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— Je suis venu chercher les bagages du prince Morosini.

— Nous regrettons toujours de voir partir le prince mais c’est avec l’espoir de le revoir bientôt ! Assurez-le que nous sommes toujours tout à son service, fit gracieusement le préposé après avoir jeté un coup d’œil rapide à la lettre qui accompagnait l’argent.

D’un signe du doigt, Théobald attira l’oreille du portier plus près de sa bouche :

— Entre nous, il vaut mieux que Son Excellence m’ait envoyé, moi ! confia-t-il à ladite oreille. Vous avez une curieuse façon de faire le ménage ici.

— Que voulez-vous dire ?

— Que vous devriez envoyer quelqu’un au 207. Ce qu’on y voit est surprenant…

Ayant dit, Théobald reprit ses bagages en toute dignité et se dirigea vers le boulevard de la Madeleine pour prendre un taxi, aucun de ceux qui stationnaient aux abords de l’hôtel ne lui inspirant confiance.

De retour rue Jouffroy il informa Aldo de l’état de sa chambre et lui remit le petit paquet :

— Une excellente cachette ! commenta-t-il. La chambre a été retournée de fond en comble sans que le bijou ait été découvert. Reste à savoir qui est venu fouiller. La police ?

— Sûrement pas ! dit Morosini. Ou je ne m’y connais plus en hommes ou le commissaire Langlois n’est pas de ceux qui opèrent de la sorte. Son investigation, à lui, aurait été menée avec soin, en ma présence ou, tout au moins celle d’un préposé du Ritz, et en aucun cas avec cette hargne que mettent des truands qui ne trouvent pas ce qu’ils cherchent.

— Alors qui ? demanda Adalbert.

— Là est la question. Les ravisseurs n’ont aucun moyen de savoir que je suis mêlé à cette histoire sauf si l’un d’entre eux était rue Ravignan au moment où nous avons ramené le petit Le Bret et répondu aux questions de l’inspecteur.

— C’est déjà ça ! Mais ce qui est plus grave c’est qu’ils te soupçonnent d’avoir pris le contenu de la cheminée. Qu’as-tu écrit dans la lettre que Théobald a remise aux gens du Ritz ?

— Que je passais vingt-quatre heures chez un ami avant de partir pour Londres. En admettant qu’on leur permette de la lire, c’est là qu’ils me chercheront…

— Tu n’oublies qu’une chose, c’est que Langlois t’a prié, courtoisement et à mots couverts, de ne pas quitter la France, ni même Paris. Ne le prends pas pour un imbécile, Aldo ! C’est un type très bien…

— Il en a l’air mais un bon tailleur ne fait pas forcément un aigle. Cependant j’admets que tu as raison. Aussi vais-je l’avertir que je suis chez toi en priant d’opter pour la discrétion s’il veut venir me parler ou me donner un rendez-vous… Et à propos de parler, il faut que je voie le prince Youssoupoff. C’est son adresse que j’allais chercher à La Maisonnette russe.

— Qu’est-ce que tu lui veux ?

— Tout simplement lui rendre ça !

Aldo prit entre ses doigts le ravissant joyau qu’il venait de déballer et de poser entre eux sur la table.

— Après tout, c’est son bien, puisque son grand-père l’avait acheté le plus régulièrement du monde. Il en fera ce qu’il voudra et, surtout, c’est lui qui se débrouillera avec le commissaire Langlois. Quant à moi, je pourrai enfin rentrer chez moi.

— On ne t’a pas donné son adresse, au Ritz ?

— Non, tu connais Franck, le barman. Contrairement à beaucoup de ses confrères c’est la discrétion même. Il m’a simplement dit qu’il habite Boulogne.

— J’ai un vieil ami qui habite aussi Boulogne. Il devrait pouvoir te renseigner. Une personnalité aussi exotique ne doit pas tenir facilement sa lumière sous le boisseau… Je vais lui téléphoner.

Mais il ne bougea pas tout de suite, tendit la main pour prendre la perle par son chapeau de diamants comme il l’eût fait d’une fraise.

