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Si contradictoire que cela semble, ce furent les pires instants de la plongée. On dit qu'aucun soldat ne veut être le dernier mort de la guerre. Cette réflexion recouvre une vérité peu lucide mais très humaine. Après être descendu dans les profondeurs, après un si franc succès, qu'ils me tuent précisément maintenant serait une fin trop lamentable. Je découvrais soudain au scaphandre un poids intolérable. Je ne m'étais pas aperçu auparavant que le frottement de l'acier m'avait blessé au cou. J'avançais vers la paroi du récif, et mes mouvements étaient ceux d'un cauchemar enfantin, désespérément lents. Je respirais comme poussé par une dynamo secrète. Je voulais sortir de là. Mais je ne le pouvais pas. Deux intelligences coordonnées n'avaient pas prévu la stupidité la plus évidente : si je sautais dans le vide, il me serait ensuite impossible de revenir par le même chemin. Le rocher s'ouvrait devant moi comme une gigantesque mâchoire cariée. Je ne pouvais pas l'escalader, et Batís, trop occupé avec la pompe à air, ne pourrait pas hisser mon poids d'une seule main. Combien de temps leur faudrait-il pour apparaître ? La terreur et l'imagination s'alliaient. Cette immensité liquide était l'ennemi invisible par excellence. Batís, là-haut, ne pouvait comprendre l'étrange parcours du tuyau à air. J'allais d'un côté à l'autre, cherchant un endroit praticable. Je finis par remarquer que le seul accès se trouvait tout près de la coque du bateau. Mais il s'agissait d'une voie pour un grimpeur professionnel. Des pierres se détachaient au seul contact. Je glissai et mon corps perdit cinq, dix mètres, dans une descente dantesque.

Je me retrouvai au niveau inférieur. Sur ma droite, la paroi dessinait une concavité ; il me sembla y voir bouger quelque chose, une forme. « Non, non, ce ne sont pas eux, me dis-je pour me calmer », et parce que je ne perdais rien à pencher pour l'optimisme. Un pénible effort de concentration s'ensuivit. Je devais escalader chaque centimètre sans me retourner, sans penser à l'attaque qui allait m'emporter un bras ou une jambe. Je procédai comme les marins sur une échelle de corde, assurant trois des quatre extrémités avant de faire le mouvement suivant. Au-dessus de moi, je pouvais voir la surface, la silhouette translucide de Batís qui m'encourageait de sa main libre. Je me rendis compte que j'urinais dans mon pantalon de plongée.

Caffó sauta et me tira en me prenant sous les aisselles. Il voulait m'aider pour le casque, mais je l'en dissuadai par des tapes.

— Remontez la dynamite sur la chaloupe, vite !

Quand j'eus enlevé ma tenue, je collaborai moi aussi pour remplir la barque de caisses.

Nous transportions une charge si lourde que le pont dépassait d'à peine quelques centimètres au-dessus de l'eau. Étonnamment, quelques minutes plus tard nous étions à nouveau sur l'île, indemnes et triomphants. Nous laissâmes la barque tout près du phare, sur une petite plage aux rochers anguleux. Caffó y ouvrit quelques conteneurs en faisant levier avec sa hache. Chacun contenait soixante-dix cartouches de dynamite, apparemment sèches et utilisables.

Mais une démence inexplicable couvait en nous. Nous nous regardions l'un l'autre. Il neigeait plus fort qu'avant. Nos cheveux étaient recouverts d'une pellicule blanche. Nous nous regardions, regardions les cartouches et lisions nos pensées dans les yeux de l'autre. Je ne pouvais croire ce que nous nous disions sans paroles. Nous disposions d'une cinquantaine de conteneurs de dynamite. Avec ce matériel, nous allions causer des dégâts, mais s'il y en avait soixante ? Pourquoi pas quatre-vingts ou cent ? Nos ennemis n'étaient pas susceptibles d'inspirer la détestation. Ils appartenaient à la nature, une force de la même espèce que les ouragans ou les cyclones. Et malgré tout, maintenant que nous disposions d'un pouvoir à notre portée, maintenant que nous pouvions leur infliger une défaite sanglante, nous étions submergés par des vagues d'une authentique cruauté. Je suppose que nous étions devenus fous, si fous que nous savions que nous étions fous. Je parlais et je ne pouvais croire ce que je disais :

— Tuons-les. Finissons-en avec eux ! Faisons-le !

