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Landry trouvait un grand soulagement à entendre raisonner Cadet Caillaud de la sorte, et, depuis ce jour-là il fit une grande amitié avec lui, et se consola un peu de ses ennuis en les lui confiant. Et mêmement, il lui dit un jour:

– Ne pense plus à cette Madelon, qui ne vaut rien et qui nous a fait des peines à tous deux, mon brave Cadet. Tu es de même âge et rien ne te presse de te marier. Or, moi, j'ai une petite sœur, Nanette, qui est jolie comme un cœur, qui est bien élevée, douce, mignonne, et qui prend seize ans. Viens nous voir un peu plus souvent; mon père t'estime beaucoup, et quand tu connaîtras bien notre Nanette, tu verras que tu n'auras pas de meilleure idée que celle de devenir mon beau-frère.

– Ma foi, je ne dis pas non, répondit Cadet, et si la fille n'est point accordée par ailleurs, j'irai chez toi tous les dimanches.

Le soir du départ de Fanchon Fadet, Landry voulut aller voir son père pour lui apprendre l'honnête conduite de cette fille qu'il avait mal jugée, et, en même temps, pour lui faire, sous toutes réserves quant à l'avenir, ses soumissions quant au présent. Il eut le cœur bien gros en passant devant la maison de la mère Fadet; mais il s'arma d'un grand courage, en se disant que, sans le départ de Fanchon, il n'aurait peut-être pas su de longtemps le bonheur qu'il avait d'être aimé d'elle. Et il vit la mère Fanchette, qui était la parente et la marraine à Fanchon, laquelle était venue pour soigner la vieille et le petit à sa place. Elle était assise devant la porte, avec le sauteriot sur ses genoux. Le pauvre Jeanet pleurait et ne voulait point aller au lit, parce que sa Fanchon n'était point encore rentrée, disait-il, et que c'était à elle à lui faire dire ses prières et à le coucher. La mère Fanchette le réconfortait de son mieux, et Landry entendit avec plaisir qu'elle lui parlait avec beaucoup de douceur et d'amitié. Mais sitôt que le sauteriot vit passer Landry, il s'échappa des mains de la Fanchette, au risque d'y laisser une de ses pattes, et courut se jeter dans les jambes du besson, l'embrassant et le questionnant et le conjurant de lui ramener sa Fanchon. Landry le prit dans ses bras, et, tout en pleurant, le consola comme il put. Il voulut lui donner une grappe de beaux raisins qu'il portait dans un petit panier, de la part de la mère Caillaud, à la mère Barbeau; mais Jeanet, qui était d'habitude assez gourmand, ne voulut rien sinon que Landry lui promettrait d'aller quérir sa Fanchon, et il fallut que Landry le lui promît en soupirant, sans quoi il ne se fût point soumis à la Fanchette.

Le père Barbeau ne s'attendait guère à la grande résolution de la petite Fadette. Il en fut content; mais il eut comme du regret de ce qu'elle avait fait, tant il était homme juste et de bon cœur.

– Je suis fâché, Landry, dit-il, que tu n'aies pas eu le courage de renoncer à la fréquenter, si tu avais agi selon ton devoir, tu n'aurais pas été la cause de son départ. Dieu veuille que cette enfant n'ait pas à souffrir dans sa nouvelle condition, et que son absence ne fasse pas de tort à sa grand-mère et à son petit frère; car s'il y a beaucoup de gens qui disent du mal d'elle, il y en a aussi quelques-uns qui la défendent et qui m'ont assuré qu'elle était très bonne et très serviable pour sa famille. Si ce qu'on m'a dit qu'elle est enceinte est une fausseté, nous le saurons bien, et nous la défendrons comme il faut; si, par malheur, c'est vrai, et que tu en sois coupable, Landry, nous l'assisterons et ne la laisserons pas tomber dans la misère. Que tu ne l'épouses jamais, Landry, voilà tout ce que j'exige de toi.

