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— On vous a raconté des choses fausses. Les nouvelles se déforment singulièrement quand elles traversent la mer.

Il fut surpris d’apprendre combien il existait encore de rapports entre le vieux pays et le nouveau. Quant à la conversation sur le temps et les récoltes, elle ne différait guère de ce qu’il avait entendu dans le Middle-West, au XXe siècle.

Ce ne fut que plus tard qu’il put glisser une question au sujet du tumulus. Wulfnoth fronça les sourcils et son épouse grassouillette et édentée esquissa rapidement un signe implorant dans la direction d’une grossière idole de bois.

— Il n’est pas bon de parler de ces choses, murmura le Saxon, je regrette que le sorcier ait été enterré sur mon domaine. Mais c’était un proche de mon père qui est mort maintenant et qui n’a pas voulu se laisser dissuader.

— Le sorcier ? (Whitcomb dressa l’oreille.) Quelle histoire est-ce là ?

— Autant que vous le sachiez, grommela Wulfnoth. C’était un étranger appelé Stane qui était venu à Canterbury il y a six ans. Il devait venir de fort loin, car il ne parlait ni l’anglais ni les langues bretonnes, mais le roi Hengist l’accueillit et bientôt il apprit. Il donna au roi des présents étranges mais bénéfiques, et c’était un devin habile auquel le roi eut de plus en plus souvent recours. Personne n’osait le contrarier, car il avait un bâton qui lançait la foudre – on l’avait vu fendre des roches – et une fois, dans une bataille contre les Bretons, il avait complètement brûlé des hommes. Il y en avait qui le prenaient pour Wotan, mais cela ne se peut, puisqu’il est mort.

— Ah ! c’est ainsi, fit Everard, intéressé. Et que fit-il encore de son vivant ?

— Oh… il donna au roi de sages conseils, comme je l’ai dit. C’était son idée que nous autres du Kent nous devions cesser de repousser les Bretons et de faire venir sans cesse nos parents en plus grand nombre du vieux pays ; au contraire, nous devions faire la paix. Il pensait qu’avec notre force et leur science romaine, nous pourrions constituer ensemble un puissant empire. Il avait peut-être raison, bien que, pour ma part, je ne voie guère l’utilité de tous ces livres et de ces bains, sans parler de ce dieu bizarre en forme de croix qu’ils ont… En tout cas, il a été tué par deux messagers inconnus, il y a trois ans, et enterré ici avec des animaux sacrifiés et celles de ses possessions que ses ennemis n’avaient pas pillées. Nous lui offrons un sacrifice deux fois par an et je dois avouer que son fantôme ne nous a pas causé d’ennuis. Mais cela continue à me déplaire.

— Depuis trois ans, hein ? Je vois… fit Whitcomb.

Il leur fallut une bonne heure pour prendre congé et Wulfnoth insista pour envoyer un garçon les guider jusqu’à la rivière. Everard, qui n’avait pas envie d’aller si loin à pied, sourit et appela à terre le saute-temps. Tandis qu’il l’enfourchait, avec Whitcomb, il dit d’un ton grave à l’adolescent dont les yeux s’écarquillaient :

— Sache que tu as accueilli Wotan et Thunor qui préserveront désormais les tiens contre tout mal.

Ils firent un bond de trois ans en arrière.

— Et voici le moment difficile, dit-il en examinant le hameau, de derrière le taillis.

Le tumulus cette fois n’était pas là. Le sorcier Stane était encore vivant.

— Il est relativement facile de mystifier un gamin, mais il nous faut arracher ce personnage d’une ville solide et guerrière, où il est le bras droit du roi. Et il possède un désintégrateur.

— Apparemment, nous avons réussi… ou nous allons réussir, dit Whitcomb.

— Non. Vous savez que ce n’est pas obligatoire. Si nous échouons, Wulfnoth nous racontera une autre histoire dans trois ans – et il est probable que Stane y sera ! Il pourrait même nous tuer les deux fois ! Et l’Angleterre, arrachée aux temps obscurs pour passer à une culture néo-classique, ne deviendra rien que vous ayez connu… Je me demande où Stane veut en venir.

