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26 janvier

Dans les dimensions réduites de notre île, le regard érode les objets. Il a parcouru mille fois toutes les surfaces. Nous parlons des domaines du phare comme d'une province. Chaque recoin possède son nom, chaque arbre, chaque pierre. Une branche aux formes particulières est immédiatement baptisée. Ainsi, les distances transforment leur essence. Si quelqu'un nous entendait, il penserait que nous parlons de lieux lointains, mais tout ce qui existe est à deux pas.

Le temps devient relatif lui aussi. Une goutte suspendue au fil d'une toile d'araignée peut mettre des lustres à tomber ; parfois, en revanche, je bats des paupières et une semaine s'est écoulée.

19 janvier-25 janvier

L'été austral s'éteint avec timidité, mais une timidité d'apothéose. Aujourd'hui, j'ai vu un papillon. Il s'est promené dans un vol vagabond, indifférent à notre calvaire. Caffó a tenté de l'écraser avec une de ses grosses mains, quoique sans grand intérêt. Cela aurait été un crime, le froid progresse et je sais que nous n'en reverrons pas d'autre. Mais il serait impossible d'en discuter avec une personne telle que lui.

A ce sentiment nous pourrions ajouter une réflexion moins philosophique et plus inquiétante.

27 janvier

Je ne peux empêcher l'acoustique particulière du phare de me transmettre des murmures erotiques. Généralement, Bâtis choisit la dernière heure de la nuit pour commencer, quand je me retire du balcon et de son appartement. Il peut prolonger cette activité pendant deux, trois, voire quatre heures. Ses gémissements se succèdent avec une régularité sténographique. Il gémit comme un homme assoiffé qui traverse le désert, une agonie monotone. Je crois parfois qu'il serait capable de soutenir ce rythme syncopé pendant des jours.

Curieuse polyorgasmie de la mascotte. Je peux suivre l'excitation permanente, les spasmes qui s'accélèrent et le climax qui couronne l'ensemble. Toutes les quatre-vingt-dix secondes, au maximum, l'effervescence explose en des cris volcaniques, longs, très longs, soutient le plaisir pendant vingt secondes entières et, au lieu de décroître, recommence. Indifférent, Batís l'assaille régulièrement, jusqu'à ce que le plaisir s'éteigne dans un blasphème.

28 janvier

Notre régime alimentaire inclut des crabes. En Europe, personne n'en voudrait. Ils ont une carapace très épaisse et, dessous, beaucoup de graisse et peu de chair. Mais nous nous en contentons, et avec plaisir, comment faire autrement. Au début — j'étais si naïf — l'île me vit faire de petits sauts ridicules sur les récifs de la côte. Les crabes m'évitaient facilement, se cachant dans les crevasses. Les vagues s'abattaient sur les concavités des rochers, dans un bruit sourd, et l'écume m'aspergeait. C'était plus dangereux qu'amusant. Je voulais juste alimenter le garde-manger du phare, mais l'eau froide me raidissait les doigts. Il y avait longtemps que je n'avais pas autant blasphémé. Par chance, Batís passait par là et me dit :

— Vous avez l'air d'une chèvre boiteuse, Kollege.

Il se dirigeait vers la forêt, la hache sur l'épaule. La mascotte allait derrière lui. D'un claquement des lèvres, il lui donna un ordre. Elle se glissa entre les pierres comme un serpent. Elle péchait des crabes avec une facilité insultante. Elle arrachait aussi une variété de moules qui adhéraient si fort à la roche que je n'avais même pas essayé d'en prendre, parce que j'étais sûr qu'il me faudrait un ciseau et un marteau. Elle se contentait de ses ongles. Je n'avais qu'à ouvrir mon panier. Parfois, avant d'y lancer un crabe, la mascotte lui arrachait une patte et l'avalait tout entière.

Mon apport au régime alimentaire du phare est une variété de champignons comestibles que j'ai découverte dans la forêt. Ils s'accrochent à l'écorce des arbres, comme les moules aux rochers, et j'ai besoin d'un couteau pour les détacher. Ils ne doivent pas présenter une grande valeur nutritive, mais je les arrache quand même. Je broie aussi les racines de certaines plantes de la forêt jusqu'à les réduire en une pâte de vitamines.

