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Veuillez croire, Monsieur, à nos sentiments les plus dévoués.

J. Mainwethering.

Suivait un tableau de coordonnées spatio-temporelles, d’un effet inattendu, après ce style fleuri.

Everard téléphona à Gordon, obtint son accord et passa commande d’un saute-temps au magasin de la « Société ». Il envoya ensuite une note à Charles Whitcomb, en 1947, et reçut un unique mot en réponse : « Entendu. » Il alla prendre livraison de l’engin.

Cela rappelait une moto, sans roues et sans guidon. Il y avait trois selles et un élément propulseur antigravité.

Everard régla les commandes sur l’époque de Whitcomb, effleura le bouton principal et se trouva dans un autre entrepôt.

Londres, 1947. Il resta assis un moment, songeant qu’à ce même moment, il se trouvait lui-même, de sept ans plus jeune, à l’université, aux Etats-Unis. Puis Whitcomb apparut et lui serra la main.

— Content de vous revoir, mon vieux. Son visage hagard s’illumina de cet étrange et attirant sourire qu’Everard avait appris à connaître. Donc… chez Victoria, hein ?

— Exact. Embarquez.

Everard procéda à un nouveau réglage. Cette fois, il arriverait dans un bureau. Un bureau intérieur, tout à fait privé.

Le bureau jaillit autour de lui. Le mobilier de chêne avait une lourdeur inattendue, ainsi que l’épais tapis et les manchons incandescents au gaz. Les lampes électriques existaient déjà, mais Dalhousie Roberts était une firme réputée pour sa solidité et son esprit conservateur.

Mainwethering lui-même se leva de son fauteuil pour les accueillir. C’était un homme corpulent, d’aspect pompeux, avec des favoris en broussaille et un monocle. Toutefois, il se déplaçait en donnant une impression de puissance. Son accent d’Oxford était si poussé qu’Everard le comprenait difficilement.

— Bonsoir, messieurs. J’espère que vous avez fait bon voyage ? Oh ! oui… pardon… vous êtes nouveaux dans le métier, n’est-ce pas ? C’est toujours un peu déconcertant au début. Je me rappelle ma surprise lors d’une visite au XXIe siècle. Si peu anglais… C’est tout naturel, cependant, ce n’est qu’un autre aspect d’un univers sans cesse étonnant. Vous excuserez la brièveté de mon hospitalité, mais nous sommes vraiment très occupés. En 1917, un Allemand fanatique a découvert le secret du voyage dans le temps, près d’un de nos agents imprudents ; il a volé une machine et est venu à Londres pour assassiner Sa Majesté. Nous avons un mal du diable à le retrouver.

— Y parviendrez-vous ? demanda Whitcomb.

— Oui, certes. Mais c’est un fichu labeur, messieurs, surtout lorsqu’on est tenu d’opérer en secret. J’aimerais engager un enquêteur privé, mais le seul qui vaille la peine est vraiment trop intelligent et risquerait de découvrir la vérité par déduction. Il opère selon le principe que lorsqu’on a éliminé l’impossible, tout ce qui reste, si improbable que ce soit, doit être la vérité absolue – et je crains qu’il n’ait des vues très larges sur ce qui constitue l’improbable mais possible.

— Je parie que c’est le même homme qui s’occupe de l’affaire d’Addleton… ou qui s’en occupera bientôt, fit Everard. C’est sans importance ; nous savons qu’il prouvera l’innocence de Rotherhithe. Ce qui compte, c’est que, selon de fortes probabilités, nous avons là une trace d’un voyage temporel non réglementaire à l’époque saxonne.

— Oui… oui… hum ! Voici des vêtements, messieurs, et de l’argent, et des papiers, tout prêts à votre intention. Je pense parfois que vous autres, les agents mobiles, vous n’appréciez pas tout ce que les bureaux ont à fournir de travail pour l’opération même la plus infime. Hum ! Pardon. Avez-vous un plan de campagne ?

