NSA à FBI. Demandons que toutes informations concernant dossier 173 soient classées A1. Cas intéressant la sécurité des USA.
Le dossier 173, c’était celui du Navajo assassiné. Et le classement Al signifiait que le dossier ne pouvait plus être consulté ni par la police locale, ni par la police d’État. Seuls, le FBI et les agences fédérales veillant à la sécurité des USA pouvaient en avoir connaissance. La NSA, n’étant pas un organisme d’action, « sous-traitait » d’habitude ce genre d’affaires avec la CIA ou le FBI, mieux équipés en personnel.
Jack Thomas sortit une pastille rouge d’un tiroir et la colla sur le dossier qu’il enferma dans une armoire blindée. Puis, il appuya sur le bouton de l’interphone :
— Envoyez-moi Franck Madden.
Chapitre IV
Grand et mince, élégant dans un complet marron, les cheveux gris, l’homme se tenait très droit, le chapeau sur les genoux, assis sur le grand canapé blanc du living-room. Gene Shirak posa les yeux sur lui, surpris, cherchant à se souvenir s’il l’avait déjà rencontré. Pourtant aucune de ses relations d’affaires n’osait venir le déranger dans son sanctuaire de Beverly Hills, sans téléphoner à l’avance.
L’inconnu se leva vivement et vint vers lui en souriant.
— Gene Shirak, je suppose ? Madame Shirak m’avait dit que vous n’alliez pas tarder. Je m’appelle Frank Madden. Du Fédéral Bureau of Investigation. Ravi de vous connaître, Mister Shirak.
Le temps d’un éclair, il exhiba un badge, immédiatement escamoté. Mais Gene l’aurait cru sur parole. Il se demanda si son désarroi intérieur se lisait sur son visage.
— Asseyez-vous, monsieur Madden, parvint à due Gene Shirak. Que puis-je pour vous ?
Autant entrer immédiatement dans le vif du sujet. L’homme du FBI se rassit sur le canapé. Très détendu.
— Ravissante maison, remarqua-t-il.
Gene alla jusqu’au bar, entama une bouteille de White Label et revint avec deux verres.
Frank Madden accepta le whisky de Gene, fit tourner la glace et dit :
— Je suis désolé de vous déranger, monsieur Shirak, mais je dois vérifier une information. Qui ne vous concerne qu’indirectement, s’empressa-t-il d’ajouter.
Gene se força à sourire.
— À votre disposition.
Intérieurement, il priait pour que « Darling » Jill n’ait pas la mauvaise idée de débarquer à l’improviste. Si elle tombait raide sur la moquette blanche à la vue du policier, cela ferait mauvais effet.
— Monsieur Shirak, attaqua le policier, vous employez bien un Indien navajo nommé Zuni comme jardinier ?
On y était. Gene avala son White Label qui lui sembla soudain râpeux. Il ne reconnut pas sa voix lorsqu’il dit :
— Oui. Ou plutôt je l’employais. Il a disparu sans crier gare depuis trois ou quatre jours. Qu’est-ce qu’il a fait ?
— Oh ! lui, rien, fit Frank Madden, plongé dans la contemplation de ses souliers. Mais il est mort. Vraisemblablement assassiné.
Gene crut que sa colonne vertébrale se liquéfiait. Heureusement que Frank Madden ne le regardait pas.
— Mon Dieu, c’est horrible. Mais qu’est-il arrivé ? Je ne comprends pas. C’était un garçon très doux, très tranquille.
Frank Madden lui raconta succinctement l’histoire du Navajo. Gene l’interrompit, étonné de son propre sang-froid :
— Vous dites qu’il a été tué par un fauve. C’est peut-être un accident.
Le policier hocha la tête, poli mais sceptique.
— Peu de chances. Il n’y a pas de fauves de cette taille près d’Ensenada. Ensuite, le corps ne contenait presque plus de sang. Il a été transporté après sa mort. Vous ne voyez pas ce qui a pu arriver ?
Gene secoua la tête.
