vers la mort.

Carrol ouvrit soudain les yeux. Elle vit la scène et poussa un hurlement strident.

Surpris, Gene Shirak relâcha sa prise. Malko pivota, attrapa à son tour le pied de la table et se débarrassa de son adversaire d’un coup de pied en pleine poitrine. Déséquilibré, le producteur plongea par-dessus Malko, basculant à l’extérieur et se raccrocha au rebord métallique qui avait servi d’encadrement aux glaces.

Les deux mains crispées sur le métal, le corps collé le long de la paroi du building, il leva sur Malko des yeux implorants.