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— Alors comment se fait-il que vous connaissiez les détails de la nationalité, de la route et de la destination que suivaient les Portugais ?

Au matin, l'un d'entre eux était toujours vivant. Je ne sais pas comment il y était parvenu, mais il avait pu se réfugier dans une cabine à la proue, un compartiment minuscule situé dans la partie émergée. Je pouvais voir son visage par le hublot. Je lui parlai en criant, depuis la côte. Au début, nous ne nous comprenions pas : la vitre était très épaisse, et je pouvais juste voir bouger ses lèvres. Il sortit de la cabine, monta sur le pont et nous parlâmes quelques instants. Le pauvre diable était devenu fou, complètement fou. Il finit par vider son revolver sur moi.

Batís ébaucha un rire obscène : il me confondait avec les faces de crapaud. Peu importe, il visait très mal. Puis il regagna la cabine et y resta, attendant la nuit. Je vois encore son visage, s'encadrant dans le hublot. Pauvre idiot. S'il avait conservé un peu de sens commun, il aurait gardé la dernière balle pour lui.

J'aurais pu faire de nombreux reproches à Batís. Mais le pire n'était pas les faits qu'il décrivait, sinon le ton qu'il employait. Il parlait du sort de ces malheureux Portugais avec une froideur à faire frémir. Sans commentaires. Surtout, sans émotions. Nous regagnâmes l'appartement. Il m'instruisit sur la disposition et les tactiques de défense des lieux. Il concentrait en grande partie ses efforts sur le petit balcon. Les meurtrières étaient des points d'observation et des positions de tir, à partir desquelles il couvrait les trois cent soixante degrés du phare. Il ne se souciait pas qu'ils entrent par les meurtrières, puisque l'exiguïté empêcherait les faces de crapaud de passer par cette étroitesse et que la pierre était trop solide pour qu'ils la perforent. S'ils pouvaient forcer l'entrée par un endroit, c'était précisément par le balcon. Cela expliquait les pieux acérés et les autres fortifications sur les murs. Un seul tireur à l'habileté moyenne pouvait repousser une attaque, si intense ou massive qu'elle fût.

— Par conséquent, l'exposition du défenseur sur le petit balcon constitue un danger, réfléchis-je. Pourquoi ne nous contentons-nous pas de fermer les fenêtres avec ces volets de fer que vous leur avez ajoutés ?

— Ce serait inutile, à la longue, dit-il, les faces de crapaud ont une force surhumaine. Ils finiraient par démonter le blindage et l'île ne dispose pas de matériel pour le remplacer. Enfermé à l'intérieur, je serais captif de mes propres défenses. Même si je pratiquais une meurtrière, il me manquerait un angle de tir. Non. La seule méthode viable consiste à les tenir à distance à coups de fusil.

Il prononça ces paroles et je ne pus faire autrement que d'en reconnaître le bon sens. Nous descendîmes ensuite à l'étage inférieur. Sur la porte du vestibule, très solide, il avait ajouté trois grosses barres en bois. Elles étaient placées horizontalement. Pour les retirer, il suffisait de les faire coulisser dans la pierre, dans des trous latéraux très profonds pratiqués à cet effet. A l'extérieur du phare, Batís avait conçu les défenses que je connaissais déjà.

— Ils grimpent comme des singes, ils sont incroyables, dit-il avec une admiration mal contenue.

La seule chose que je pouvais faire était de créer une toile d'araignée de cordes et de boîtes de conserve vides pour les entendre arriver, combler les trous dans les pierres avec de la pâte de papier bouilli et mélangé à du sable, planter les clous et le verre brisé.

— Ne jetez jamais un clou oxydé ou une bouteille vide m'avertit-il sur un ton de mercenaire ; au royaume des faces de crapaud, la monnaie officielle s'appelle le verre, et le clou est la devise la plus précieuse.

Il n'avait pas grand-chose d'autre à me dire. L'après-midi, je me rendis à la maison du climatologue. Comparée au phare, on aurait dit une boîte d'allumettes, fragile, impossible à défendre et d'une extrême pauvreté. Batís avait tout emporté à l'exception de mon matelas. Je fis venir la mascotte avec moi, par prudence — je n'étais pas sûr de trouver la porte du phare ouverte à mon retour. Mais à cette occasion il ne me causa aucune contrariété. Telle est la race germanique. Une intelligence longue et étroite, qui avance en ligne droite jusqu'à ce que les événements violents l'obligent à pivoter à quatre-vingt-dix degrés. Du moins en apparence, ma présence était acceptée avec la force des faits accomplis.

