Julie et moi avons refermé la porte des enfants sur notre désir de nous-mêmes. Comme tous les soirs depuis quinze soirs, nos retrouvailles n’ont pas pu attendre notre cinquième étage. (Un effet secondaire de la résurrection.)
— Bàn biān tiān ! a hurlé le Petit dans son premier rêve de la nuit.
« BÀN BIĀN TIĀN ! » Son cri tourbillonnant dans la cour de l’immeuble. « BÀN BIĀN TIĀN ! La femme porte la moitié du ciel ! » Va savoir pourquoi, j’ai pensé à la reine Zabo, cette façon qu’elle a eu d’emballer mon géant (« Vous êtes le nouveau J.L.B., vraiment ? Venez me raconter ça… »), un poussin gigantesque sous le duvet de la Reine (« Et vous avez un sujet ? plusieurs ? Une dizaine ! Formidable ! »), direction les altitudes (« Nous serons plus tranquilles dans mon bureau… »), aux quatre murs si nus (« Je sens que nous allons passer un bon moment ! »), couveuse de tous les rêves…
Et, à moi, dans l’entrebâillement de la porte :
— C’est fini, Malaussène, je ne décourage plus aucune vocation ; si on avait donné le prix de Rome à Hitler, il n’aurait jamais fait de politique…
Voilà. Julie aussi s’est endormie. Elle est toute chaleur ronde. Jamais vu un chien de fusil plus habitable. Aux courbes parfaitement miennes. Comme si tous les soirs je me glissais dans un étui de violoncelle. Et c’est là, contre le velours brûlant de sa peau, le cœur vierge de mon assassin battant dans ma poitrine, que j’ai laissé aller dans l’oreille de Julie la plus jolie déclaration d’amour qui soit.
J’ai dit :
— Julie…
…
— Julie, je t’aime exactement.
Post-scriptum :
La vie n’est pas un roman, je sais… je sais. Mais il n’y a que le romanesque pour la rendre vivable. Mon ami Dinko Stambak est mort pendant que je racontais cette histoire. Il était le vieux Stojil de ma tribu Malaussène, En vrai, il était la poésie, cet élixir du romanesque. Il était une souriante raison de vivre. Et d’écrire. De le décrire.
Je veux que ces pages s’envolent jusqu’à lui ; elles ont été écrites dans l’impatience qu’il les lise.