Comme Batís est un homme silencieux et absorbé dans ses pensées, le dialogue suivant mérite d'être retranscrit :

— Comment savez-vous que ce ne sont pas de mauvaises herbes ? demanda-t-il, regardant avec méfiance le sirop qui sortait des racines après que j'eus mélangé la pâte à du gin.

— Les herbes, comme les personnes, ne sont ni bonnes ni mauvaises ; elles sont différentes, répliquai-je, en buvant une gorgée. Elles nous sont connues ou inconnues, c'est tout.

— Le monde est plein de gens mauvais, très mauvais. Seule une personne candide peut croire en la bonté humaine.

— Que les individus puissent être meilleurs ou pires par nature n'est pas la question. Le problème est de savoir si, une fois réunis, la société qu'ils forment est bonne ou mauvaise. Et le décompte global des hommes ne dépend pas de l'inclination du caractère. Imaginez deux naufragés, deux individus particulièrement détestables. Séparément, ils peuvent être odieux. Mais, une fois ensemble, ils opteront pour la seule solution viable : s'allier afin de construire le meilleur endroit pour y vivre. Qui s'intéresse à leurs défauts particuliers ?

Mais j'ignore s'il m'écoutait. Il avala le mélange et dit :

— En Autriche, nous avons du schnaps. Je préfère ça au gin.

Nous péchions également. Bien avant mon arrivée, Batís avait déjà installé toute une batterie de cannes à pêche sur la côte sud, sur des rochers qui se projetaient comme de petits isthmes bordés d'eau sur trois côtés. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, notre problème n'est pas la rareté des proies, mais leur excès. Les poissons de ces latitudes sont tout à fait stupides, c'est-à-dire qu'ils n'ont aucune expérience des hameçons. Mais ils sont si grands et si forts qu'ils peuvent emporter la canne tout entière. Pour les en empêcher, Batís les a fichées fermement entre les pierres, comme des pieux. Il a conçu et fabriqué une ligne renforcée et des hameçons qui ressemblent à des pattes de poulet, avec trois crochets. Malgré cela, des cannes à pêche disparaissent régulièrement. Le lendemain, on peut encore les voir, entraînées par le courant. Perdre ce matériel provoque en nous des poussées de haine que nous ne savons contre qui diriger. Quoi qu'il en soit, nous devrions reconnaître que l'île permet une autarcie alimentaire. Les provisions que j'ai apportées complètent et améliorent notre régime, mais nous n'en dépendons pas.

29 janvier

Ma journée de travail quotidien. A l'aube, j'abandonne ma garde sur le balcon. Je me défais de mon armement et m'étends sur le matelas, souvent tout habillé. Ma conscience s'éteint comme un quinquet à pétrole, en une seconde, et je dors autant que me le demande la nature. Depuis que je suis dans le phare, je ne me souviens pas de mes rêves.

Je me réveille généralement à midi, voire plus tard. Je prends mon petit-déjeuner dans une assiette en aluminium, comme celle des prisonniers. Si le temps est exceptionnellement clément, je peux emporter mon assiette dehors. Puis je rentre : toilette[1]. C'est pour moi le meilleur moment de la journée. De l'examen périodique, je déduis que mes cheveux ont changé de couleur pour toujours, du moins sur la nuque. La peur des premiers jours les a fait évoluer jusqu'au gris cendré et ils sont restés comme ça. Je m'habille immédiatement. Ma tenue : le pantalon que je mets le plus souvent est fait d'un tissu grossier mais excellent pour les tâches les plus dures. Par-dessus les tricots, un pull marin à col montant. Les premiers jours, je portais une veste qui m'arrivait à la taille, couleur kaki, avec deux poches très profondes sur la poitrine, où je mettais les munitions comme si cela avait été des bonbons. Et là, une ironie qui frôle la parodie : inexplicablement, je n'avais pas remarqué que c'était une vieille vareuse de l'armée anglaise avant que Batís ne m'en informe. Quelqu'un l'avait abandonnée dans un coin du phare. Elle faisait peut-être partie du magasin militaire, des stocks d'une garnison qui ne vint jamais. Malgré son utilité, je la jetai à la mer. Batís me traita de fou.

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En français dans le texte.