— Oui, tuons-les ! Tuons-les tous ! acquiesça Caffó, et nous regagnâmes la chaloupe comme si ce second voyage figurait au programme depuis le début, comme si nous avions envoyé d'autres personnes à notre place.

Nous regagnâmes le récif, je passai la combinaison et plongeai en effectuant des manœuvres qui avaient gagné en expérience, plus rapides, plus coordonnées. Il n'y eut aucun problème. J'étais à la poupe du bateau portugais, avançant sans défense dans le pays des monstres. Mais les conteneurs, que je localisai immédiatement, me suggéraient des visions de perles. Nous en remontâmes trois, quatre, cinq. Dix, vingt. Puis je remuai le sol pour découvrir ceux qui pouvaient y être cachés, mais les provisions semblaient être épuisées. Je tirai sur la corde guide : tout va bien.

Le flanc était ouvert comme si un titan avait mordu la coque. J'entrai sans grandes difficultés. Je veillais simplement à ce que le tuyau, derrière moi, suive la trajectoire d'une sorte de canal inséré dans le métal, un excellent trajet où n'apparaissaient pas d'arêtes qui auraient pu le perforer. C'était la réserve, elle était pleine de conteneurs. J'en prenais un, je l'attachais à la corde et le poussais hors du bateau. Je tirais deux fois sur l'autre corde pour indiquer à Batís de hisser la charge et que je poursuivais ma trajectoire.

J'avais récupéré quinze ou vingt caisses, peut-être davantage. Fatigué, j'interrompis tous ces mouvements automatiques. La cale était éclairée par la lumière d'un infime crépuscule. La surabondance de fer portait à la claustrophobie. Je me trouvais à l'intérieur du bateau, à l'intérieur du scaphandre, et à l'intérieur de mes peurs, qui m'avaient conduit là avec l'héroïsme des rats. Si nous ajoutions à cela la densité de l'eau, c'était le lieu le plus ténébreux que j'aie jamais foulé. Des murs résultant de l'industrie métallurgique, des instruments à demi rongés par l'eau et à l'identité confisquée par l'oxyde. Je me dis que rien de cela n'avait été conçu en pensant au bonheur de l'homme. Les pieds en plomb entraient en contact avec l'acier et produisaient des bruits nouveaux et des sons déformés. Cette pièce s'achevait sur un mur comportant un portillon en forme d'œuf. Et ils étaient là, de l'autre côté de la porte.

Ils passaient la tête jusqu'aux yeux, me guettant, impassibles. Ils avaient peut-être commencé à suivre mes mouvements depuis le tout début de l'immersion. Je criai à l'intérieur du casque. Je ne pouvais fuir. C'était leur monde, ils s'y déplaçaient avec une extrême facilité. Ils me tombèrent dessus de toutes parts. Je fendis l'eau avec mon couteau, effort pathétique par lequel je prétendais les tenir à distance.

Mais au moment où je me croyais mort, la résurrection. Les vitres du casque avaient un effet grossissant. En fait, les monstres ne — mesuraient guère plus de cinquante centimètres. Des corps minces et de petite taille, avec une bande gris argent sur le dos, très brillante, qui mettrait encore des années à foncer comme chez leurs géniteurs. Comme c'est le cas chez les humains, le crâne était la partie la moins volumineuse de leur anatomie. Cela en faisait de véritables têtards, dans tous les sens du terme. Leur rictus n'était pas très éloigné du sourire des dauphins. Ils se déplaçaient comme une volée de moineaux, à une vitesse prodigieuse. Ils esquivaient mes défenses maladroites, touchaient mes habits, la sphère du casque, et me fuyaient. Il est possible que la tenue, le scaphandre, leur ait rappelé un parent éloigné. Mon Dieu, je finis par comprendre, c'était seulement un jeu. Ils jouaient, oui. Ils avaient transformé la ferraille en jardin, et j'étais un curieux intrus. Ils piaillaient, si l'on tient à définir l'enthousiasme de leurs voix. Ma présence devait constituer une nouveauté extraordinaire. Je m'attendais à une boucherie et je me retrouvais dans un ballet sous-marin.