Il fit prendre de la hauteur au saute-temps et le dirigea dans les airs vers Canterbury. Le vent de la nuit lui soufflait, menaçant, au visage. Bientôt le bourg apparut ; il atterrit dans un bosquet. La clarté blanche de la lune se reflétait sur les murs à demi ruinés de l’antique et romaine Durovernum, mouchetée de noir aux endroits que les Saxons avaient réparés avec du bois et de la terre. Personne ne pouvait y pénétrer après le coucher du soleil.

De nouveau le saute-temps les amena au jour – vers midi – et fut renvoyé dans le ciel. Le déjeuner qu’il avait pris deux heures plus tôt et trois ans plus tard pesait sur l’estomac d’Everard tandis qu’il se dirigeait vers une voie romaine en ruines, puis vers la ville. La circulation était assez intense, des cultivateurs, pour la plupart, qui menaient en chars à bœufs leurs produits au marché. Deux gardes à l’air farouche les arrêtèrent à la porte et s’enquirent de leurs intentions. Cette fois, Everard et Whitcomb étaient les représentants d’un commerçant de Thanet qui les envoyait interroger divers artisans de l’endroit. Les deux brutes restèrent hargneuses jusqu’au moment où Whitcomb leur glissa dans la main deux pièces romaines ; alors les javelots s’abaissèrent et ils poursuivirent leur chemin.

La ville s’agitait et bruissait autour d’eux, mais une fois de plus, c’était la puanteur virulente qui frappait le plus Everard. Parmi les Saxons qui se bousculaient, il apercevait parfois un Romano-Breton qui se frayait un chemin dans la boue, l’air dédaigneux, en écartant sa tunique effrangée pour éviter tout contact avec ces sauvages. C’eût été comique si ce n’avait été pathétique.

Il y avait une auberge extraordinairement sordide installée dans les ruines d’une ancienne maison de ville en marbre. Everard et Whitcomb découvrirent que leur argent avait une haute valeur, en cet endroit où les échanges se faisaient encore en nature dans la plupart des cas. En offrant quelques tournées générales, ils obtinrent tous les renseignements qu’ils voulurent. Le palais du roi Hengist s’élevait près du centre de la ville… ce n’était pas un vrai palais, mais un vieux bâtiment qu’on avait embelli de façon déplorable sous l’influence de cet étranger. Stane… non que notre roi bon et fort soit une fillette, ne vous méprenez pas, étranger… tenez, rien que le mois dernier… oui, Stane ! Il habite la maison voisine. Un garçon bizarre, certains disent que c’est un dieu… en tout cas, il sait choisir les filles… oui, on dit que c’est lui qui manigance toutes ces histoires de paix avec les Bretons. Il nous en arrive de plus en plus, de ces malins, au point qu’un honnête homme ne peut plus faire couler tranquillement un peu de sang… naturellement Stane est très savant, je ne voudrais rien dire contre lui, comprenez-moi bien, après tout, il peut lancer la foudre…

— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Whitcomb, quand ils eurent regagné leur chambre. On va l’arrêter ?

— Non… je doute que ce soit possible. J’ai un vague plan, mais il faudrait deviner ce qu’il a réellement l’intention de faire. Voyons si nous pouvons obtenir audience. (En se levant de la paillasse qui lui servait de lit, Everard se gratta.) Diable ! Ce qu’il faut, à cette époque, ce n’est pas de l’instruction, c’est de la poudre insecticide !

La maison avait été restaurée avec soin, sa façade à colonnes, blanche, paraissait propre au point que c’était pénible, au milieu de toute cette saleté. Deux gardes, debout sur les degrés, se mirent sur la défensive à l’approche des Patrouilleurs. Everard leur donna de l’argent et leur raconta qu’il avait des nouvelles qui ne manqueraient pas d’intéresser le sorcier.

— Dites-lui : L’homme de demain. C’est un mot de passe. Compris ?