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— Le musée du Louvre ! fit Aldo avec un haussement d’épaules découragé. Je sais bien qu’il y a d’autres musées au monde mais, comme elle devrait s’appeler normalement « perle Napoléon » et que je suis à moitié français, sa place est en France…

Et, pour clore la discussion, Aldo remit la « Régente » dans ses chaussettes…

La nuit suivante, dans le train blanc laqué comme un coffret et allongé de plusieurs wagons, on partit pour Kapurthala dans la suite du Vice-Roi.

CHAPITRE XV

FÊTES À KAPURTHALA

Bien que l’un des plus petits parmi les États indiens – environ 1 600 kilomètres carrés contre 130 000 pour le Cachemire et 132 000 pour Hyderabad –, le domaine du maharadjah de Kapurthala était l’un des plus prospères et des mieux tenus. Et que la ville rose était jolie avec ses petites maisons et ses somptueuses demeures plantées comme un décor de fête sur le fond des pentes violettes de l’Himalaya montant vers les neiges des sommets et la pureté d’un ciel sans nuages ! Les visiteurs devaient s’apercevoir que chez Jagad Jit Singh il n’y avait pas de mendiants : ceux qui étaient dans le besoin avaient à leur disposition un vaste bâtiment où l’on prenait soin d’eux. Un record aux Indes !

Arrivés dans la suite du couple vice-royal, les Morosini et Vidal-Pellicorne n’en reçurent pas moins un accueil particulier qui les sépara de l’escorte officielle. Alors que celle-ci s’embarquait dans les traditionnelles Rolls et Bentley, une superbe voiture française, une longue Delahaye bleu et argent, les emmena vers le palais où un appartement les attendait.

Surprenant, ce palais ! Alors que l’on pouvait s’attendre à l’habituel et gigantesque enchevêtrement de tours, tourelles, clochetons, fenêtres de marbre ajouré, cours et jardins, les voyageurs découvrirent, au milieu d’un parc évoquant l’œuvre impérissable de Le Nôtre, un palais typiquement français, dont l’intention première était d’offrir une copie de Versailles mais que son énorme pavillon central coiffé d’un dôme aplati éloignait vigoureusement de l’œuvre de Mansart. En outre il était rose ! Aldo et Lisa eurent un appartement composé d’une grande chambre, d’un petit salon et des commodités habituelles, le tout meublé en Louis XVI. Ils découvrirent aussi qu’ils avaient droit à quelques-uns des trois cents serviteurs du palais : préposés au bain, au massage, aux bagages, aux fleurs ou aux friandises et autres cigarettes… Il y en avait même un chargé d’annoncer le programme de la journée et de donner l’heure.

— C’est le triomphe de la spécialisation ! constata joyeusement Lisa, mais ça n’a pas l’air de plaire beaucoup à Amu, ajouta-t-elle en regardant leur nouveau valet de chambre s’emparer farouchement des vêtements de son époux et de ses robes à elle pour les repasser. Il devrait pourtant être habitué ?

— Non. Alwar était moins généreux avec ses invités, puisque je n’ai eu droit qu’à un seul serviteur. Ce dont je me félicite aujourd’hui.

— Tu crois qu’il s’habituera à Venise ?

— Beaucoup de ses semblables se sont habitués à l’Angleterre, voire à l’Écosse, et Venise est plus agréable question climat. Ce qui m’inquiéterait plutôt pour lui, c’est Zaccaria…

— Tu n’y connais rien du tout ! Amu est un garçon tellement gentil, tellement délicat ! En outre il t’a sauvé : notre vieux majordome va l’adorer… mais se gardera bien de le montrer ! En attendant, appelons le préposé au programme pour savoir ce que nous devons faire…

En fait, rien d’autre qu’assister en spectateurs, avec quelques amis français dont le charmant écrivain Francis de Croisset que Morosini ne connaissait pas, aux cérémonies : somptueux dîner, feux d’artifice, revue militaire et autres manifestations données en l’honneur du Vice-Roi et des ambassadeurs étrangers en poste à Delhi. L’aimable prince Karam et sa femme, la ravissante Sita, étaient particulièrement chargés de s’occuper d’eux afin justement de leur éviter de ne se sentir là qu’à titre décoratif. L’anniversaire du prince ne serait célébré qu’après…

