Выбрать главу

Cette ouverture, qu'elle avait bien prévue, rendit la petite Fadette bien contente; mais ne voulant pas le laisser voir, parce qu'elle voulait à tout jamais être respectée de sa future famille, elle n'y répondit qu'avec ménagement. Et alors le père Barbeau lui dit:

– Je vois, ma fille, qu'il vous reste quelque chose sur le cœur contre moi et contre les miens. N'exigez pas qu'un homme d'âge vous fasse des excuses; contentez-vous d'une bonne parole, et, quand je vous dis que vous serez aimée et estimée chez nous, rapportez-vous-en au père Barbeau, qui n'a encore trompé personne. Allons, voulez-vous donner le baiser de paix au tuteur que vous vous étiez choisi, ou au père qui veut vous adopter?

La petite Fadette ne put se défendre plus longtemps; elle jeta ses deux bras au cou du père Barbeau; et son vieux cœur en fut tout réjoui.

XXXVII

Leurs conventions furent bientôt faites. Le mariage aurait lieu sitôt la fin du deuil de Fanchon; il ne s'agissait plus que de faire revenir Landry; mais quand la mère Barbeau vint voir Fanchon le soir même, pour l'embrasser et lui donner sa bénédiction, elle objecta qu'à la nouvelle du prochain mariage de son frère, Sylvinet était retombé malade, et elle demandait qu'on attendît encore quelques jours pour le guérir ou le consoler.

– Vous avez fait une faute, mère Barbeau, dit la petite Fadette, en confirmant à Sylvinet qu'il n'avait point rêvé en me voyant à son côté au sortir de sa fièvre. À présent, son idée contrariera la mienne, et je n'aurai plus la même vertu pour le guérir pendant son sommeil. Il se peut même qu'il me repousse et que ma présence empire son mal.

– Je ne le pense point, répondit la mère Barbeau; car tantôt, se sentant mal, il s'est couché en disant: «Où est donc cette Fadette? M'est avis qu'elle m'avait soulagé. Est-ce qu'elle ne reviendra plus?» Et je lui ai dit que je venais vous chercher, dont il a paru content et même impatient.

– J'y vais, répondit la Fadette; seulement, cette fois, il faudra que je m'y prenne autrement, car, je vous le dis, ce qui me réussissait avec lui lorsqu'il ne me savait point là, n'opérera plus.

– Et ne prenez-vous donc avec vous ni drogues ni remèdes? dit la mère Barbeau.

– Non, dit la Fadette; son corps n'est pas bien malade, c'est à son esprit que j'ai affaire; je vas essayer d'y faire entrer le mien, mais je ne vous promets point de réussir. Ce que je puis vous promettre, c'est d'attendre patiemment le retour de Landry et de ne pas vous demander de l'avertir avant que nous n'ayons tout fait pour ramener son frère à la santé. Landry me l'a si fortement recommandé que je sais qu'il m'approuvera d'avoir retardé son retour et son contentement.

Quand Sylvinet vit la petite Fadette auprès de son lit, il parut mécontent et ne lui voulut point répondre comment il se trouvait. Elle voulait lui toucher le pouls, mais il retira sa main, il tourna sa figure du côté de la ruelle du lit. Alors la Fadette fit signe qu'on la laissât seule avec lui, et quand tout le monde fut sorti, elle éteignit la lampe et ne laissa entrer dans la chambre que la clarté de la lune, qui était pleine dans ce moment-là. Et puis elle revint auprès de Sylvinet, et lui dit d'un ton de commandement auquel il obéit comme un enfant:

– Sylvinet, donnez-moi vos deux mains dans les miennes, et répondez-moi selon la vérité; car je ne me suis pas dérangée pour de l'argent, et si j'ai pris la peine de venir vous soigner, ce n'est pas pour être mal reçue et mal remerciée de vous. Faites donc attention à ce que je vas vous demander et à ce que vous allez me dire, car il ne vous serait pas possible de me tromper.

– Demandez-moi ce que vous jugerez à propos, Fadette, répondit le besson, tout essoti de s'entendre parler si sévèrement par cette moqueuse de petite Fadette, à laquelle, au temps passé, il avait si souvent répondu à coups de pierres.

– Sylvain Barbeau, reprit-elle, il paraît que vous souhaitez mourir.

Sylvain trébucha un peu dans son esprit avant de répondre, et comme la Fadette lui serrait la main un peu fort et lui faisait sentir sa grande volonté, il dit avec beaucoup de confusion:

– Ne serait-ce pas ce qui pourrait m'arriver de plus heureux, de mourir, lorsque je vois bien que je suis une peine et un embarras à ma famille par ma mauvaise santé et par…

– Dites tout, Sylvain, il ne me faut rien celer.

– Et par mon esprit soucieux que je ne puis changer, reprit le besson tout accablé.

– Et aussi par votre mauvais cœur, dit la Fadette d'un ton si dur qu'il en eut de la colère et de la peur encore plus.

XXXVIII

– Pourquoi m'accusez-vous d'avoir un mauvais cœur? dit-il; vous me dites des injures, quand vous voyez que je n'ai pas la force de me défendre.

– Je vous dis vos vérités, Sylvain, reprit la Fadette, et je vais vous en dire bien d'autres. Je n'ai aucune pitié de votre maladie, parce que je m'y connais assez pour voir qu'elle n'est pas bien sérieuse, et que, s'il y a un danger pour vous, c'est celui de devenir fou, à quoi vous tentez de votre mieux, sans savoir où vous mènent votre malice et votre faiblesse d'esprit.

– Reprochez-moi ma faiblesse d'esprit, dit Sylvinet; mais quant à ma malice, c'est un reproche que je ne crois point mériter.

– N'essayez pas de vous défendre, répondit la petite Fadette; je vous connais un peu mieux que vous ne vous connaissez vous-même, Sylvain, et je vous dis que la faiblesse engendre la fausseté; et c'est pour cela que vous êtes égoïste et ingrat.

– Si vous pensez si mal de moi, Fanchon Fadet, c'est sans doute que mon frère Landry m'a bien maltraité dans ses paroles, et qu'il vous a fait voir le peu d'amitié qu'il me portait, car, si vous me connaissez ou croyez me connaître, ce ne peut être que par lui.

– Voilà où je vous attendais, Sylvain. Je savais bien que vous ne diriez pas trois paroles sans vous plaindre de votre besson et sans l'accuser; car l'amitié que vous avez pour lui, pour être trop folle et désordonnée, tend à se changer en dépit et en rancune. À cela je connais que vous êtes à moitié fou, et que vous n'êtes point bon. Eh bien! je vous dis, moi, que Landry vous aime dix mille fois plus que vous ne l'aimez, à preuve qu'il ne vous reproche jamais rien, quelque chose que vous lui fassiez souffrir, tandis que vous lui reprochez toutes choses, alors qu'il ne fait que vous céder et vous servir. Comment voulez-vous que je ne voie pas la différence entre lui et vous? Aussi, plus Landry m'a dit de bien de vous, plus de mal j'en ai pensé, parce que j'ai considéré qu'un frère si bon ne pouvait être méconnu que par une âme injuste.