– Mon père, dit Landry, nous jugeons la chose différemment vous et moi, si j'étais coupable de ce que vous pensez, je vous demanderais, au contraire, votre permission pour l'épouser. Mais comme la petite Fadette est aussi innocente que ma sœur Nanette, je ne vous demande rien encore que de me pardonner le chagrin que je vous ai causé. Nous parlerons d'elle plus tard, ainsi que vous me l'avez promis.

Il fallut bien que le père Barbeau en passât par cette condition de ne pas insister davantage. Il était trop prudent pour brusquer les choses et se devait tenir pour content de ce qu'il avait obtenu.

Depuis ce moment-là il ne fut plus question de la petite Fadette à la Bessonnière. On évita même de la nommer, car Landry devenait rouge, et tout aussitôt pâle, quand son nom échappait à quelqu'un devant lui, et il était bien aisé de voir qu'il ne l'avait pas plus oubliée qu'au premier jour.

XXXI

D'abord Sylvinet eut comme un contentement d'égoïste en apprenant le départ de la Fadette, et il se flatta que dorénavant son besson n'aimerait que lui et ne le quitterait plus pour personne. Mais il n'en fut point ainsi. Sylvinet était bien ce que Landry aimait le mieux au monde après la petite Fadette; mais il ne pouvait se plaire longtemps dans sa société, parce que Sylvinet ne voulut point se départir de son aversion pour Fanchon. Aussitôt que Landry essayait de lui en parler et de le mettre dans ses intérêts, Sylvinet s'affligeait, lui faisait reproche de s'obstiner dans une idée si répugnante à leurs parents et si chagrinante pour lui-même. Landry, dès lors, ne lui en parla plus; mais, comme il ne pouvait pas vivre sans en parler, il partageait son temps entre Cadet Caillaud et le petit Jeanet, qu'il emmenait promener avec lui, à qui il faisait répéter son catéchisme et qu'il instruisait et consolait de son mieux. Et quand on le rencontrait avec cet enfant, on se fût moqué de lui, si l'on eût osé. Mais, outre que Landry ne se laissait jamais bafouer en quoi que ce soit, il était plutôt fier que honteux de montrer son amitié pour le frère de Fanchon Fadet, et c'est par là qu'il protestait contre le dire de ceux qui prétendaient que le père Barbeau, dans sa sagesse, avait bien vite eu raison de cet amour-là, Sylvinet, voyant que son frère ne revenait pas autant à lui qu'il l'aurait souhaité, et se trouvant réduit à porter sa jalousie sur le petit Jeanet et sur Cadet Caillaud, voyant, d'un autre côté, que sa sœur Nanette, laquelle, jusqu'alors, l'avait toujours consolé et réjoui par des soins très doux et des attentions mignardes, commençait à se plaire beaucoup dans la société de ce même Cadet Caillaud, dont les deux familles approuvaient fort l'inclination; le pauvre Sylvinet, dont la fantaisie était de posséder à lui tout seul l'amitié de ceux qu'il aimait, tomba dans un ennui mortel, dans une langueur singulière, et son esprit se rembrunit si fort qu'on ne savait par où le prendre pour le contenter. Il ne riait plus jamais; il ne prenait goût à rien, il ne pouvait plus guère travailler, tant il se consumait et s'affaiblissait. Enfin on craignit pour sa vie, car la fièvre ne le quittait presque plus, et, quand il l'avait un peu plus que d'habitude, il disait des choses qui n'avaient pas grand'raison et qui étaient cruelles pour le cœur de ses parents. Il prétendait n'être aimé de personne, lui qu'on avait toujours choyé et gâté plus que tous les autres dans la famille. Il souhaitait la mort, disant qu'il n'était bon à rien; qu'on l'épargnait par compassion de son état, mais qu'il était une charge pour ses parents, et que la plus grande grâce que le bon Dieu pût leur faire, ce serait de les débarrasser de lui.