Oui, il allait vers l'eau. Sans doutes, sans hésitations. Je voyais le dos de ce garçon novice et décidé, et une inspiration s'empara de moi. Il s'arrêta à la frontière imprécise entre la mer et la terre. Une vague plus longue que les autres lui lécha les pieds ; je sentis moi-même un frisson de froid, qu'un fil invisible me transmit. J'hésitai. Et s'il partait ?
Le fusil me tombait des mains. Je ne pouvais pas le croire. Il marchait vraiment sur les eaux. Il faisait un pas, un autre, et la mer lui soutenait les pieds comme un pont liquide. Il partait, abolissait le phare, les vices qui fondaient notre guerre. Il avait compris qu'on ne discute pas avec les mirages, on les évite. Il détruisait toutes les passions, toutes les perversions, parce qu'il renonçait à elles dès le départ. Ce garçon était les paupières du monde : encore quelques pas et nous allions tous nous réveiller de ce cauchemar.
Il se tourna vers moi, indigné :
— Qu'est-ce que je suis en train de faire, bon sang ? cria-t-il, les bras grands ouverts. Vous croyez que je suis Jésus ?
Et il rebroussa chemin. Une fois sur la terre ferme, son esprit était déjà celui d'un combattant. Il voulait lutter jusqu'au bout. Il parlait des « requins-hommes », d'empoisonner les vagues avec de l'arsenic, de couvrir la côte de filets parsemés de coquilles de moules brisées, qui serviraient de couteaux, de mille stratégies mortifères. Je m'approchai de l'eau. Deux doigts au-dessous de la surface, on pouvait voir des récifs plans, sur lesquels il avait marché.
Je m'assis sur la plage, étreignant mon fusil comme un nouveau-né. Je me laissai tomber à la renverse. Mon dos rencontra un matelas de sable. Le monde était définitivement un lieu prévisible et sans nouveautés. Je me posai une de ces questions auxquelles nous répondons avant de les énoncer : où pouvait être mon triangle, où ?
Le soleil déclinait.