— Oui. (Everard quittait ses vêtements du XXe siècle.) Je le crois. Nous en savons tous les deux suffisamment sur l’époque victorienne pour commencer. Il faudra cependant que je reste Américain… oui, je vois que vous en avez tenu compte pour mes papiers.

Mainwethering prit un air pitoyable.

— Si l’incident du tumulus a trouvé place dans un ouvrage littéraire important, comme vous le dites, nous allons recevoir des centaines de notes à ce sujet, maintenant que nous entrons dans la période où il se déroule. Il s’est trouvé que la vôtre est arrivée la première. Il m’en est arrivé deux autres depuis, une de 1923 et une de 1960. Mon Dieu ! comme je voudrais qu’on m’autorise à avoir un secrétaire-robot !

Everard se débattait avec son costume inaccoutumé. Celui-ci lui allait assez bien, ses mesures étant déposées à ce bureau, mais il n’avait jamais encore apprécié à sa juste valeur le confort de la mode de son temps. Au diable ce gilet !

— Ecoutez, reprit-il, il se peut que l’affaire soit sans danger de conséquences. En fait, puisque nous sommes tous ici, elle a être sans suite. Hein ?

— Pour le moment, précisa Mainwethering. Mais réfléchissez. Vous retournez tous les deux à l’époque saxonne et vous découvrez le maraudeur. Mais vous échouez. Peut-être vous tue-t-il avant que vous ayez eu le temps de tirer vous-mêmes. Peut-être attire-t-il dans une embuscade ceux que nous envoyons pour vous succéder. Ensuite il entreprend sa révolution industrielle ou tout autre projet qu’il a en tête. L’Histoire est transformée. Vous, vous trouvant là-bas avant le point de changement, vous existez encore… même si ce n’est qu’à l’état de cadavres… mais nous, ici, nous n’avons jamais existé. Cette conversation n’a jamais eu lieu. Comme dit Horace…

— Peu importe ! fit Whitcomb en riant. Nous allons d’abord examiner le tumulus dans l’année présente, puis revenir ici pour décider de la suite.

Il se pencha pour transférer le contenu d’une valise XXe siècle dans une monstruosité faite d’étoffe à fleurs, à la Gladstone. Deux armes à mains, quelques appareils physiques et chimiques non encore inventés en son propre temps, une radio minuscule pour appeler le bureau en cas d’ennuis.

Mainwethering consulta son indicateur des chemins de fer.

Vous pouvez prendre le train de 8 heures 23, à Charing Cross, demain matin. Comptez une demi-heure pour vous rendre d’ici à la gare.

— Okay.

Everard et Whitcomb enfourchèrent de nouveau leur machine pour sauter jusqu’au lendemain et disparurent. Mainwethering soupira, bâilla, laissa ses instructions à son employé et rentra chez lui. L’employé était présent quand le saute-temps se matérialisa, à 7 heures 45 du matin.

Ce fut la première fois qu’Everard prit conscience de la réalité des voyages dans le temps. Il le savait auparavant, naturellement, il en avait été frappé, comme il se doit, mais du point de vue émotif, ce lui était resté en quelque sorte étranger. Maintenant, à parcourir au trot d’un cheval un Londres qu’il ignorait, dans un véritable hansom (pas une curiosité pour touristes, mais une voiture poussiéreuse, abîmée, qui faisait son travail), à respirer un air qui renfermait davantage de fumée que celui du XXe siècle, mais pas de vapeurs d’essence, à voir les foules qui passaient – des hommes en melon et en haut de forme, des marins couverts de suie, des femmes en jupe longue : non pas des figurants mais des êtres humains bien réels qui parlaient, transpiraient, riaient, avaient la mine sombre, vaquaient à leurs affaires – il avait le sentiment brutal et violent d’être bien .

En ce moment, sa mère n’était pas encore née, ses grands-parents étaient deux jeunes couples se préparant à leur union, Grover Cleveland était président des Etats-Unis et Victoria, reine d’Angleterre, Kipling écrivait, et les derniers soulèvements des Indiens d’Amérique n’avaient pas encore eu lieu… C’était comme un coup de massue sur la tête.