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Le père dit « Kate ! » Celle que je tenais répondit « yes », et fit un mouvement pour se dégager. Certes, à cet instant j’aurais voulu que le bateau s’ouvrit en deux pour tomber à l’eau avec elle.

L’Anglais reprit :

— Une petite bascoule, ce n’été rien. J’avé mes trois filles conserves.

Ne voyant pas l’aînée, il l’avait crue perdue d’abord !

Je me relevai lentement, et, soudain, j’aperçus une lumière sur la mer, tout près de nous. Je criai ; on répondit. C’était une barque qui nous cherchait, le patron de l’hôtel ayant prévu notre imprudence.

Nous étions sauvés. J’en fus désolé ! On nous cueillit sur notre radeau, et on nous ramena à Saint-Martin.

L’Anglais, maintenant, se frottait les mains et murmurait :

— Bonne souper ! Bonne souper i

On soupa, en effet. Je ne fus pas gai, je regrettais le Marie-Joseph.

Il fallut se séparer, le lendemain, après beaucoup d’étreintes et de promesses de s’écrire. Ils partirent vers Biarritz. Peu s’en fallut que je ne les suivisse.

J’étais toqué ; je faillis demander cette fillette en mariage. Certes, si nous avions passé huit jours ensemble, je l’épousais ! Combien l’homme, parfois, est faible et incompréhensible !

Deux ans s’écoulèrent sans que j’entendisse parler d’eux ; puis je reçus une lettre de New York. Elle était mariée, et me le disait. Et, depuis lors, nous nous écrivons tous les ans, au 1er janvier. Elle me raconte sa vie, me parle de ses enfants, de ses sœurs, jamais de son mari ! Pourquoi ?

Ah ! Pourquoi ?… Et, moi, je ne lui parle que du Marie-Joseph… C’est peut-être la seule femme que j’aie aimée… non… que j’aurais aimée… Ah !… voilà… sait-on ?… Les événements vous emportent… Et puis… et puis… tout passe. Elle doit être vieille, à présent… Je ne la reconnaîtrais pas… Ah ! Celle d’autrefois… celle de l’épave… quelle créature divine ! Elle m’écrit que ses cheveux sont tout blancs… Mon Dieu !… ça m’a fait une peine horrible… Ah ! Ses cheveux blonds !… Non, la mienne n’existe plus… Que c’est triste… tout ça !…

1er janvier 1886

L’ermite

Nous avions été voir, avec quelques amis, le vieil ermite installé sur un ancien tumulus couvert de grands arbres, au milieu de la vaste plaine qui va de Cannes à la Napoule.

En revenant, nous parlions de ces singuliers solitaires laïques, nombreux autrefois, et dont la race aujourd’hui disparaît. Nous cherchions les causes morales, nous nous efforcions de déterminer la nature des chagrins qui poussaient jadis les hommes dans les solitudes.

Un de nos compagnons dit tout à coup :

— J’ai connu deux solitaires : un homme et une femme. La femme doit être encore vivante. Elle habitait, il y a cinq ans, une ruine au sommet d’un mont absolument désert sur la côte de Corse, à quinze ou vingt kilomètres de toute maison. Elle vivait là avec une bonne ; j’allai la voir. Elle avait été certainement une femme du monde distinguée. Elle me reçut avec politesse et même avec bonne grâce, mais je ne sais rien d’elle ; je ne devinai rien.

« Quant à l’homme, je vais vous raconter sa sinistre aventure :

Retournez-vous. Vous apercevez là-bas ce mont pointu et boisé qui se détache derrière la Napoule, tout seul en avant des cimes de l’Esterel ; on l’appelle dans le pays le mont des Serpents. C’est là que vivait mon solitaire, dans les murs d’un petit temple antique, il y a douze ans environ.

Ayant entendu parler de lui, je me décidai à faire sa connaissance et je partis de Cannes, à cheval, un matin de mars. Laissant ma bête à l’auberge de la Napoule, je me mis à gravir à pied ce singulier cône, haut peut-être de cent cinquante ou deux cents mètres et couvert de plantes aromatiques, de cystes surtout, dont l’odeur est si vive et si pénétrante qu’elle trouble et cause un malaise. Le sol est pierreux et on voit souvent glisser sur les cailloux de longues couleuvres qui disparaissent dans les herbes. De là ce surnom bien mérité de mont des Serpents. Dans certains jours, les reptiles semblent vous naître sous les pieds quand on gravit la pente exposée au soleil. Ils sont si nombreux qu’on n’ose plus marcher et qu’on éprouve une gêne singulière, non pas une peur, car ces bêtes sont inoffensives, mais une sorte d’effroi mystique. J’ai eu plusieurs fois la singulière sensation de gravir un mont sacré de l’antiquité, une bizarre colline parfumée et mystérieuse, couverte de cystes et peuplée de serpents et couronnée par un temple.

Ce temple existe encore. On m’a affirmé du moins que ce fut un temple. Car je n’ai pas cherché à en savoir davantage pour ne pas gâter mes émotions.

Donc j’y grimpai, un matin de mars, sous prétexte d’admirer le pays. En parvenant au sommet j’aperçus en effet des murs et, assis sur une pierre, un homme. Il n’avait guère plus de quarante-cinq ans, bien que ses cheveux fussent tout blancs ; mais sa barbe était presque noire encore. Il caressait un chat roulé sur ses genoux et ne semblait point prendre garde à moi. Je fis le tour des ruines, dont une partie couverte et fermée au moyen de branches, de paille, d’herbes et de cailloux, était habitée par lui, et je revins de son côté.

La vue, de là, est admirable. C’est, à droite, l’Esterel aux sommets pointus, étrangement découpé, puis la mer démesurée, s’allongeant jusqu’aux côtes lointaines de l’Italie, avec ses caps nombreux et, en face de Cannes, les îles de Lérins, vertes et plates, qui semblent flotter et dont la dernière présente vers le large un haut et vieux château fort à tours crénelées, bâti dans les flots mêmes.

Puis dominant la côte verte, où l’on voit pareilles, d’aussi loin, à des œufs innombrables pondus au bord du rivage, le long chapelet de villas et de villes blanches bâties dans les arbres, s’élèvent les Alpes, dont les sommets sont encore encapuchonnés de neige. Je murmurai :

— Cristi, c’est beau.

L’homme leva la tête et dit :

— Oui, mais quand on voit ça toute la journée c’est monotone.

Donc il parlait, il causait et il s’ennuyait, mon solitaire.

Je le tenais.

Je ne restai pas longtemps ce jour-là et je m’efforçai seulement de découvrir la couleur de sa misanthropie. Il me fit surtout l’effet d’un être fatigué des autres, las de tout, irrémédiablement désillusionné et dégoûté de lui-même comme du reste.

Je le quittai après une demi-heure d’entretien. Mais je revins huit jours plus tard, et encore une fois la semaine suivante, puis toutes les semaines ; si bien qu’avant deux mois nous étions amis.

Or, un soir de la fin de mai, je jugeai le moment venu et j’emportai des provisions pour dîner avec lui sur le mont des Serpents.

C’était un de ces soirs du Midi si odorants dans ce pays où l’on cultive les fleurs comme le blé dans le Nord, dans ce pays où l’on fabrique presque toutes les essences qui parfumeront la chair et les robes des femmes, un de ces soirs où les souffles des orangers innombrables, dont sont plantés les jardins et tous les replis des vallons, troublent et alanguissent à faire rêver d’amour les vieillards.