Celui-ci hurlait à la mort.
Sans lâcher sa sacoche, Malko fit le tour de la maison. La porte du garage était fermée. Et le chien continuait ses hurlements. Malko eut le pressentiment d’un drame. Tout paraissait pourtant idyllique. Les cocotiers bruissaient doucement au-dessus de sa tête et de longues limousines entraient sans arrêt au Beverly Hills, de l’autre côté de la rue. Une Lincoln passa dans Beverly Drive, conduite par une ravissante fille brune…
Rien de tout cela n’évoquait la mort et la tragédie.
Et pourtant…
Malko hésita. Le plus sage était d’appeler la police. Mais c’était encore perdre du temps. Il revint à la grande porte et tourna la poignée. À sa grande surprise, la porte s’ouvrit. Aussitôt les aboiements du chien augmentèrent d’intensité.
Le caniche était au bord de la piscine. L’eau était rouge. Deux mains crispées émergeaient du rebord de pierre. Malko se précipita. Joyce flottait à la surface de l’eau transparente. Elle avait réussi à se traîner jusqu’à la partie la moins profonde.
Malko la hissa avec précaution. Le pic à glace était encore enfoncé dans sa poitrine. Le visage était déjà cadavérique, les doigts bleuis. Joyce s’était vidée de son sang dans la piscine.
Un mince filet de sang coulait encore de la blessure Malko colla son oreille à la poitrine de la jeune femme. Le cœur battait encore faiblement et lentement ; mais, virtuellement, elle était déjà morte. Il courut à la cuisine, trouva une bouteille de brandy, remplit un verre et revint à la mourante. Il parvint à écarter les dents et lui versa un peu d’alcool dans la bouche.
Au bout de quelques secondes, Joyce toussa, cracha une rosée de sang et ouvrit les yeux. D’abord, elle ne reconnut pas Malko, murmura des paroles inintelligibles et ressombra dans l’inconscience.
Tout doucement, il la secoua. Il fallait au moins qu’elle lui dise qui l’avait tuée. Il lui montra la sacoche :
— Je vous ai rapporté l’argent. Joyce, dit-il doucement. Tout va s’arranger.
Elle ouvrit les yeux. Ses rides s’étaient effacées et elle semblait soudain très jeune. Sa main se crispa sur celle de Malko.
— Je vais mourir, souffla-t-elle.
— Qui vous a tuée ?
Elle eut une crispation de douleur et il crut qu’elle mourait. Mais elle rouvrit les yeux et dit :
— Une fille… Je ne la connais pas. Elle est partie avec Harrisson.
— Qui est Harrisson ?
Il dut se pencher pour entendre la réponse. Joyce s’épuisait :
— Le Navajo, murmura-t-elle. Nous nous sommes battues…
Elle secoua la tête, voulut dire quelque chose, eut un hoquet et se tut, agrippant la main de Malko.
Malko se releva. Joyce paraissait fragile et vulnérable. Couché près d’elle, le caniche poussait de petits jappements de douleur. Malko ramassa la sacoche aux dollars. Le FBI serait content. Mais s’ils avaient moins tergiversé. Joyce serait peut-être encore vivante. Une fois de plus, l’insaisissable tueur lui avait échappé. Mais maintenant, il savait que c’était une femme.
Il fallait agir vite. Tout ce qu’il savait c’est qu’une femme avait enlevé le Navajo après avoir tué Joyce. Il y avait des milliers de façons de quitter Los Angeles avec tous les bateaux et les avions qui se trouvaient en Californie.
Désespérément, il tentait d’extraire quelque chose de son cerveau, repassant dans son étonnante mémoire tous les faits depuis son arrivée à Los Angeles. Le déclic se fit lorsqu’il évoqua le « love-in » chez Gene Shirak.
Dennis Krug ! Le jeune milliardaire qui faisait des partouzes dans son avion privé ! C’est avec lui que Gene Shirak avait rendez-vous ! Quel meilleur moyen de sortir du pays ! Il y avait de fortes chances que l’inconnue utilise la même filière.