En effet, deux jours plus tard le train blanc repartait, emmenant une Mary Winfield désolée de ne pouvoir assister à l’arrivée des princes et de leurs splendeurs. Si magnifiques que soient les uniformes britanniques, surtout ceux des déjà légendaires lanciers du Bengale, le peintre devinait bien que cela n’approcherait pas le fabuleux déploiement de couleurs et de richesses qui allait s’abattre sur Kapurthala. Mais elle était attachée à la Vice-Reine, ce qui n’était pas le cas des Morosini et d’Adalbert, invités personnels du maharadjah… Une consolation cependant : le capitaine Mac Intyre repartait aussi.

Ce ne fut pourtant pas sans une vague inquiétude qu’Aldo et Adalbert virent se vider les vastes et élégants pavillons de soie dressés sur deux kilomètres dans le parc du palais et les emblèmes des divers princes remplacer l’Union Jack. Ce fut Adalbert qui traduisit leur pensée commune tandis qu’en fumant un cigare ils faisaient une promenade dans les jardins momentanément paisibles :

— Tu crois qu’il va oser venir ?

— Tu penses à Alwar ?

— Qui d’autre ? Tu sais bien qu’il est invité, et ne devions-nous pas faire le voyage dans son train privé ?

— Veux-tu me dire ce qui pourrait l’en empêcher, puisque ses crimes n’ont pas encore décidé le gouvernement britannique à le destituer ? Tu peux être certain qu’il sera là.

Ni l’un ni l’autre n’en doutaient, et moins encore Amu, accouru au petit matin avec la première tasse de thé qu’il ne permettait à personne de leur apporter. Aldo et Lisa étaient d’ailleurs réveillés par le canon qui, depuis une heure au moins, ne cessait guère de tonner.

— Il est arrivé, Prince sahib ! Le maître de la peur vient d’arriver ici ! Tu n’as pas entendu le canon ?

— Tu veux dire qu’on n’entend que lui, fit Lisa, le nez dans sa tasse. Ne nous dis pas qu’il a droit à tout ça ?

— Non. Seulement à dix-sept coups(16), mais les trains des princes se succèdent à la gare. Ces pourquoi le canon n’arrête presque pas. Quant à lui, je viens de le voir dans la voiture aux peaux de tigre qu’il emporte toujours avec lui. Que va-t-il nous arriver ?

— Rien du tout, Amu ! fit Morosini avec un sourire apaisant. Il n’est plus chez lui et notre hôte n’est pas homme à souffrir que l’on moleste certains de ses invités…

— Mo… leste ? répéta Amu qui ignorait le mot.

— Que l’on fasse du mal. Quant à toi, tu n’es plus à son service mais au mien.

— Oh je ne crains pas pour moi ! Je suis trop petit pour qu’il connaisse ma figure, mais c’est pour toi que je crains, maître ! Tu lui as échappé et il n’oublie jamais…

— Ne te tourmente pas. Ici il ne peut plus rien.

Connaissant le pouvoir de malfaisance du personnage, Morosini n’en était pas si sûr, mais ne voulait pas inquiéter Lisa. Il se promit tout de même de veiller au grain. Adalbert, pour sa par se montra optimiste :

— Il va y avoir tellement de monde qu’il ne me verra même pas. J’ai passé la matinée à la gare voir arriver les princes. Il y avait tant de couleur et d’éclats de bijoux que j’en avais mal aux yeux.

— Alors tu l’as vu ?

— Mais oui. Rose comme un bonbon anglais, environné d’un corps de ballet de jeunes éphèbes aux yeux de biches dorés sur tranche, mais comme je me mêlais démocratiquement à la foule il ne m’a pas remarqué…

— Ce n’est pas une raison pour ne pas se montrer prudents…