— Je l’ai vu samedi soir pour la dernière fois. Dimanche, j’ai voulu l’emmener à Palm Springs avec moi et je ne l’ai pas trouvé. Depuis il n’a pas reparu. D’ailleurs, je me préparais à aller voir le shérif.
Désespérément, il se demandait ce que la police savait. À chaque instant, il s’attendait à ce que l’homme du FBI prononce le nom de Jill. Il décida d’en avoir le cœur net.
— Vous n’avez aucune piste, Frank Madden prit l’air désolé.
— Aucune. Nous ne savons même pas où il a été tué, ni pourquoi, ni dans quelles circonstances. Et la visite que je vous rends est de pure routine.
Il semblait sincère. Le producteur se sentit ragaillardi. Après tout, il n’avait encore rien à se reprocher.
— Je voudrais bien vous aider offrit-il, mais je ne vois pas comment. Le seul ami que le mort avait en ville est un autre Navajo. Il vit près de Laurel Canon…
— Nous l’avons interrogé, fit paisiblement Frank Madden. Sans résultat. Il ne sait rien.
Il but une gorgée de whisky et demanda d’une voix égale :
— Vous ne voyez personne dans votre entourage qui possède des animaux sauvages susceptibles de tuer ?
Gene ferma les yeux. Il pourrait toujours invoquer un trou de mémoire.
— Je ne vois pas. Il faudrait que j’y réfléchisse… Que je demande à ma femme.
Frank Madden se leva et arrêta Gene Shirak d’un geste aimable :
— Oh ! ne dérangez pas Mme Shirak pour cela. Si quelque chose vous revient, vous me téléphonerez. Voici ma carte.
Automatiquement, Gene Shirak la mit dans la poche de sa chemise orange, puis raccompagna le policier. Ils se serrèrent vigoureusement la main.
Au moment où il remettait son chapeau, Frank Madden remarqua d’un ton distrait :
— Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de prendre un Navajo à votre service. C’est original.
Pris de court, Gene Shirak bredouilla :
— Oh ! une fantaisie. Pour amuser mes amis. Il avait travaillé dans un de mes films.
Déjà, Frank Madden remontait dans son Impala verte.
Joyce était au bord de la piscine lorsque Gene Shirak vint la rejoindre. Elle fumait nerveusement.
— Qui était-ce ?
Gene prit l’air dégagé.
— Un agent du FBI.
— Du FBI !
Elle avait répété les trois lettres à voix basse, craintivement. Écrasant sa cigarette, elle vint vers son mari.
— Gene…
Il haussa les épaules, agacé.
— Ne sois pas stupide, Joyce. Je n’ai rien à me reprocher. Simplement, notre Navajo s’est fait tuer quelque part au Mexique et ils enquêtent. Voilà tout.
Il lui répéta l’histoire de Zuni. Joyce l’écoutait d’un air étrange. Finalement, elle se détourna et rentra dans la maison.
Furieux, Gene traversa le jardin pour aller dans son bureau, situé dans un petit bungalow. Une fois seul, il prit sa tête dans ses mains et tenta de retrouver son calme.
Il avait beaucoup plus peur que Joyce. Mais personne ne devait le savoir. À aucun prix.
Frank Madden tira une longue bouffée de sa cigarette et dit :
— Ce Shirak sait quelque chose, j’en suis sûr. Il crevait de peur lorsque j’ai été le voir. Mais ce sera difficile de le faire parler.
Jack Thomas crayonnait sur le buvard.
— Qu’est-ce qui peut pousser un type comme Shirak avec tout le fric qu’il a, à se mouiller avec des Cubains pour enlever un Navajo. Cela paraît invraisemblable.
Depuis une demi-heure, les deux agents du FBI faisaient le point sur l’affaire, avant d’envoyer un rapport à Washington. Malheureusement, il n’y avait pas grand-chose de nouveau.
— Il faudrait du temps, s’infiltrer dans le milieu où vit Shirak, suggéra Frank Madden. Je suis sûr qu’on sortirait quelque chose…