— Magnifique ! soupira-t-il en faisant jouer ses reflets dans la lumière. Comment se fait-il que tu n’aies pas envie de la garder ? Je croyais que tous les bijoux historiques te passionnaient ?

— Pas celui-là ! D’abord, pour moi, il est « rouge »…

— Le sang versé ? Mais c’est le sort d’à peu près tous les bijoux qui ont une histoire. As-tu oublié les pierres du Pectoral ?

— Aussi n’avions-nous qu’une hâte : les remettre à leur place dans leur plaque d’or. Ensuite je suis moins attiré par les perles que par les pierres. Les premières peuvent mourir, les autres ne meurent jamais. Enfin elle vient de Napoléon Ier et, en bon Vénitien, je n’ai jamais apprécié l’Empereur.

— Admettons ! Mais Napoléon n’était pas pêcheur de perles. Et, avant lui, celle-ci devait bien exister ? D’abord pourquoi l’appelle-t-on « la Régente » ?

— À cause de Marie-Louise, je suppose, qui était censée assumer la régence pendant que son époux s’en allait guerroyer à Moscou…

— Cette bécasse ? Elle n’était bonne à rien. Surtout pas au règne et il n’y avait pas de quoi affubler cet œuf merveilleux d’un titre qui ne lui allait pas. Tu n’as pas envie de chercher un peu plus loin ? Il y a sûrement une autre raison ? Une autre régente ! Une vraie !… Ou alors elle a pu appartenir au régent comme le grand diamant du Louvre ?

— Nitot, qui l’a vendue à Napoléon, en a peut-être su quelque chose mais Nitot est mort depuis longtemps…

— Mais un homme de cette importance laisse des archives…

Morosini se leva, reprit la perle et la fourra dans sa poche :

— Adalbert, tu m’agaces ! Tu auras beau dire ce que tu voudras, je n’en veux pas. Trouve-moi plutôt l’adresse de Youssoupoff !

Les Youssoupoff habitaient 27, rue Gutenberg une assez belle demeure composée d’un corps principal et de deux pavillons dont l’un donnait sur une cour et l’autre sur le jardin. La fantaisie du prince, sa passion pour le spectacle, avaient d’ailleurs transformé en théâtre l’un de ces pavillons. Aldo s’y rendit vers quatre heures en pensant que c’était une heure convenable pour qui ne s’était pas annoncé. Il eût été sans doute plus dans sa manière de demander un rendez-vous par téléphone mais, les circonstances étant ce qu’elles étaient, il préférait agir avec le maximum de discrétion.

Priant le taxi qui l’avait amené de l’attendre, il franchit la grille ouverte, grimpa les marches du perron et alla sonner à la porte. Elle lui fut ouverte par un grand diable drapé dans une longue tunique dont la blancheur faisait ressortir l’une des peaux les plus noires que l’on puisse trouver en Afrique. L’apparition s’inclina légèrement devant l’élégant visiteur et, sans lui laisser le temps d’ouvrir la bouche, déclara :

— Moi, je suis Tesphé, le serviteur du Maître. Que veux-tu de lui, ô étranger ?

— Un moment d’entretien. Veux-tu lui porter ceci ? répondit Morosini en donnant une carte de visite sur laquelle il avait écrit quelques mots.

Le grand Noir la prit avec un nouveau salut, disparut et ne revint pas. À sa place apparut un jeune homme blond dont le nez chaussé de lunettes annonçait un secrétaire. Ce qu’il était, en effet. Il se nommait Keteley et s’enquit avec courtoisie de la raison d’une visite tellement inattendue.

— Je désire entretenir le prince d’une affaire importante pour laquelle j’ai besoin de sa présence. Une affaire un peu… délicate. C’est la raison pour laquelle je ne me suis pas fait annoncer.

— Vous ne pouvez rien m’en dire ?

Aldo n’était patient que lorsqu’il pensait que cela en valait la peine. Il n’aurait jamais imaginé que le neveu par alliance du défunt tsar fût si difficile à atteindre.

— Non. C’est le prince ou personne ! Sans doute ne me connaissez-vous pas sinon vous sauriez que je ne me dérange que pour des affaires importantes…