Une fois au phare, je plaçai le matelas dans un coin du rez-de-chaussée. Je dormirais là. Au pied du mur le plus proche de la mer. Les nuits de tempête, les vagues prendraient d'assaut les récifs, cingleraient le bâtiment et seule la pierre me séparerait de la mer en furie. Mais le phare était une construction solide, et me savoir si près de la houle, et en même temps si protégé par ses murs, m'offrait la sensation gratifiante du drap enfantin, refuge qui nous protège des pires terreurs.

J'avais fini de préparer un semblant de rideau quand Batís m'appela. La moitié de son corps dépassait de la trappe, en haut :

— Kollege ! Vous avez bien fermé la porte ? Montez. Les faces de crapaud viennent en visite.

Une atmosphère guerrière envahissait l'étage. Batís allait et venait, regardait par les meurtrières, un instant, rassemblait des munitions, des armes diverses et des feux de Bengale — provenant de mes bagages, certainement.

— Qu'est-ce que vous attendez ? Prenez votre fusil ! me dit-il sans me regarder. Celui qui avait été un adversaire devenait soudain un frère d'armes.

— Vous êtes sûr qu'ils vont attaquer aujourd'hui ?

— Le pape vit-il à Rome ?

Nous occupâmes le petit balcon, lui à droite et moi à gauche, tous deux à genoux. Un mètre cinquante à peine nous séparait, et l'espace entre le seuil et la balustrade était si étroit qu'il n'atteignait même pas soixante centimètres. Au-dessus, sur les côtés, et aussi au-dessous, des douzaines de pieux de dimension variable surgissaient telles des cornes de licorne, pointant dans toutes les directions. Certains révélaient encore des taches de sang bleu séché. Batís serrait son fusil contre sa poitrine. A ses côtés, par terre, le Remington et trois rouleaux de feux de Bengale. Il avait allumé le phare. Le bruit de la machinerie nous parvenait amorti, un cliquetis de pendule, plus fort quand les wagons contenant les projecteurs circulaient juste au-dessus de nous, plus léger quand ils s'éloignaient. La lumière balayait la base de granit et, un peu plus loin, avec des oscillations, la frontière de la forêt. Mais ils ne venaient pas. Des rafales de vent glacé entraînaient de petites branches. Un vent qui sifflait et mugissait, indifférent aux émotions qu'il éveillait. Quand les projecteurs couvraient la zone arrière du phare, une obscurité quasi absolue s'emparait du paysage.

— Comment savez-vous qu'ils vont venir par ici ? La mer est derrière nous. S'ils sortent de l'eau, ils vont escalader la partie opposée du phare, dis-je.

— La mer est partout, c'est un îlot. Et le fait que ce soient des animaux ne signifie pas qu'ils ignorent les portes. Derrière une porte, il y a de la chair — Bâtis remarqua mon épuisement, dont je ne m'étais pas encore remis, et ma nervosité, et ajouta : — Si vous le souhaitez, rentrez. Faites-moi passer les munitions, ou buvez du rhum, comme vous voudrez. J'ai suffisamment vécu d'attaques de ce genre pour n'avoir besoin de personne.

— Non, je ne pars pas, dis-je, et j'ajoutai : j'ai trop peur.

Les boîtes de conserve suspendues aux murs résonnèrent. « C'est le vent, le vent, ce n'est que le vent », me rassura-t-il en posant une main tranquille sur moi. J'avais besoin de tirer sur une forme, qui ne se présentait pas. Batís remua la tête comme un caméléon et lança un feu de Bengale. La lumière rouge vola en l'air, dessina un arc de cercle et retomba lentement. Une vaste surface s'illumina, couleur grenat. Mais ils n'étaient pas là. Un second feu de Bengale, vert, cette fois. Rien. La phosphorescence mourait et n'éclairait que des pierres et des arbres agités par le vent.