Il fonça dans le living et appela Albert Mann. Ce dernier se trouvait encore au bureau de Gene Shirak. Rapidement, il lui résuma la situation :
— Je vais tenter de les rejoindre, expliqua-t-il. Tâchez de savoir de votre côté où se trouve l’avion.
Aussitôt après, Malko appela Patricia. Pas de réponse. Il essaya Sue. Cette fois, le téléphone décrocha.
— Sue, dit-il, c’est Malko.
La jeune femme éclata de rire :
— Qu’est-ce que vous avez encore ? Vous voulez me jeter dans la piscine ?
Au moins, elle n’était pas rancunière. Visiblement, elle ignorait encore la mort de Gene Shirak. Tant mieux.
— Dennis organise un week-end en avion aujourd’hui, hasarda Malko, je devais me joindre à eux, mais j’ai perdu l’adresse. Voulez-vous venir avec moi ?
— Oh ! le salaud, s’exclama Sue. Il ne m’a pas invitée. Il me trouve trop vieille ou quoi ?
— Certainement pas, fit Malko, diplomate. Ce sont les autres qui sont jalouses de vous… Alors, qu’en dites-vous ?
— O.K. Où êtes-vous ?
— Chez Gene.
— Pourquoi ne vous emmène-t-il pas ?
— Il est déjà parti, j’étais en retard.
Sue n’approfondit pas. Et raccrocha avant que Malko ait pu lui demander où se trouvait l’avion de Dennis Krug.
— Bien, je suis là dans un quart d’heure.
Il n’y avait plus qu’à prier pour qu’ils arrivent à temps. Le téléphone sonna.
C’était Albert Mann. Fébrile.
— Le type dont vous parlez – Dennis Krug – possède un Learjet, une machine capable de voler 2 500 miles. Enregistrée à Los Angeles, mais nous ignorons absolument où elle se trouve.
— En principe, je l’aurai trouvé dans une heure, dit Malko content de voir que l’initiative individuelle battait les computers et les puissantes agences fédérales. Mais j’aurai peut-être besoin d’aide.
Moralement, Albert Mann sauta au plafond.
— Vous n’allez pas y aller seul ! rugit-il. Je vais vous expédier ce que nous avons de mieux comme…
— Vous voulez rejouer la charge de la Brigade légère ? suggéra Malko. N’oubliez pas que ces gens ont tué plusieurs fois pour arriver à leur fin. Il y a eu assez de cadavres.
— Laissez-moi arriver à bord. Ensuite, on essaiera de les neutraliser. À l’arrivée, de préférence.
Albert Mann acquiesça à contrecœur. La sonnette de la porte d’entrée carillonna. Malko cria dans l’appareil :
— J’y vais. À bientôt.
Sue l’attendait dehors dans sa T-Bird décapotable rouge. Avec sa robe imprimée, un maquillage léger et de grosses lunettes noires, elle paraissait dix ans de moins.
Elle embrassa Malko légèrement sur les lèvres et lui laissa le volant.
— Quel merveilleux week-end, on va passer, dit-elle. La dernière fois, nous avons été à Puerto Vallarta. Pendant trois jours, on a bu, dansé et fait l’amour. C’était divin.
Cette fois, cela risquait d’être moins divin mais plus mouvementé. Avec un assassin à bord et le FBI aux trousses.
— Où allons-nous ? demanda Malko.
— Long Beach airport.
Ils roulaient décapotés à plus de soixante-quinze miles à l’heure, ce qui évitait les frais de conversation. Autour d’eux s’étalaient les milliers de maisons basses de la zone industrielle qui entoure Los Angeles, au sud.
Jamais Malko n’avait vu s’écouler les minutes aussi lentement.
Enfin Malko sortit du San Diego Freeway et, dix minutes plus tard, ils pénétraient dans l’aéroport de Long Beach. Un garde en uniforme les stoppa.
— Nous rejoignons la partie de M. Krug, annonça Sue.
Le garde secoua la tête :
— Trop tard. Il vous a oubliée…
Il montra un petit biréacteur bleu ciel qui commençait à rouler lentement sur la piste. Malko appuya sur l’accélérateur et la voiture bondit.
— Eh, arrêtez ! cria le garde.
La Thunderbird roulait déjà vers la piste, coupant à travers l’herbe. Sue hurla :