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Quant à moi, ma chère dame, je vous dirai que même avant d’avoir eu le bonheur de vous voir à la ville, je n’avais aucun goût pour cette manière de faire l’amour; elle m’a toujours déplu, et je ne vous ai parlé de ça que pour vous obéir imaginant que, si j’ai le bonheur de retourner auprès de vous, j’aurai des choses plus agréables à vous dire qui me seront inspirées par votre présence. Il faut pourtant que je vous avoue un petit secret, dans cette lettre, qui est sûre, et, que personne ne verra ici, pas même mon frère aîné; car je ne la montrerai qu’à Fanchon Berthier, qui sera ma belle-sœur. C’est que j’ai ici un amoureux que je ne saurais sentir! Imaginez-vous un demi-monsieur de village, qui n’a des manchettes que pour faire sortir davantage la noirceur de ses mains brûlées par le soleil; qui dit des: «Ce n’est pât à moi tant d’honneur; J’ai diz à mon père» et autres semblables; qui, par la grosseur du corps, ressemble à ces gros tilleuls qui sont devant la porte des églises, et dont l’enveloppe est aussi grossière: voilà mon amoureux d’avant que je partisse; et ce qui me met encore plus en colère contre ça, c’est qu’on le nomme ici un joli garçon; mes parents eux-mêmes, et les paysans le nomment monsieur, uniquement à cause qu’il a des manchettes. À mon retour ici, ce monsieur ayant ouï-dire que c’était pour y rester, il en a montré une grosse joie, qui me le fait encore plus détester. Le manant! se réjouir de ce que je ne serais pas avec vous! Oh! je l’abhorre plus que tout homme au monde… Je ne vous aurais pas parlé de ça, si je n’espérais que cette raison vous engagera, ma très chère dame, à me demander plus vite. Vrai, ce vilain amoureux me paraît un de ces satyres dont j’ai lu l’histoire chez vous, au bas d’une estampe. Mais je laisse ce sujet désagréable, pour continuer à répondre à vos aimables questions de bouche.

Vous m’avez aussi demandé quels étaient les goûts que j’avais dans ma jeunesse, et mes occupations, mon caractère, et comme j’en agissais avec mes frères et sœurs, surtout avec Edmond? je vais, si je puis, répondre à tout ça, pour avoir le plaisir de vous écrire plus longtemps; car il me semble que je vous parle, en vous écrivant, et j’ai eu si peu le temps de vous parler à Au**, que je n’ai pu vous répondre à la moitié des choses. Je vous dirai donc que mes goûts ont toujours été au-dessus de, ceux de nos paysannes; je n’aimais pas trop, ni leur mise, ni leurs occupations, et je sentais au-dedans de moi-même que j’avais du goût pour quelque chose de plus distingué, dont pourtant je n’avais aucune connaissance. Mais jusque-là, qu’un jour, mon frère Edmond m’ayant dit qu’il avait rêvé que mon père n’était pas son père, mais qu’il était fils d’un duc, qui l’avait mis chez nous en pension, en disant: «Gardez-moi ce fils, sans lui apprendre ce qu’il est, et je viendrai le chercher un jour»; Edmond, disais-je, m’ayant conté ce rêve, moi, je le crus, et je m’attendais tous les jours qu’un duc viendrait chercher notre Edmond, pour l’emmener dans un carrosse; et je lui faisais bien ma cour; ce qui ne m’était pas difficile, attendu qu’avant son rêve, je l’aimais déjà le mieux de tous mes frères et sœurs. Cela me trottait si bien dans la tête, que je fis aussi à mon tour le même rêve: il me sembla qu’une marquise venait me prendre, et qu’elle donnait à mon père et à ma mère tout plein, tout plein d’argent, en leur disant: «Tenez, voilà pour avoir élevé ma fille, et l’avoir rendue si gentille.» Et j’étais bien contente de m’en aller avec elle; et elle me disait: «Tu seras un jour marquise comme moi, et non une paysanne! Viens, viens à mon château, où tu auras de beaux habits, de beau linge…» je m’éveillai de joie, et je courus, dès que je fus levée, conter mon rêve à mon frère Edmond, qui me dit «Dame! sais-tu que ça pourrait bien être? Tiens, regarde, comme nous sommes plus jolis qu’eux tous, toi et moi?» Nous avions alors, lui treize ans, et moi dix. Quant à l’égard de mes occupations, je les choisissais toujours à la chambre, et non à la campagne comme mon aînée; j’aimais tous les jolis ouvrages d’aiguille, comme à présent. Mon caractère a toujours été doux; mais j’aimais un peu à commander, avant d’être tout à fait raisonnable: à présent, ce que je préférerais, ça serait de vous obéir; je suis un peu vive, fière, orgueilleuse, j’aimerais à paraître, à être riche… mais je crois que je l’ai déjà dit, en parlant de mes goûts. J’ai toujours tendrement aimé mes frères et mes sœurs; mais principalement Edmond, et toute mon envie, si jamais je faisais mon chemin, ça serait de leur être utile, et d’avoir la gloire, que mon père et ma mère disent le soir aux veillées, quand ils causent entre eux devant toute leur famille: «C’est pourtant notre fille Ursule, qui procure telle et telle chose à son frère, à sa sœur!» Il me semble que je serais bien glorieuse. Si on disait de moi, comme je l’ai entendu dire de vous, Madame, au sujet d’Edmond et au mien. C’est surtout à Edmond que je voudrais être profitable, quoique je ne sache pas trop comment ça pourrait être. Je voudrais bien aussi l’être à ma future belle-sœur Fanchon: car vous ne sauriez croire, Madame, comme c’est une jolie fille! je crois pourtant que vous l’avez vue au voyage à Au**; car elle y était, comme vous savez. Nous sommes amies dès l’enfance; car outre qu’il a toujours été dit qu’elle serait ma belle-sœur, c’est qu’elle est la plus jolie de tout le pays, et que je me trouvais plus honorée d’être avec elle, qu’avec toutes les autres filles. Et elle m’aimait bien aussi, ainsi que mon frère Edmond, et je crois que si Edmond avait été l’aîné, pour rester au village, elle n’en aurait pas été fâchée: car Pierre est par trop sérieux. Mais c’est pourtant un bon humain, quoique n’ayant pas cette aimable façon d’Edmond. Et une fois, que j’ai écrit ici en cachette de tout le monde à Edmond, pour qu’il me fît venir à la ville, c’est Fanchon qui a porté ma lettre à la poste à V***; et quand Edmond est venu, elle lui a redemandé ma lettre de peur qu’elle ne fût trouvée. Je ne sais pas si vous l’avez lue, Madame; car elle était bien simple! mais je ne savais pas encore trop bien écrire. Dans tous nos jeux et dans tous nos amusements, j’ai toujours préféré Fanchon à mes propres sœurs. C’est qu’elle est si aimable, si complaisante! Et puis nous nous disions tous nos petits secrets. Par exemple, à présent, elle m’avoue, que Pierre notre aîné lui inspire du respect, et qu’elle a plus de confiance en lui, qu’elle n’en aurait eu en Edmond, quoiqu’elle eût peut-être eu plus d’

amitié pour le dernier. De mon côté, je vais toujours lui contant mes affaires et toutes mes pensées, et que je ne m’écarterai jamais de la crainte de Dieu à la ville, sous votre bonne protection, Madame.